Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde
Commentaire de texte : Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar pmouliets • 14 Avril 2023 • Commentaire de texte • 1 447 Mots (6 Pages) • 263 Vues
Explication de texte n°3 – Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde[pic 1]
L’épilogue
Introduction
- Epilogue # dénouement. Etymologie : epilogos = au-dessus (par-dessus ?) du discours. Dernière partie d’une œuvre mais presque en dehors de l’œuvre (« hors d’œuvre »), ajoutée comme un supplément à un ensemble déjà clos, déjà achevé. Sorte de suite qui viendrait après la fin.
- L’épilogue se place après une ellipse (c’est souvent le cas des épilogues) : en effet, dans la 2e partie de la pièce, le départ de Louis est annoncé, scène de dispute ; la dernière réplique de la pièce est prononcée par Louis (« Je ne les ai pas entendus », p.124, l.226, il est révélateur que ce soit une phrase à la forme négative qui exprime la surdité), mais on n’assiste pas à la scène d’adieu ou d’au revoir en tant que telle, ni au départ de Louis raccompagné à la gare.
- La pièce s’est terminée par un échec ou un renoncement, l’échec de Louis à annoncer qu’il allait mourir. C’était en effet le but de sa visite, but annoncé dans le prologue (rappel sur la notion de schéma actanciel).
- De nouveau un monologue. L’ensemble de l’épilogue est une prosopopée : on entend la voix d’un mort. Passage qui peut donc être perçu comme une confession adressée au spectateur (double énonciation).
- Structure circulaire de la pièce : l’épilogue est symétrique par rapport au prologue. Même forme (monologue, voix d’un mort) ; le prologue annonçait la mort inévitable, l’épilogue la confirme (registre tragique) ; le prologue annonçait un objectif (annoncer cette mort), l’épilogue rappelle l’échec.
- Singularité du texte : comme détaché de la pièce en tant que telle, ne se situe plus dans le temps dramatique mais dans le récit (régime narratif), dans une autre temporalité.
- Contenu : le récit d’un souvenir, d’un échec, d’une occasion manquée, d’une frustration. Texte poétique, presque énigmatique. Un jour, Louis a éprouvé l’envie de pousser un cri mais il n’a pas osé. Impossible de ne pas faire le parallèle avec son échec à annoncer sa mort.
Projet de lecture : En quoi cet épilogue est-il une mise en abyme de la pièce ?
1er mouvement : Une voix d’outre-tombe (l.1 à 4)
Nous ne sommes plus dans le régime dramatique, il n’y a plus vraiment de personnage mais simplement une voix, une voix d’outre-tombe située dans une sorte de hors-temps et de hors lieu.
- « Après » : adverbe (et non préposition puisqu’il n’est pas suivi d’un GN), indicateur de temps, mais après quoi ? → après la dernière scène.
- « je pars. / Je ne reviens plus jamais » : dramatisation du départ. Phrases brèves. Insistance pour exprimer l’idée de l’irréversibilité. La scène précédente était, sans que les personnages en soient conscients - sauf Louis - une scène d’adieux (le titre initialement envisagé par Lagarce pour sa pièce). Et il s’agissait bien de cela : Louis était venu faire ses adieux parce qu’il va mourir (beaucoup plus net dans l’adaptation de X. Dolan).
- « Je meurs quelques mois plus tard ». Enonciation : « je » = Louis, mais implicitement Louis après sa mort, donc plus véritablement Louis-personnage → voix d’un mort, voix d’outre-tombe → prosopopée. Emploi inattendu du V « mourir » à la P1 et au présent, présent de narration ici. Ne pas oublier que ce texte a été écrit par un homme de 33 ans qui se sait condamné par la maladie à brève échéance.
- Structure circulaire la pièce : l’épilogue répond au prologue, également une prosopopée :
Prologue | Epilogue |
Plus tard, l’année d’après, j’allais mourir à mon tour … | Après, je pars … . Je meurs quelques mois plus tard. |
2e mouvement : Un souvenir autobiographique (l.5 à 18, de « Une chose dont je me souviens … » jusqu’à « … à égale distance du ciel et de la terre »)
- Le souvenir, introduit par une phrase averbale ou plus précisément sans verbe principal puisqu’elle n’est composée que de deux subordonnées relatives (« Une chose dont je me souviens et que je raconte encore »): ton de la méditation, d’une voix qui s’adresse à elle-même
- (« après j’en aurai fini ») : idée de la fin après la fin, après la mort qui a déjà eu lieu : le néant. Ou bien cette fois non pas la mort de Louis mais la mort de l’auteur.
- Quand ? : des années auparavant, pendant qu’il était loin de sa famille (« pendant ces années où je suis absent »)
- Nombreux repères spatio-temporels, scène presque réaliste (et pour cause : il s’agit d’un vrai souvenir) : « c’est l’été » : présent de narration, répétition du présentatif « c’est », presque une hypotypose. Il s’agit en réalité d’un souvenir personnel de Lagarce :
« Longue marche la nuit de Anduze à Saint-Jean du Gard, dans la montagne, les forêts de minuit à 3 heures du matin. Un long moment sur la vieille voie ferrée, à travers un long tunnel et ensuite sous les étoiles, dominant la vallée dans la nuit, sur un pont. »
(Journal, 14 juillet 1983).
- Cadre euphorique un peu surprenant compte tenu de la situation d’énonciation (discours post mortem) : « été », « sud de la France » … Paysage majestueux, grave : ciel, terre, immense, nuit
- Mais l’euphorie se dissipe, apparition de quelques éléments dysphoriques : « la nuit », « dans la montagne », « je me suis perdu », la « voie ferrée » (connotation : danger, menace) …
- « A un moment » : dramatisation
- Situation symbolique : la voie ferrée (ligne droite) vs les méandres (errance, erreur, égarement)
- « le chemin le plus court », « me retrouver » : symbolique du destin personnel de Lagarce. « Me retrouver » autorise une double lecture : au sens propre pour le narrateur égaré dans le sud de la France une nuit de 1983, mais il s’agit aussi peut-être, pour Lagarce, de se (re)trouver en tant qu’écrivain.
- « immense » : scène presque fantastique, onirique (nuit d’été, la lune)
- Registre lyrique : « à égale distance du ciel et de la terre » (sous-entendu : entre la vie et la mort, déjà plus sur la terre)
3e mouvement: L’amertume des regrets (l.19 à 29)
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