Dissertation juste la fin du monde, une pièce définitivement tragique ?
Dissertation : Dissertation juste la fin du monde, une pièce définitivement tragique ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Dominique Gallon • 3 Avril 2023 • Dissertation • 2 557 Mots (11 Pages) • 424 Vues
Dissertation à partir de l’œuvre « Juste la fin du monde » de Jean-Luc Lagarce
SUJET : la pièce vous semble-t-elle définitivement tragique ?
Dans la pièce de Jean-Luc Lagarce, « Juste la fin du monde », cette fin est celle de Louis, le personnage principal qui s’apprête à mourir. Après des années d’absence, il retourne dans sa famille pour annoncer sa mort prochaine mais il ne parvient pas à dialoguer. Il se heurte aux querelles familiales, repartant sans avoir rien dit. Cette fin programmée renvoie aussi à celle de l’auteur qui apprend sa séropositivité peu de temps avant d’écrire cette œuvre en 1990. C’est une époque où le sida était une maladie que l’on ne savait pas soigner. Mais, plus qu’une autobiographie s’apparentant à une forme de tragédie contemporaine, nous pouvons nous demander si « juste la fin du monde » est une pièce définitivement tragique ?
Pour le dictionnaire Larousse, ce qui est tragique suscite une émotion violente, terrible. Il est dit d’un individu qu’il se trouve lié à un sort tragique qui pourrait advenir de façon inéluctable, définitive. Le sujet joue donc sur les mots en associant « définitivement » et « tragique ». Ce pléonasme nous engage à questionner d’autres éventualités : et si Jean Luc Lagarce revisitait la tragédie classique pour nous livrer d’autres messages que celui du destin funeste de son personnage principal, Louis ? Celui-ci n’est certes pas un héros de Racine, mais l’auteur nous met face à une contradiction quant à son sort, et ce dès le titre : « juste la fin du monde ». Cet euphémisme associe le mot « juste » à « fin du monde » comme pour l’atténuer. Mais, dans le même temps, dire que la mort d’un être est la fin de tout pour les autres est exagéré : c’est une hyperbole. Ainsi, derrière le tragique du titre, nous découvrons le style et l’habileté de Jean Luc Lagarce qui joue avec les frontières de la parole, créé le paradoxe.
Dans Juste la fin du monde, l’auteur met en scène un conflit reposant sur une problématique relative à la communication au sein d’une crise familiale. Il met en tension la tragédie de Louis avec le ridicule des relations de cette famille bourgeoise. La crise découle principalement de l’incapacité à se faire comprendre. Tout au long de pseudos-conversations qui tiennent lieu d’action dramatique, les personnages se trouvent enfermés dans des clichés de communication. La forme finit par prendre le dessus sur un fond qui n’arrive pas à s’exprimer, sur un dialogue qui ne réussit pas à s’instaurer réellement, sur une situation tragique qui ne trouve pas sa résolution dans la parole échangée. Au-delà du tragique, il y aurait donc une forme de comique, voire d’ironie : le spectateur est invité à observer cette famille prisonnière de ses difficultés de communication et qui ne peut réussir à échanger réellement autour de quelque-chose d’aussi important que la mort prochaine de l’un des siens.
Nous tenterons donc de démontrer, dans un premier temps, que cette pièce n’est pas uniquement tragique. En effet, l’auteur réussit à nous faire rire en jouant avec nous selon un registre comique et ironique. Il utilise le genre théâtral de la tragédie tout en réussissant à se moquer d’une famille bourgeoise. Celle-ci est prisonnière de ses codes de communication, de ses querelles futiles, au détriment de dialogues authentiques et des sentiments qu’ils pourraient exprimer.
Pourtant, dans un second temps, nous verrons que le destin funeste de Louis en fait un héros tragique, définitivement tragique, d’autant plus qu’il ne réussit pas à simplement parler de sa maladie, à partager sa peine avant de partir vers une fin inéluctable. La perception du tragique de la situation est renforcée chez le spectateur par cette dimension pathétique des drames vécus par Louis mais aussi par chacun des membres de la famille.
Il serait donc possible d’affirmer, dans un premier temps, que Lagarce utilise un effet comique en contraste à la dimension tragique de sa pièce perceptible à travers le dérisoire des situations mises en scène, ainsi que de pseudos-dialogues,
En effet, l’auteur tourne en ridicule des codes sociaux de communication qui empêchent le rapprochement des êtres et des sentiments. Certes, on ne rit pas franchement, mais ce procédé vient atténuer le drame. Lagarce dit par ailleurs de lui-même : « je me dépêche de sourire de tout, de crainte d’avoir à en pleurer » (Du luxe et de l’impuissance, p.38- solitaire intempestif. 1997). Dès la scène 1 de la partie 1, l’écrivain emploie une forme de chiasme dans la présentation faite par Suzanne : “c’est Catherine. Elle est Catherine. Catherine, c’est Louis. Voilà Louis. Catherine.” Cela nous donne l’impression de longueur ; d’une certaine lourdeur de conventions ridicules au sein d’une famille ; d’un manque de simplicité et de sincérité qui pèse sur les relations. Cela est assez représentatif du reste de la pièce de théâtre qui semble longue et ne pas avancer. Le personnage de Catherine, la belle-sœur de Louis, incarne très bien cette ambivalence faite de retenue et de bavardages. Elle se perd dans des discours sur des vérités générales ou des sujets convenus, comme sa façon de parler de ses enfants. Mais elle prend aussi de multiples précautions oratoires comme, par exemple, le fait de vouvoyer Louis : « Vous voulez encore du café ? » (Partie 1, scène 9) ; ou encore celui de ne surtout pas vouloir s’engager : « Moi, je ne compte pas et je ne rapporterai rien, je suis ainsi, ce n'est pas mon rôle ou pas comme ça, du moins, que je l'imagine ». (Partie 1, scène 6). Lagarce nous donne à apprécier, à travers son art de l’épanorthose et de la polyptote, toute cette retenue du langage, cette recherche précautionneuse de l’expression juste chez ses personnages. Par exemple, dans la partie 2, scène 3, La Mère réussit dans un long monologue à enfin exprimer son sentiment d’abandon qu’elle précise par étapes : « Lorsque tu es parti, lorsque tu nous as quitté, lorsque tu nous abandonnas » (p122)
Mais l’ironie de Lagarce ne s’arrête pas à dénoncer ces conventions et cette lâcheté de la famille bourgeoise. Elle va jusqu’à se moquer de réactions ridicules de colère qui émergent de situations pourtant futiles. En effet, dans cette pièce, les dialogues des deux parties sont plus des monologues qui se succèdent. Ce sont aussi des répliques de type récitatif qui s’adressent indirectement à Louis. Ce sont encore des conversations anodines qui basculent rapidement dans l’agression verbale. L’auteur renforce ce ridicule de l’impossible
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