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Fiche administrer la misère

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Par   •  11 Avril 2019  •  Fiche de lecture  •  2 436 Mots (10 Pages)  •  480 Vues

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LA VIE AU GUICHET de VINCENT DUBOIS

Vincent Dubois est sociologue, politiste, membre du laboratoire SAGE. Ses recherches questionnent l’action publique, la culture, la langue ou la gestion de la misère avec La politique, l’artiste et le gestionnaire ou encore La vie au guichet. En 1999, année de première parution de ce dernier, d’autres sociologues s’intéressent notamment à la redéfinition du rôle social ou de l’agent public : Gabriel Kesler à travers « l’expérience de paupérisme de la classe moyenne argentine » montre la naissance d’une pauvreté hétérogène, qui s’appliquant à des classes sociales variées détruit les normes et les repères, le livre d’Olivier Cayla, l’inexprimable nature de l’agent public également. L’année de la troisième édition, 2015, est marquée par l’intérêt porté à l’identité du travailleur en général. Ainsi le livre Généalogie de l’ascèse démocratique écrit par Frédéric Mollé montre comment les valeurs institutionnelles telles l’abnégation ou le désintérêt ont en réalité des causes historiques et sociales, Danièle Linhart, elle, avec Comédie humaine du travail montre comment l’idéologie de déshumanisation taylorienne ou de sur humanisation actuelle concourent au même but : déposséder le travailleur de son professionnalisme. Avec La Vie au guichet, Vincent Dubois s’inscrit dans la lignée de Michael Lipsky, auteur pionnier de la théorie de la Street Level Bureaucracy dans laquelle les guichetiers, incarnation de l’Etat et confrontés à de nombreux problèmes doivent mettre en place des stratégies.

 L’auteur étudie par une démarche ethnographique, l’observation empirique et la réalisation d’entretiens, la vie au guichet et les usages de l’accueil dans une administration CAF. Les définitions de ces termes sont posées mettant en valeur la contradiction présente entre travail bureaucratique et aspect social.  L’auteur présente trois fils conducteurs : identité et rôles sociaux dans l’administration par l’interaction, régulation des tensions et enfin usages de l’institution. Le cadre est donc clair. L’analyse s’adapte à chaque thème. Dans le premier fil, la précision est apportée par la restriction à l’interaction au guichet ainsi que par la présentation des différentes identités supposées et réelles des différents acteurs sociaux. Dans le troisième fil, par l’appui sur des définitions théoriques des usages et des institutions et leur adaptation à l’administration CAF. Le second fil paraît moins précis mais l’auteur justifie son intérêt.

Il y a toutefois des différences entre l’annonce de l’auteur et l’évocation dans les différentes parties. L’identité et les rôles sociaux dans l’institution sont effectivement bien évoqués dans la partie I mais la régulation des tensions annoncée dans la partie II est largement évoquée dans la partie III lors du premier chapitre avec les sections « dysfonctionnement », « injustices » et « arbitrages ». Peut être le troisième fil conducteur est-il en effet trop large.  

Le premier chapitre s’intéresse à la spécificité du public concerné : Il le caractérise socialement, économiquement, en termes de compétences, puis détaille les différentes carrières identitaires auxquelles font face les usagers avant de s’attarder sur la variabilité de l’expression du ressentiment. L’auteur s’attarde sur le premier point car les individus présentent une histoire, un capital social et culturel variable entraînant un rapport à l’institution plus ou moins complexe. Il évoque comme extrêmement important pour les usagers, le « capital social de relation » que le guichet représente bien que cela soit discutable car si la pauvreté et le chômage isolent, le travail n’est pas le seul lieu de socialisation. Le second point permet pour l’auteur d’évoquer les différents processus liés à l’identité institutionnelle : on peut changer de statut institutionnel et pas individuel, juste individuel ou les deux notamment en cas de réinsertion par l’emploi. La contradiction entre ces différentes identités crée des tensions ou un rejet de l’institution. Les deux illustrations mises en confrontation, p89-90 de Habib Daoud, récemment promu mais inconscient de son nouveau statut social et donc conservant une attitude de dominé et Sylviane de Béricourt, ancienne patronne ayant fait faillite mais continuant de s’adressant en tant que dominante est très parlante.

Le second chapitre s’attarde sur l’organisation de l’espace c’est-à-dire sur l’impact par le cadre du comportement institutionnel, l’impact des symboles ou encore la tactique d’évitement des conflits par gestion de l’espace. Ainsi le chapitre détaille l’utilisation des frontières en tant qu’outil de surveillance, de déshumanisation, de non investissement personnel, de protection, qu’elles soient réelles dans l’espace, symboliques ou phoniques. Les différentes couleurs politiques conséquentes donc sur la gestion de l’espace par les CAF sont soulignées grâce à la comparaison de l’organisation humanisée de Béville avec celle de Dombourg. C’est un chapitre très fluide avec des descriptions exhaustives permettant de se représenter les détails.

Le troisième chapitre analyse quant à lui les rapports de domination qui s’établissent au guichet : l’asymétrie de cette relation se caractérise par une remise totale des usagers dans les guichetiers ou encore dans la possibilité pour l’institution d’imposer une identité selon ses normes ou selon le comportement. L’asymétrie est en effet frappante car on est « l’obligé » de la CAF, car la temporalité des institutions s’oppose à la situation d’urgence des usagers, car ces derniers ne connaissent pas les mécanismes administratifs et enfin parce que les guichetiers sont la seule personnification possible de l’institution. Cette position omnipotente bien que fictive du guichetier peut donner lieu à un jeu de domination voire d’humiliation. L’humiliation par certains guichetiers est illustrée de façon très forte p 120 lorsqu’une femme est interrogée sur sa vie sexuelle.   Le droit de l’institution de nous attribuer une identité administrative est par ailleurs certes réducteur mais efficace pour faire valoir les droits des différentes catégories sociales. De plus une « bonne volonté administrative » s’associe à une « bonne volonté sociale ». L’auteur aurait pu observer également le pouvoir discrétionnaire de ces employés lié au manque de précision de jurisprudences qu’il faut interpréter et qui mettent ainsi ces individus, placés à l’origine dans une position peu valorisée, dans une position de pouvoir sur la vie d’autres individus.

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