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Europes de l'antiquité au XXe siècle

Dissertation : Europes de l'antiquité au XXe siècle. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  10 Mai 2012  •  Dissertation  •  5 474 Mots (22 Pages)  •  1 501 Vues

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Paul VALERY (1871-1945)

Note

(ou L’Européen)

1924

Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, bénévole,

Courriel : ppalpant@uqac.ca

Dans le cadre de la collection : “ Les classiques des sciences sociales ”

fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay,

professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi

Site web : http : //www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/

Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque

Paul -Émile Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi

Site web : http : //bibliotheque.uqac.ca/

Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, collaborateur bénévole.

Courriel : ppalpant@uqac.ca

à partir de :

Paul Valéry (1871-1945)

Note (ou L’Européen)

Extrait de « Europes de l’antiquité au XXe siècle », collection Bouquins, éditions Robert Laffont, 2000, pages 414-425.

1e publication dans Revue Universelle, 1924. Conférence, Zurich, 1925.

Polices de caractères utilisée : Times, 12 et 10 points.

Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5 x 11’’

[note : un clic sur @ en tête de volume et des chapitres et en fin d’ouvrage, permet de rejoindre la table des matières]

Édition complétée le 15 août 2005 à Chicoutimi, Québec.

L’orage vient de finir, et cependant nous sommes inquiets, anxieux, comme si l’orage allait éclater. Presque toutes les choses humaines demeurent dans une terrible incertitude. Nous considérons ce qui a disparu, nous sommes presque détruits par ce qui est détruit ; nous ne savons pas ce qui va naître, et nous pouvons raisonnablement le craindre. Nous espérons vaguement, nous redoutons précisément ; nos craintes sont infiniment plus précises que nos espérances ; nous confessons que la douceur de vivre est derrière nous, que l’abondance est derrière nous, mais le désarroi et le doute sont en nous et avec nous. Il n’y a pas de tête pensante si sagace, si instruite qu’on la suppose, qui puisse se flatter de dominer ce malaise, d’échapper à cette impression de ténèbres, de mesurer la durée probable de cette période de troubles dans les échanges vitaux de l’humanité.

Nous sommes une génération très infortunée à laquelle est échu de voir coïncider le moment de son passage dans la vie avec l’arrivée de ces grands et effrayants événements dont la résonance emplira toute notre vie.

On peut dire que toutes les choses essentielles de ce monde ont été affectées par la guerre, ou plus exactement, par les circonstances de la guerre : L’usure a dévoré quelque chose de plus profond que les parties renouvelables de l’être. Vous savez quel trouble est celui de l’économie générale, celui de la politique des États, celui de la vie même des individus : la gêne, l’hésitation ; l’appréhension universelles. Mais parmi toutes ces choses blessées est l’Esprit. L’Esprit est en vérité cruellement atteint ; il se plaint dans le cœur des hommes de l’esprit et se juge tristement. Il doute profondément de soi-même.

Qu’est-ce donc que cet esprit ? En quoi peut-il être touché, frappé, diminué, humilié par l’état actuel du monde ? D’où vient cette grande pitié des choses de l’Esprit, cette détresse, cette angoisse des hommes de l’Esprit ? C’est de quoi il faut que nous parlions maintenant.

L’homme est cet animal séparé, ce bizarre être vivant qui s’est opposé à tous les autres, qui s’élève sur tous les autres, par ses ... songes, — par l’intensité, l’enchaînement, par la diversité de ses songes ! par leurs effets extraordinaires et qui vont jusqu’à modifier sa nature, et non seulement sa nature, mais encore la nature même qui l’entoure, qu’il essaye infatigablement de soumettre à ses songes.

Je veux dire que l’homme est incessamment et nécessairement opposé à ce qui est par le souci de ce qui n’est pas ! et qu’il enfante laborieusement, ou bien par génie, ce qu’il faut pour donner à ses rêves la puissance et la précision même de la réalité, et, d’autre part, pour imposer à cette réalité des altérations croissantes qui la rapprochent de ses rêves.

Les autres êtres vivants ne sont mus et transformés que par les variations extérieures. Ils s’adaptent, c’est-à-dire qu’ils se déforment, afin de conserver les caractères essentiels de leur existence et ils se mettent ainsi en équilibre avec l’état de leur milieu.

Ils n’ont point coutume, que je sache, de rompre spontanément cet équilibre, de quitter, par exemple, sans motif, sans une pression ou une nécessité extérieures, le climat auquel ils sont accommodés. Ils recherchent leur bien aveuglément ; mais ils ne sentent pas l’aiguillon de ce mieux qui est l’ennemi du bien et qui nous engage à affronter le pire.

Mais l’homme contient en soi-même de quoi rompre l’équilibre qu’il soutenait avec son milieu. Il contient ce qu’il faut pour se mécontenter de ce qui le contentait. Il est à chaque instant autre chose que ce qu’il est. Il ne forme pas un système fermé de besoins et de satisfactions de ses besoins. Il tire de la satisfaction je ne sais quel excès de puissance qui renverse son contentement. À peine son corps et son appétit sont apaisés, qu’au plus profond de lui quelque chose s’agite, le tourmente, l’illumine, le commande, l’aiguillonne, le manœuvre secrètement. Et c’est l’Esprit, l’Esprit armé de toutes ces questions inépuisables...

Il demande éternellement en nous : Qui, quoi, où, en quel

...

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