Commentaire d'arrêt admission de la preuve déloyale
Commentaire d'arrêt : Commentaire d'arrêt admission de la preuve déloyale. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar aperson • 6 Décembre 2024 • Commentaire d'arrêt • 1 494 Mots (6 Pages) • 6 Vues
Claudia CERLES, Lucie DERRIEN, Charlotte LEBARBANCHON, Alice PERSON -Groupe du droit à la preuve
Commentaire d'arrêt - Assemblée plénière, 22 décembre 2023, n° 20-20648
« La fin justifie-t-elle les moyens ? » Ce proverbe bien connu prend un éclairage nouveau dans le contexte du droit, particulièrement en matière de recevabilité des preuves. L'arrêt rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 décembre 2023 s'inscrit dans cette problématique délicate, en opérant un revirement majeur sur la recevabilité des preuves illicites ou déloyales dans les procédures civiles. Un salarié a été engagé le 14 octobre 2013 en tant que “responsable grands comptes” par son employeur. Le 28 septembre 2016, il a été mis à pied à titre conservatoire, suivi d'un entretien préalable au licenciement le 7 octobre 2016. Le 16 octobre 2016, il a été licencié pour faute grave après avoir refusé de communiquer. L'employeur a saisi le Conseil des Prud’hommes, afin de demander des dommages et intérêts pour non-exécution du préavis et réparation du préjudice commercial. Le salarié a saisi une cour de première instance pour contester son licenciement et a demandé la condamnation de l’employeur à lui payer diverses sommes. Dans un arrêt du 28 juillet 2020, la Cour d’Appel d’Orléans a déclaré cette preuve irrecevable au motif de son caractère clandestin, et faute alors de preuves recevables, la Cour a jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuses. La société est condamnée à verser des sommes au salarié. Cette décision se faisait dans la continuité de la JP de la Cass. La société a formé un pourvoi en cassation contre la décision de la Cour d’Appel d’Orléans d’écarter ces preuves jugées déloyales le 1er février 2023. L'audience publique s'est tenue le 24 novembre 2023. L’employeur a fait valoir que l’enregistrement audio était d’une part des annexes de plaintes pénales, et que d’autre part, même obtenu à l’insu du salarié, il peut être utilisé en justice dès lors qu’il ne porte pas atteinte aux droits du salarié. En faisant référence à l’article 6 §1 de la Convention EDH du droit à un procès équitable, et à l’article 9 du CPC, l’employeur a fait valoir qu’il était indispensable au droit à la preuve et à la protection de ses intérêts. En revanche l’ex-employé contestait la validité de ces preuves, affirmant qu’elles avaient été obtenues de manière déloyale. De plus, il faisait valoir que la Cour d’Appel avait erronément rejeté sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires. L’assemblée plénière de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt du 28 juillet 2020 de la Cour d’Appel d’Orléans au visa de l’article 6§1 de la Convention EDH et de l’article 9 du Code de Procédure Civile. La Cour de cassation a consacré, en matière civile, un droit à la preuve qui permet de déclarer recevable une preuve illicite lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s'en prévaut et que l'atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi. L’on peut alors s’interroger : Une preuve illicite peut-elle être recevable dans un procès civil ?
Le présent commentaire analysera cette décision en deux parties : d’abord, en examinant les fondements de la recevabilité des preuves en matière civile (I), puis en explorant les implications et les limites de cette nouvelle orientation jurisprudentielle (II).
I. Les fondements de la recevabilité des preuves en matière civile
A. L’évolution jurisprudentielle : de la protection procédurale au droit à la preuve
Jusqu’à l’arrêt commenté, la jurisprudence civile française adoptait une position stricte sur la recevabilité des preuves obtenues de manière illicite ou déloyale. L’Assemblée plénière avait, par exemple, posé le principe d’irrecevabilité de telles preuves dans un arrêt du 7 janvier 2011 (n° 09-14.316), insistant sur la nécessité de préserver la dignité et la crédibilité de la justice. Cette approche protégeait les justiciables contre des abus potentiels dans l’administration de la preuve, en s’alignant sur des principes de loyauté et de moralité. La vision protectrice des droits et des libertés des justiciables, illustrée par exemple par l’article 9 du Code Civil consacrant le respect à la vie privée, cherchait ainsi ) éviter un déséquilibre
Cependant, le droit à la preuve a progressivement émergé comme un contrepoids essentiel. Déjà en 2006 (Cass., 10 juillet 2006), la Cour de cassation reconnaissait l’importance du droit à la preuve dans le succès des prétentions des parties, amorçant une ouverture vers une évaluation au cas par cas. Cette évolution reflète une tension entre la liberté de la preuve, principe fondateur en matière civile, et les exigences procédurales de loyauté.
B. Les arguments de la Cour de cassation pour cons acrer la recevabilité de la preuve déloyale
Dans l’arrêt du 22 décembre 2023, l’Assemblée plénière s’aligne sur une approche plus équilibrée, influencée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Dans un arrêt du 10 octobre 2006, la Cass en matière civile a consacré un droit à la preuve illicite recevable. Ainsi, la cour du Conseil de l’Europe ne retient pas les preuves déloyales comme irrecevables par principe. La Cour de cassation a alors jugé que la frontière entre la preuve déloyale à la preuve illicite était poreuse. C’est ainsi qu’en vertu de l’article 6 §1 de la Convention EDH, la Cour a souligné que l’illicéité d’un moyen de preuve ne justifie pas systématiquement son exclusion. Elle invite les juges à mettre en balance le droit à un procès équitable, le droit à la preuve et d’autres droits fondamentaux, notamment la vie privée. La Cour de cassation rattache cela au droit à la preuve.
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