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L'île des esclaves de Marivaux est-elle une utopie ?

Dissertation : L'île des esclaves de Marivaux est-elle une utopie ?. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  21 Février 2024  •  Dissertation  •  1 564 Mots (7 Pages)  •  242 Vues

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L’île des esclaves est-elle une utopie ?

L’île des esclaves (1725) est-elle une utopie ? L’utopie, au sens courant, est un idéal qu’on ne peut atteindre, un projet irréalisable. Mais l’utopie est aussi un genre narratif : son fondateur est l’humaniste anglais Thomas More. Son célèbre dialogue philosophique, Utopia, écrit en 1516, offre une réflexion sur “la meilleure forme de gouvernement”. Un navigateur y décrit une île imaginaire, un monde parfait, fondé sur l’égalité et la tolérance religieuse. More joue sur le double sens du mot : il est à la fois U-topia, le lieu qui n’est nulle part, et EU-topia, le lieu du bonheur. Décrivant les conditions politiques et sociales qui permettent ce bonheur, l’oeuvre présente aussi une critique des injustices, de la misère, des guerres, des persécutions.

         Cette définition éclaire le sujet : il s’agit de réfléchir au rapport entre l’imaginaire et la réalité : quelle place occupe le rêve de bonheur, quelle place occupe la critique sociale, et quel lien établir entre les deux ? Par ailleurs, si l’utopie est un genre narratif, comment le théâtre peut-il s’adapter à des règles qui lui sont étrangères ? Enfin, quels sont les enjeux sociaux ou moraux d’un tel choix ? Toutes ces questions nous conduisent à formuler notre problématique : le concept d’utopie permet-il d’éclairer la pièce de Marivaux ? Cette question obligera à chercher quelle place occupe l’utopie dans la comédie de Marivaux, et quel est son rôle.

Pour répondre à cette problématique, notre pensée suivra trois mouvements : d’abord, nous montrerons qu’il s’agit bien d’une utopie qui permet la satire et qui imagine un nouvel ordre social, fondé sur le mérite et la raison. Mais ensuite, nous interrogerons le sujet de la pièce, sa structure et son registre, qui l’éloignent de l’utopie. Pourquoi ? Quel est donc le projet de la pièce ? C’est ce que révélera la dernière partie, qui proposera une autre définition de l’utopie : la réflexion se centrera alors non sur le monde extérieur, mais sur la transformation intime des êtres et des mentalités.

I Marivaux choisit l’utopie pour nourrir une critique sociale.

1/ Une utopie : l’île grecque, le monde inversé

Situons d’abord le cadre de l’utopie. Le titre et les premières didascalies désignent le lieu de l’action : une île ; et plus précisément une plage : « le théâtre représente une mer et des rochers ». L’ailleurs insulaire est par excellence le lieu de l’utopie : un territoire inconnu, en effet, isolé du monde, autorise d’autres mœurs et d’autres lois. L’île imaginaire est très vaguement située dans l’espace - « au large d’Athènes » - et dans le temps : les noms grecs d’Euphrosine (le nom signifie « toute joie ») et d’Iphicrate (« qui domine par son pouvoir ») - ainsi que la référence aux esclaves, nous situent dans une Grèce antique de pure convention. Tous les éléments spatio-temporels sont donc en place, pour que se déroule l’utopie. En quoi consiste-t-elle ? Cette île a une histoire : une révolte d’esclaves conduisit jadis au massacre des maîtres ; à présent, les maîtres sont « corrigés », l’île est devenue une république égalitaire.

        Ces topos de l’utopie permettent d’établir une inversion des rôles ou des statuts. Les puissants perdent leur pouvoir, les humbles dominent les Grands. On retrouve du reste ce schéma du « mundus inversus » dans les trois comédies insulaires de Marivaux : L’île de la raison, La colonie, et L’île des esclaves. Chaque fois, le dramaturge offre à ses contemporains le contraire de ce qu’ils observent dans leur univers social. Cette inversion rappelle les coutumes du carnaval et, plus encore, le théâtre baroque, qui souligne l’instabilité des choses, la fragilité de tout ordre et de tout être ; ce théâtre choisit volontiers de rebattre sur la scène les cartes du destin ; c’est le cas par exemple dans la comédie de Lesage et d’Orneval, l’île des amazones (1721) : les femmes jusque-là soumises s’emparent du pouvoir et imposent leurs volontés.

2/ L’utopie permet la satire

On voit donc clairement les mécanismes et les enjeux de cette utopie : elle permet la satire. Le bouleversement hiérarchique dont l’île est le théâtre dessine en filigrane une remise en question des privilèges. Que se passe-t-il, lorsqu’on dépossède les maîtres de leur pouvoir ? Que se passe-t-il, quand on donne aux esclaves leur entière liberté ? L’inversion des rôles autorise la parole, permet la moquerie et la satire. Ce que dénoncent les esclaves, qui peuvent enfin exprimer leur colère ou leurs reproches sans crainte de représailles, c’est l’injustice sociale, la violence des rapports fondés sur une autorité abusive et arbitraire.

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