Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce
Dissertation : Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Emyhov • 5 Janvier 2022 • Dissertation • 2 560 Mots (11 Pages) • 4 040 Vues
Jean-Luc Lagarce est la fois comédien, metteur en scène, directeur de troupe, dramaturge et même éditeur. Il écrit ses propres pièces et met en scène Marivaux, Labiche ou encore Ionesco. En 1988, il apprend qu’il est atteint du sida et se sait condamné. En écho à sa propre destinée Jean-Luc Lagarce publie en 1990 la pièce Juste la fin du monde qui met en scène un jeune de 34 ans, Louis, qui décide de retourner après douze ans d’absence dans sa famille pour annoncer sa mort imminente. Louis fait face à une crise personnelle en raison de sa maladie et de sa mort prochaine et également à une crise familiale suscitée par son retour auprès des siens. On peut alors se demander en quoi la pièce Juste la fin du monde a-t-elle une portée universelle ? Pour répondre à cette question nous verrons que la pièce de Jean Luc Lagarce traite de trois thèmes universels régulièrement abordés dans la littérature. Dans la première partie nous aborderons le thème de la famille et plus particulièrement celui de la crise familiale. Dans une seconde partie nous traiterons du caractère universel du langage et des difficultés de communication. Enfin, dans une troisième partie nous évoquerons le thème de la mort, ce grand non-dit à l’origine de la crise individuelle que traverse Louis.
Dans Juste la fin du monde la famille occupe une place centrale. Thème universel, Lagarce reprend tous les symboles qui caractérisent une famille et présente la famille de Louis comme une cour. S’inspirant de la parabole du fils prodigue il met en scène une crise familiale, thème privilégié de la tragédie.
La scène se déroule un « dimanche, évidemment », il s’agit donc d’un moment symbolique de la réunion familiale. La liste des personnages montre qu’ils appartiennent tous à la même famille: Louis l’aîné (34 ans) et son frère Antoine (32 ans), leur sœur Suzanne (23 ans), la mère dont on ignore le prénom (61 ans, la belle-sœur Catherine l’épouse d’Antoine que Louis ne connaît pas. Le père est absent. La pièce met en scène la banalité du quotidien familial. Les personnages racontent des anecdotes qui ressemblent à celles de nombreuses autres familles. Catherine raconte la vie anodine de son époux Antoine, la mère rappelle à ses enfants les habituelles promenades dominicales avec leur père : « Pas un dimanche où on ne sortait pas, comme un rite, / je disais cela, un rite, / une habitude » (partie 1, sc. 4 ...). On apprend par Catherine qu’Antoine et elle ont fait le choix du prénom Louis pour leur fils. On découvre alors que trois hommes de trois générations successives portent le prénom de Louis. Cela renvoie à la tradition des familles nordiques qui nommaient le premier enfant par le prénom du père. De cette manière Lagarce inscrit l’histoire familiale dans une lignée et lui confère une dimension héréditaire. Ce prénom Louis renvoie également à la royauté française. En effet, on peut dire que l’auteur dépeint la famille comme une cour, non seulement avec le prénom Louis porté par trois générations successives, mais aussi avec la place que tient la mère au sein de la famille. Le père étant absent, le pouvoir est détenu par la mère. Cette dernière s’apparente alors à une régente détentrice d’une couronne dont les fils n’arrivent pas à prendre possession.
Le retour de Louis s'inspire de la parabole du Fils Prodigue. Le Fils prodigue est l'une des paraboles donnée par Jésus de Nazareth, relatée dans l'Évangile selon Luc. Si la parabole met en scène le père, ici c’est la mère qui accueille le fils dont elle n’a jamais compris le départ. Toutefois ce retour provoque une crise familiale. Les rapports entre les personnages sont tendus et des disputes éclatent entre tous les personnages : Antoine et Catherine, Antoine et Suzanne, Antoine et Louis, Suzanne et Catherine, la mère et ses enfants. Antoine jalouse son frère car il est le fils favori. Tout les oppose. Louis est écrivain, il a voyagé, Antoine est ouvrier, père de famille, il n’a jamais bougé de sa campagne. Louis est calme, Antoine est agressif. Le retour de Louis ravive chez Antoine la jalousie fraternelle et le complexe d’infériorité. Antoine devient même violent avec la réplique en deuxième partie scène 2: « Tu me touches : je te tue ». La tension entre les deux frères relève de la rivalité fraternelle et rappelle ce thème des frères rivaux courant dans les tragédies de l’antiquité à nos jours. Pour exemple Sénèque propose une pièce intitulée Thyeste, qui met en scène le conflit fratricide opposant le personnage éponyme à son frère Atrée. La première tragédie écrite de Jean Racine, Frères ennemis (ou La Thébaïde) met en scène la rivalité d’Étéocle et Polynice. Selon la volonté de leur père, Œdipe, les deux frères doivent se partager le trône et régner un an à tour de rôle. Mais Étéocle refuse de transmettre le pouvoir à son frère. Ce thème des frères ennemis incarne les conflits qui, aujourd’hui encore, ne cessent de ronger les êtres. Il énonce les problématiques de la jalousie, de l’orgueil et de l’obsession du pouvoir. Comme nous pouvons le constater à travers ces deux exemples la question de la famille et des relations à l’intérieure de celle-ci parsème le théâtre depuis l’antiquité. La famille est un thème privilégié de la tragédie.
Aristote, dans la Poétique (IVe s.av. J.-C.), préconise pour sujet le surgissement de la violence au sein des alliances :
« […] les cas où l’événement pathétique survient au sein d’une
alliance, par exemple l’assassinat, l’intention d’assassiner ou
toute autre action de ce genre entreprise par un frère contre son
frère, par un fis contre son père, par une mère contre son fis ou
par un fis contre sa mère, ce sont des cas qu’il faut rechercher.
Aristote, La Poétique, XIV, trad. Michel Magnien »
Ainsi on comprend que la crise familiale que traversent les personnages de Juste la fin du monde est un thème universel repris de tous temps.
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