Commentaire d’arrêt : COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE (CIJ), Affaire relative au projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt du 25 septembre 1997, §73-88
Commentaire d'arrêt : Commentaire d’arrêt : COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE (CIJ), Affaire relative au projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt du 25 septembre 1997, §73-88. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Mariana Romling • 22 Avril 2024 • Commentaire d'arrêt • 4 487 Mots (18 Pages) • 180 Vues
Séance 8 : Réponses décentíalisées à l’illicite : contíe-mesuíes et sanctions
Mariana Romling Rotheia Andrade (non-francophone)
Commentaire d’arrêt : COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE (CIJ), Affaire relative au projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt du 25 septembre 1997, §73-88
Selon Forlati ; Mbengue et Mac Garry, l’arrêt Gabčíkovo-Nagymaros du 25 septembre 1997 est l'une des déclarations les plus influentes de la Cour internationale de Justice et met au premier plan la relation complexe entre les deux fonctions principales de la Cour, à savoir, décider conformément au droit international les différends qui lui sont soumis conformément à l'article 38 de son Statut ; et contribuer, par sa jurisprudence, au développement du droit international1. Le cas du barrage Gabcikovo-Nagymaros met en lumière un assortiment de questions dans divers domaines du droit international : en droit des traités, en droit fluvial, en matière de droit territorial, de règlement pacifique des différends et en droit international de l’environnement. Le présent commentaire s’intéressera aux paragraphes 73-88 de l’arrêt rendu le 25 septembre 1997.
Les origines de l’affaire remontent à 1977, l’année de signature du traité entre la Hongrie et la Tchécoslovaquie pour construire et exploiter un système d'écluses à Gabcikovo-Nagymaros. Le projet vise à produire de l'hydroélectricité, à améliorer la navigation et à protéger les riverains des inondations. En 1989, la Hongrie suspend puis abandonne les travaux à Nagymaros. Des négociations et des solutions alternatives, dont la "variante C" impliquant un détournement du Danube, sont envisagées par la Tchécoslovaquie. La Slovaquie commence la construction de la variante C en 1991. La Hongrie met fin au traité en 1992 et la Tchécoslovaquie ferme le Danube en 1992. Un régime temporaire de gestion des eaux est établi entre les deux parties dans la tentative de résoudre le différend. En 1993, la Hongrie et la Slovaquie saisissent la Cour internationale de Justice à partir d’un compromis entre les parties, pour des différends liés au traité, à sa dénonciation et à la solution provisoire2.
La Tchécoslovaquie défendait d’abord la thèse que lorsque la Hongrie s’est refusé d’exécuter ses obligations conventionnelles (issus du traité de 1977), et lorsque les négociations sont arrivées au point mort, après plusieurs demandes de la part de la Tchécoslovaquie pour que la Hongrie respecte le traité, la Tchécoslovaquie a décidé de mettre unilatéralement en service le système de Gabcikovo. Cette décision entraine plusieurs conséquences, surtout celles concernant le détournement des eaux du Danube, affectant directement l’économie et les activités fluviales de la Hongrie. À l’inverse, la Hongrie défendait qu’elle avait le droit de suspendre et par la suite d’abandonner les travaux en Nagymaros, et que la Slovaquie n’avait pas le droit de recourir à la “variante C” de manière unilatérale.
Entre les trois questions qui ont été posées à la Cour internationale de Justice à partir du compromis entre la Hongrie et la Slovaquie en 1993, la question qui concerne le présent commentaire est celle de savoir si la République fédérale tchèque et slovaque était en droit de recourir à la “variante C” et si la mise en œuvre de cette variante est-elle une contre-mesure licite ?
La Cour répond que la Tchécoslovaquie était en droit de recourir, en novembre 1991, à la “solution provisoire”, telle que décrite aux termes du compromis, mais qu’elle n’était pas en droit de mettre en service, à partir octobre 1992, la “variante C”. La Cour explique que la Tchécoslovaquie a commis un acte internationalement illicite en mettant en service la “variante C”, car cette mesure unilatérale a eu
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1Forlati, Serena, Makane Moïse Mbengue et Brian McGarry. Dans Le jugement Gabčíkovo-Nagymaros et sa contribution au développement du droit international. Leiden, Pays-Bas : Brill | Nijhoff, 2020.
2Affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros (HongrielSlovaquie), arrêt, C. I. J. Recueil 1997.
comme conséquence la perte de la Hongrie de son droit fondamental à une part équitable et raisonnable des ressources d’un cours d’eau international.
À partir de ce raisonnement, la Cour cherche si la “variante C” peut être considérée comme une contre-mesure justifiée en réponse aux actes illicites de la Hongrie. La CIJ analyse chaque condition pour qu’une contre-mesure soit justifiée. Elle affirme que les conditions que la mesure doit être prise pour riposter à un fait internationalement illicite d’un autre État et que l’État lésé doit avoir invité l’État auteur du fait illicite à mettre fin son comportement sont remplies. Toutefois, elle décide que la condition de proportionnalité n’est pas respectée par la Tchécoslovaquie. Ainsi, elle énonce que la contre-mesure n’est pas justifiée, faute d’être proportionnée.
Afin de comprendre le raisonnement et les apports de la CIJ dans l’affaire du Projet Gabcikovo-Nagymaros, il est nécessaire d’analyser dans un premier temps comment la Cour a encadré l’action de la Tchécoslovaquie de mettre en œuvre la “variante C” comme une contre-mesure (I). Dans un deuxième temps, il convient d’examiner le contrôle de proportionnalité opéré par la Cour de refuser l’argument de la contre-mesure justifiant le fait illicite commis par la Tchécoslovaquie (II).
Une consécration exigeante par la CIJ du contrôle à l’utilisation de contre-mesures
D’abord, il faut comprendre comment la Cour analyse que l’action de la Tchécoslovaquie en mettant en service de manière unilatérale la variante C constitue un fait internationalement illicite (A), pour après regarder comment la Cour examine les conditions cumulatives qui peuvent justifier le recours aux contre-mesures (B).
La nécessité préliminaire de la constitution d’un fait internationalement illicite
La première étape du raisonnement de la Cour internationale de Justice consiste à examiner quelle est la nature de l’acte commis par la Tchécoslovaquie dès lors qu’elle a mis en service de manière unilatérale la “variante C”. L’argument invoqué par la Tchécoslovaquie dans le paragraphe 73 de l’arrêt pour expliquer pourquoi elle a recouru à cette mesure est qu’après la suspension et puis l’abandon des travaux par la Hongrie du projet Gabčíkovo-Nagymaros, au lieu d'invoquer l’inexécution des obligations de la Hongrie pour mettre fin au traité, elle a préféré insister pour que la Hongrie respecte ses obligations contractuelles, car c’était de l’intérêt de la Tchécoslovaquie que la Hongrie continue sa partie du projet.
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