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Nicolas D’Oresme, Traité de Monnaies

Commentaire de texte : Nicolas D’Oresme, Traité de Monnaies. Recherche parmi 301 000+ dissertations

Par   •  16 Mars 2025  •  Commentaire de texte  •  3 480 Mots (14 Pages)  •  38 Vues

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Stelian TIMIS

Nicolas D’Oresme, Traité de Monnaies

Un tyran ne peut durer longtemps

« Chaque fois, en effet, que la royauté se transforme en tyrannie, elle est vite menacée de disparaître, parce qu’elle est ainsi prédisposée à la discorde, à l’usurpation et à des périls de toutes sortes », N. Oresme.

Si, en ouvrant le Traité des monnaies, le lecteur contemporain pouvait s’attendre à lire un ouvrage strict d’économie médiévale, en réalité, l’auteur y expose une théorie politique destinée à orienter la pratique du pouvoir.

En effet, Nicolas d’Oresme, moine français du XIVᵉ siècle, est un esprit complet. Des mathématiques jusqu’à la musicologie en passant par l’économie, ce dernier fait ses études au collège de Navarre, à l’issue desquelles il se lie d’amitié avec le dauphin, futur Charles V. La France est à l’époque en pleine guerre de Cent Ans (1337-1453) l’opposant à l’Angleterre. Le souverain Jean II le Bon ne parvient pas à stopper les offensives anglaises, particulièrement importantes en 1355. De plus, l’Europe porte encore les stigmates de l’épidémie de peste affaiblissant la population jusqu’à 1352. Face à ces différentes difficultés et pour financer l’effort de guerre, le pouvoir royal décide l’imposition de nouvelles taxes, provoquant une montée diffuse des mécontentements[1].

Écrit en 1355, le Traité des monnaies s’inscrit, en plus de ce contexte troublé, dans la tradition scolastique médiévale née de la redécouverte des textes aristotéliciens. Cette redécouverte n’est pas anodine. Si les grands modèles antiques consacrent d’un côté une vision volontariste du droit, issue de la tradition juive, les penseurs grecs développent un naturalisme juridique considérant que le droit n’est pas contenu dans la loi émanant du souverain, mais dans la justice. Une autorité politique qui prendrait une loi injuste serait elle-même une autorité injuste. Par conséquent, ces derniers pensent la possibilité de dénoncer une règle ou un pouvoir qui s’écarterait de l’idéal de justice.

L’influence de cette vision se fait ressentir dans le texte d’Oresme dont le propos est que la monnaie n’est pas la propriété du prince, mais qu’elle appartient au peuple. Afin d’appuyer cette thèse d’économie, l’auteur développe une distinction politique entre le pouvoir exercé par un tyran et celui exercé par un roi.

En quoi, selon Oresme, les caractéristiques d’un pouvoir tyrannique, en comparaison avec celles d’un pouvoir royal, ne permettent-elles pas à ce dernier de se maintenir durablement ?

À l’inverse du roi, le tyran recherche la satisfaction de son intérêt personnel (I). L’exercice du pouvoir tyrannique est ainsi marqué par la brutalisation de la communauté qu’il gouverne (II). Mais un pouvoir royal peut dégénérer en tyrannie et, lorsque tel est le cas, sa pérennité est menacée (III).

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  1. L’exercice du pouvoir tyrannique comme assouvissement de l’intérêt personnel du tyran.

En effet, le pouvoir tyrannique, marqué par une pratique individualiste (A), est d’avantage prédisposée à prendre des décisions au détriment de son peuple (B).

  1. Le pouvoir tyrannique en tant que pratique individualiste du pouvoir.

« Entre le règne du roi et celui du tyran, il y a la différence que voici. Le tyran prise et chérit son propre bien-être plus que le salut commun de ses sujets {…} » De cette manière, Nicolas d’Oresme parvient à définir clairement le tyran et son exercice du pouvoir particulier. Sa caractéristique première est qu’il est continuellement face à un conflit d’intérêts. En effet, la fonction qu’il occupe a pour objet, par définition, de servir le bien commun ; or, ce dernier fait le choix délibéré de se servir lui-même. La qualification de tyran pour un individu avec une telle attitude pose problème pour les penseurs médiévaux. En somme, si nous percevons dans notre imaginaire collectif contemporain la royauté seulement sous le prisme de l’absolutisme, il demeure que la pratique royale avant le XVIᵉ siècle n’a rien à voir avec l’imposition aveugle de la volonté du roi sur ses sujets. Sur certains aspects, cela peut même être le contraire, puisqu’une des premières missions du roi est d’assurer la justice à ceux qu’il gouverne. Il est donc nécessaire, pour les médiévaux, de bien distinguer un pouvoir légitime, celui du roi, d’un autre illégitime, celui du tyran. À cet égard, définir ce qu’est le tyran permet du même coup à Oresme de définir ce que n’est pas le roi et donc, par transparence, de donner les caractéristiques du pouvoir royal.

« Le roi, au contraire, préfère l’intérêt public à son intérêt personnel et fait passer avant toute chose, hormis Dieu et son âme, le bien et la liberté publique de ses sujets. » Oresme, en mettant en avant une sorte de responsabilité royale, définit ce dernier comme celui qui recherche l’intérêt de ses sujets. Ainsi, nous pouvons remarquer que ces définitions fonctionnent d’une manière particulière. L’auteur pourrait nous dire : « Afin de caractériser le pouvoir qui vous gouverne, observez sa pratique. S’il poursuit l’intérêt du souverain, alors c’est une tyrannie, et s’il poursuit le vôtre, alors c’est votre roi. »

  1. Le tyran, prédisposé à prendre des décisions impopulaires et au détriment de sa communauté.

La suite du premier extrait que nous avons retirée du texte est celle-ci : « {…} et c’est pourquoi il (le tyran) s’efforce de maintenir son peuple dans une soumission servile ». Les conflits d’intérêts qui jalonnent la pratique tyrannique rendent nécessaire l’usage de méthodes coercitives afin d’asservir totalement le peuple. Cette mécanique met en lumière ce que la théorie politique contemporaine a appelé des « agency conflicts ». Ces derniers émergent lorsque les élites dirigeantes sont motivées par des intérêts déconnectés de ceux du reste de la population. Ainsi, dans leur ouvrage Dictators and their viziers: Endogenizing the Loyalty-Competence Trade-Off, Georgy Egorov et Konstantin Sonin ont appliqué cet idéal-type à la structure dictatoriale[2]. Du point de vue d’Oresme, nous pouvons alors considérer que le peuple, délèguant sa souveraineté à un agent, observe des agency problems apparaitre si ce dernier prend des décisions contradictoires. C’est, par exemple, le cas d’une élite politique et industrielle décidant de déclarer la guerre à un pays voisin. Cette décision pourrait en l’occurrence avantager l’élite décisionnaire, puisque la transition vers une économie de guerre stimule généralement l’industrie. Mais la population, qui n’a rien à voir avec la déclaration, n’en profite nullement. Ainsi, il nous apparaît que la pratique tyrannique du pouvoir comporte un agency problem structurel. La poursuite continue d’un intérêt autre que celui de la nation conduit presque systématiquement à la montée des mécontentements ; c’est pourquoi le tyran a besoin d’une « soumission servile ». À cet égard, la chute de Nicolae Ceaușescu en 1989 est un cas typique où l’armée et le Parti communiste ont abandonné le dictateur une fois qu’ils ont vu que son maintien en place était devenu trop coûteux.

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