La France réinventée: les nouveaux bi-nationaux franco-algériens
Cours : La France réinventée: les nouveaux bi-nationaux franco-algériens. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar frederic66 • 13 Mars 2013 • Cours • 4 002 Mots (17 Pages) • 951 Vues
LA FRANCE RÉINVENTÉE : LES NOUVEAUX BI-NATIONAUX FRANCO-ALGÉRIENS (PUBLISUD)
Séverine Labat
-Vous vous êtes distinguée ces derniers jours par la publication d’articles de réflexion sur la question migratoire en France et en particulier celle qui concerne « l’immigration maghrébine » et le discours qu’elle suscite aujourd’hui dans l’industrie politique française à propos du débat sur l’islam et la laïcité.
La première question est comment ce discours se déploie-t-il dans le champ politique et médiatique en France ? Quelles lignes constantes et quelles lignes nouvelles y percevez-vous par rapport à ce qui est convenu d’appeler depuis des décennies en France le « problème de l’immigration maghrébine » ?
La société française est, contrairement à ce que certains pensent, une société profondément postcoloniale. La question de l’immigration maghrébine, ou, plus généralement, celle de l’immigration en provenance de l’ex-Empire, se pose, en France, en des termes asymétriques eu égard aux premières vagues d’immigrations venues d’Europe telles que les « polaks » ou les « ritales ». Ces derniers, malgré les postures racistes à leur égard, se sont, jadis, intégrés par le travail et par des réseaux de solidarité communautaires (églises, associations, pratiques religieuses informées par le catholicisme) sans que la société française ne s’en émeuve à l’époque. Le prétendu « problème de l’intégration » des migrants issus de l’histoire coloniale française, est marqué du sceau d’un imaginaire, singulièrement vis-à-vis de nos concitoyens algériens, informé, d’une part par notre passé colonial, et d’autre part par la méfiance atavique à l’égard de l’islam. Le « syndrome algérien » demeure extrêmement puissant dans les représentations identitaires collectives que la société française continue de véhiculer, toutes tendances politiques confondues, vis-à-vis de ceux que l’on appelait les « musulmans » durant les cent trente deux ans de présence française en Algérie. A cet égard, il convient de rappeler que la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’a guère été appliquée dans les trois départements français d’Algérie. Durant cette période, l’accès des indigènes à la nationalité et à la citoyenneté française impliquait que ces derniers renoncent à leur statut personnel, l’islam étant perçue comme un obstacle à l’exercice de cette liberté. Seuls les indigènes de confession juive furent, par le décret Crémieux de 1870, francisés et intégrés à la société colonial, césure qui eut pour conséquence une division au sein de la communauté algérienne qui revint à une manière d’amputation culturelle et humaine dont nombre d’Algériens ont la nostalgie. Aujourd’hui, la question migratoire d’origine maghrébine emprunte aux mêmes stéréotypes véhiculés jadis et nourri un phantasme islamophobe de type colonial. Il n’est que de voir comment le récent débat sur l’identité nationale a tourné en un débat sur la question erronée de la compatibilité de l’islam avec les principes républicains. Ainsi, les médias et la classe politique française reproduisent-ils, à travers le prisme postcolonial, un discours de méfiance à l’égard de ceux que l’on persiste à nommer « les immigrés » alors que nous sommes en présence d’une troisième génération composée de Français ou de binationaux. Leur relégation territoriale, sociale et culturelle en font les nouvelles « classes dangereuses », cantonnées aux banlieues où se reproduit une sorte d’apartheid postcolonial. La présente cristallisation sur la question de l’islam emprunte encore à cet imaginaire colonial et à la guerre sanglante qui mit fin à l’Algérie française dans la mesure où la singulière lutte pour l’indépendance se fit pour partie au nom de l’islam, seule composante d’une identité algérienne encore en formation durant la guerre, et fondée formellement par les Accords d’Evian. Certaines franges de la société française se refusent encore à se résoudre à la perte de l’Algérie, tandis que le tissu social français est hanté par le spectre d’une prétendue islamisation de l’ex-Métropole.
La deuxième question est pourquoi la question religieuse, celle de l’Islam en l’occurrence, occupe-t-elle si intensément le débat politique et pourquoi continue-t-elle d’être sous le prisme du risque et de la menace alors que ce qui devrait occuper l’opinion dans l’Hexagone serait plutôt l’implication de la France de la guerre en Libye et en Côte d’Ivoire ?
La France d’aujourd’hui n’est lisible qu’au prisme de son caractère postcolonial. Le « maghrébin », « l’Arabe », le « musulman » sont perçus comme une menace et un facteur de dissolution du lien national et des fondements de la République encore informés par l’appartenance à la civilisation judéo-chrétienne. Ajouté à l’affaiblissement de l’Etat-nation et de l’identité nationale, en raison de son appartenance à l’Union Européenne (qui implique des transferts de compétence à une échelle supra-nationale), une large part de la société française se cherche de nouveaux boucs-émissaires. Dans l’entre deux guerres, ce sont les populations juives qui firent les frais d’une représentation identitaire collective refermée sur elle-même. De nos jours, les chrétiens et les juifs tendent à déserter églises et synagogue, tandis que nos concitoyens d’origine musulmanes pratiquent davantage leur foi, refoulée jadis par les ouvriers immigrés, et désormais revendiquée de bon droit. Aussi bien, les débats sur l’immigration et l’islam focalisent-ils certains pans de la société, par crainte, chez les classes populaires et moyennes, d’un déclassement dont le bouc-émissaire est désormais le « musulman », repoussoir et incarnation de ce déclassement amplifié par la crise qui les touche les plus directement. L’islam est alors réifié sans nuance tandis que cette migration « musulmane » pratique, dans son immense majorité, un islam tout à fait compatible avec la laïcité telle qu’elle fut conçue en 1905. Quant à l’implication militaire de la France en Libye et en Côte d’Ivoire, elle relève de ce même fantasme. Il n’est que d’entendre une partie du personnel politique évoquer une croisade en Libye ou de lire des titres de journaux qui n’hésitent pas à évoquer une guerre de l’Occident contre l’obscurantisme. Reste que les évènements internationaux actuels peuvent laisser à penser que la France a planté le dernier clou sur le cercueil d’une France-Afrique où les Français sont de moins en moins
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