Explication linéaire : « Salomé » Alcools, d’Apollinaire
Commentaire de texte : Explication linéaire : « Salomé » Alcools, d’Apollinaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar 123_456 • 27 Juin 2023 • Commentaire de texte • 2 443 Mots (10 Pages) • 344 Vues
Explication linéaire
« Salomé » Alcools, d’Apollinaire
Alcools est un recueil de soixante-et-onze poèmes publié en 1913, mais démarré en 1901 avec le cycle des « Rhénanes », célébrant les amours du poète avec Annie Playden. Ce recueil est caractérisé par sa modernité, puisque si c'est le registre élégiaque qui domine, la plainte amoureuse, topos lyrique par excellence, l'absence de ponctuation initie une forme d'écriture nouvelle. Dans le passage qui nous occupe, le poème intitulé « Salomé », le poète donne à entendre, d’un bout à l’autre, Salomé, personnage féminin tiré de la Bible, qui déplore la perte de son bien-aimé Jean-Baptiste. Nous nous demanderons donc comment Apollinaire renouvelle les topoï du lyrisme, en nous intéressant, des strophes 1 à 3, la déploration inattendue de Salomé, puis, des strophes 4 à 5, au changement de ton avec l'emploi de la modalité impérative, engendré par l'organisation des funérailles de son Mal-Aimé que Salomé prend en main.
C'est, tout d'abord, par la déploration inattendue de Salomé que le poète renouvelle les topoï du lyrisme, des strophes 1 à 3. Le poème s'ouvre, en effet, de manière inattendue. Dans les Evangiles de St Marc et de Saint Matthieu, Salomé sert, sans arrière-pensées, la vengeance de sa mère Hérodiade contre Jean-Baptiste, et obtient, en dansant de manière lascive devant le roi Hérode, la tête du prophète qu'on lui apporte sur un plat. Ici, au contraire, le poète choisit de renouveler l'image de Salomé. Nous découvrons, surpris, le portrait d'une jeune fille amoureuse, déplorant de manière emphatique, en adoptant le rythme de l'alexandrin, la perte de son bien-aimé. En effet, dès le premier quatrain, tout d'abord, elle révèle, à la grande surprise du lecteur, l'intensité de son amour et donc de son chagrin. Elle commence par célébrer le prénom de son bien-aimé en le mettant à la rime, « Jean-Baptiste », qu'elle fait aussitôt rimer avec l'adjectif « triste » au vers 3. Elle souligne ainsi le regret de son bien-aimé qu'elle lit jusque sur le visage de sa mère. En outre, elle inverse le sujet, « Jean-Baptiste » au vers 1 et le verbe « sourie » sur lequel démarre la circonstancielle. Elle met ainsi en valeur sa volonté désespérée de revenir en arrière, d'effacer l'acte irréparable commis à sa demande, la décollation ou décapitation de Jean-Baptiste. Le confirme l'emploi du conditionnel présent mis en valeur par la césure – « Sire je danserais// mieux que les séraphins » – au vers 2, « je danserais », qui a une valeur, non de potentiel, mais d'irréel du présent aux accents tragiques. Le mal est, en effet, est irréparable. La comparaison hyperbolique qui occupe tout le deuxième hémistiche, « mieux que les séraphins », et qui signifie « je danserais divinement », les séraphins étant, dans la Bible, des anges, révèle, enfin, de manière inattendue, l'intensité de l'amour que Salomé éprouve pour Jean-Baptiste. En s'adressant, par ailleurs, successivement au roi Hérode, au moyen de l'apostrophe « Sire » au vers 2, puis, au vers 3, à sa « mère », Hérodiade, Salomé les présente comme les grands responsables de la mort de son bien-aimé. En effet, le roi et la mère sont placés au centre du chiasme, « Jean-Baptiste » (1)/ « Sire » (2)/ « ma mère » (3), « moi » (3). Ils font ainsi figure d'opposants aux amours idylliques du prophète et de Salomé, victimes des appétits de pouvoir d'Hérodiade. Le dernier vers, en effet, est très ironique. Il est à comprendre ainsi : « Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste/ [alors que vous êtes] en robe de comtesse [et que vous êtes assise] à côté du Dauphin[?]. La conjonction de subordination marquant l'opposition, « alors que » est donc sous-entendue pour mieux faire éclater toute l'ironie du champ lexical du pouvoir avec « comtesse », c'est donc la réussite sociale et le rang social qui ont été au cœur du sombre complot d'Hérodiade contre Jean-Baptiste, ce que confirme l'autre mot appartenant au champ lexical du pouvoir, le « Dauphin ». Si l'union, le mariage entre Hérode et la mère de Salomé est désormais assuré, tout comme celui de Salomé promise au « Dauphin », c'est au prix du sacrifice de Salomé et de ses amours.
Par ailleurs, l'intensité inattendue des sentiments de Salomé pour Jean-Baptiste éclate au deuxième quatrain, dans le récit qu'elle fait à l'imparfait, avec « battais », « dansais » et « brodais », du temps heureux de ses amours avec le prophète.
En effet, l'emploi du trimètre romantique aux vers 5 et 6, « Mon cœur battait/ battait très fort/ à sa parole// Quand je dansais/ dans le fenouil/ en écoutant » s'oppose aux tétramètres ou alexandrins classiques des vers 3 et 4 « Ma mère/ dites-moi// pourquoi vous/ êtes triste// En robe/ de comtesse// à côté/ du Dauphin ». Salomé souligne ainsi, de manière très ironique, la différence essentielle entre son amour pour le prophète et celui de sa mère pour le roi. L'amour de sa mère est vénal [financièrement intéressé comme celui de Béline], fruit d'un froid calcul politique, n'ayant pour but que l'intérêt financier et politique, pour assurer son ascension sociale au détriment du bonheur de sa fille, ainsi que le souligne ironiquement le rythme solennel du tétramètre qui donne une fausse grandeur, dérisoire, aux amours de sa mère.
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