Le serment des fondateurs

Le texte que je vais vous présenter est le « Serment des fondateurs » qui est un texte épigraphique (gravé dans la pierre pour être plus précis) traduit par François Chamoux dans « Cyrène sous la monarchie des Battiades ». L’auteur de ce serment n’est pas connu mais le texte est censé parler au nom de la cité. Ce serment fut gravé au début du IVème siècle avant J.C lors de l’époque classique en Grèce mais il reprend un serment oral supposé être fait lors de la fondation de la cité de Cyrène vers 631 avant J.C durant l’époque archaïque par les Théréens, (Théra désignant actuellement l’île de Santorin et désignant une colonie originaire de Sparte. Théra se situe sur la Mer Egée au nord de la Crète.

Les VIIIe-VIe siècle av. J.C. sont marqués par une expansion du monde grec sur tout le pourtour méditerranéen jusqu'en Mer Noire, avec la fondation de cités ou poleis nouvelles par des cités mères de Grèce égéenne. C'est ce que l'on appelle traditionnellement le processus de colonisation. Il est cependant nécessaire de nuancer ce terme et de préciser qu'il n'a aucunement la même signification pour l'époque grecque antique que pour les époques modernes et contemporaine. C'est pourquoi nous emploierons le terme plus approprié d'apoikia/ai, qui signifie colonie en grec mais dont le sens paraît ainsi moins ambigu. Les raisons de ces fondations sont variables d'une cité à une autre, et les causes de la naissance de ces apoikiai demeurent encore de nos jours empreintes d'un certain mystère. Les grecs partent alors des cités-mères pour construire des villes ex-nihilo, les colonies, en général proches de la mer comme c’est le cas avec Cyrène qu’on pourrait situer au nord-est de la Lybie.

Ainsi dans quelle mesure ce texte permet-il de caractériser un phénomène important à cette époque, à savoir la colonisation de terres et en quoi montre-t-il l’importance de ce phénomène et les règles qui s’accompagnent ?

Ainsi dans une première partie nous verrons que la création de Cyrène est un exemple de la phase d’expansion grecque à l’époque, et dans un second nous verrons comment le serment est appréhendé et réaffirmé par les successeurs des premiers colonisateurs de la cité de Cyrène.

1.  La colonisation de Cyrène, un exemple de la phase d’expansion grecque

1. L’installation des Théréens

La colonisation de la cité de Cyrène et de la région autour appelée la Cyrénaique se fait au VIIe siècle par l’intermédiaire des grecs, plus précisément des habitants de la cité de Théra, actuelle Santorin. Le départ des Théréens, ile la plus au sud des Cyclades est clairement évoqué dans le texte ligne 17 à 19 :

« Puisque Apollon a ordonné spontanément à Battos et aux Théréens d’aller fonder Cyrène, les Théréens sont tous décidés à envoyer en Lybie Battos comme archégète et roi, les Théréens s’embarqueront pour l’accompagner ».

Ainsi Battos est nommé fondateur et roi de la prochaine colonie, Hérodote nous raconte dans le livre IV de son enquête historique que l’oracle de Delphes conseilla fortement à un jeune bègue du nom de Battos de s’embarquer pour la Lybie, « nourricière de brebis » et d’y fonder une colonie.

La colonisation grecque qui débute au VIIIème siècle avant J.C et qui se termine vers le VIème siècle avant J.C découle de plusieurs causes. La cause la plus répandue et la plus importante est la sténochoria qui se traduit littéralement par « être à l’étroit ». En effet, les conditions de vie s’améliorent à cette époque, ainsi la population grecque devient de plus en plus nombreuse ce qui entraine une surpopulation, le besoin de nouvelles terres devient alors obligatoire (les terres étant assez limitées en Grèce). D’autres causes peuvent être invoqués à ces colonisations, beaucoup de sources s’accordent sur des causes économiques, en effet les inégalités sociales sont très présentes en Grèce, avec une concentration de la propriété foncière aux mains d’une minorité, les aristoi. Il y a aussi enfin la crainte d’une guerre civile, la stasis qui pousse à la recherche d’autres colonies.

 Pour la fondation de Cyrène, les sources s’accordent à dire que le problème majeur était la famine, la sècheresse et les dissensions intestines qui touchait la cité. En effet, Hérodote disait à ce propos :

« Pendant sept ans, Théra ne reçut pas une goutte de pluie et tous les arbres de l'île se desséchèrent, sauf un. Les Théréens consultèrent l'oracle et la Pythie leur rappela cette colonie à fonder en Libye. Un groupe de citoyens prit alors la mer pour aller, en petit nombre, étudier les lieux ; guidés par Corobios dʼItinos (en Crète), ils atteignirent l'île de Platéa »

Ainsi, le premier établissement fut installé dans l'île de Platea; il ne prospérait pas; Battus se rendit à Delphes se plaindre à l'oracle qui lui avait dit de se faire éleveur de bétail, ce qui était impossible en cet endroit; il reçut l'ordre de continuer ses efforts. Il passa alors sur le continent en face de Platea   et fondèrent Cyrène.

Enfin, d’après de nombreux écrits, la cité avait pour objectif la mise en place d’une agriculture développée qui profiterait à tous, en effet la région de la Cyrénaïque était l’une des seules régions prospères de la côte lybienne.

1. Une colonisation sous conditions

Tout d’abord, chaque famille dut livrer un enfant aux dangers de l’exil, en effet la côte lybienne était une inconnue, les risques et les dangers énormes, et le retour interdit.

Ainsi, dans chaque village est dressé comme il est écrit ligne 21 « un catalogue des hommes adultes » désignés pour l’expédition vers la Lybie, il est cependant indiqué que tout homme libre même s’il n’a pas été choisi pourra s’embarquer dans l’expédition, cependant on dénombre à travers les ouvrages très peu de volontaires, le voyage étant très dur. Comme vu précemment, même Battos a eu du mal à accomplir sa mission puisqu’il y a eu plusieurs retours à Théra et il a fallu les réprimandes de l’oracle pour qu’ils puissent y arriver.

Selon les sources historiques, et notamment les récits de Hérodote, environ 160 hommes sont partis pour l’expédition, les récits ne parlent pas de femmes, il en est déduit que les premières femmes des théréens étaient des indigènes.

Cependant, les colons sont choisis et ne peuvent échapper au voyage, en effet, le sacrifice pour la communauté y est obligatoire, ne pas partir c’est commettre un affront vis-à-vis des autres personnes, dans ces sociétés, le bien commun est largement privilégié au bien individuel.

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