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« Tu as dix-huit ans et tu ne crois pas à l’amour ! »

Dissertation : « Tu as dix-huit ans et tu ne crois pas à l’amour ! ». Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  18 Novembre 2018  •  Dissertation  •  2 064 Mots (9 Pages)  •  1 528 Vues

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UNE DES difficultés que traversent les enfants maltraités par leurs parents est

qu’ils continuent longtemps à les aimer. Poussés par le discours parental,

il semble qu’ils aient une tendance naturelle à aimer ceux qui s’occupent d’eux,

même s’ils leur font plus de mal que de bien. Si l’on plaint ces jeunes victimes,

c’est qu’on sent que l’enfant ne peut s’empêcher d’aimer ses parents, et la

jeunesse, d’aimer en général.

118 PARTIE II – TEMPORALITÉS DE L’AMOUR

Telle est l’intuition qui explique l’exclamation du jeune Perdican au sujet

de Camille, qu’il aime, qui l’aimait autrefois et refuse pourtant le mariage : « Tu

as dix-huit ans et tu ne crois pas à l’amour ! » Pour lui, la jeunesse aime : cela

est naturel, normal, et s’il est compréhensible qu’on n’y croie plus lorsqu’on

est âgé, il faut des circonstances exceptionnelles pour ne pas y croire étant

jeune. L’amour n’est donc pas seulement expliqué par la jeunesse et opposé à la

vieillesse, il est aussi présenté comme une croyance, ce qui pose la question de

son caractère illusoire. Relier la jeunesse à l’amour, est-ce nécessairement en

faire une illusion juvénile, une croyance naïve qu’il faudra, un jour ou l’autre,

abandonner au nom de la vérité ?

Nous commencerons par expliquer pourquoi l’amour et la jeunesse sont

logiquement associés : ils s’entretiennent en fait l’un l’autre. Mais ce lien, a

priori vertueux, conduit à penser que cette croyance est une forme de naïveté,

voire une illusion. Nous nous demanderons donc enfin si cette naïveté est

coupable, ou si, au contraire, elle n’est pas louable.

POUR qu’on s’étonne qu’une jeune fille de dix-huit ans ne croie pas à l’amour,

il faut tenir pour acquis que la jeunesse a tendance à y croire. Le fait est

qu’il semble y avoir un lien entre l’âge et cette croyance, l’amour étant lié à la

jeunesse, d’une double façon.

L’amour, en général, semble animer la jeunesse plus que la vieillesse. Stendhal

le répète souvent par la voix du narrateur, qui s’étonne ainsi que Fabrice,

« malgré son âge, [...] ne connaissait point l’amour »3

. Cela ne veut pas dire que

les personnes plus vieilles ne s’intéressent pas aux liens sociaux ou à l’idée

de couple. Mais lorsque Égée, père d’Hermia, veut marier sa fille à Démétrius,

il invoque « l’obéissance » que lui doit sa fille, alors qu’elle l’invite à prendre en

compte ses sentiments4

. La jeunesse croit à l’amour, elle lui donne une place

importante, alors que la maturité dit privilégier la raison. Ce lien n’a rien de

surprenant si l’on considère que la raison et le calcul supposent un développement

qui prend du temps. L’expérience serait donc ce qui s’est développé

chez l’adulte, la personne mûre, et n’est encore qu’en germe chez le jeune ou

l’enfant.

Ce lien est confirmé par le fait que la réciproque semble vraie. L’amour

contribue à rajeunir l’amoureux, car il lui donne un élan qui rappelle l’énergie

des jeunes gens. Dans Le Songe d’une nuit d’été, toute l’action est menée par les

amants et ce, quel que soit leur âge : Obéron le premier, amoureux de Titania,

et Thésée épris d’Hippolyta sont les deux moteurs de l’intrigue, et leur mobile

unique, c’est l’amour. Dans Le Banquet, les convives parlent de l’amour à travers

3 p. 205 4

I, 1, p. 51

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un éloge du dieu Éros. Socrate en fait la généalogie : Éros serait fils de Penia,

mendiante, ce qui explique la souffrance qu’il y a dans l’amour, le manque. Mais

Éros est aussi le fils de Poros, « passionné de savoir et fertile en expédients »5

.

C’est cette ascendance qui fait qu’il ne recule jamais, qu’il est inventif pour

séduire, qu’il est jeune. Parce qu’il est un moteur puissant, l’amour rajeunit, au

sens où il fait disparaître la fatigue de l’âge.

Voilà pourquoi le fait d’être jeune et de ne pas croire à l’amour semble

improbable, fait figure d’anomalie. Chez Platon, aucun des interlocuteurs ne

semble envisager un instant qu’on puisse être jeune et ne pas aimer les beaux

corps. Dans le roman de Stendhal, Fabrice recherche l’aventure (il part au

combat6

), se passionne pour les chevaux puis pour l’archéologie7

. Ce jeune

homme aime ! Il aime notamment la gloire, l’honneur, et peut-être s’aime-t-il

beaucoup. Mais un amour lui fait défaut, qui suffit à lui donner le sentiment

d’être étranger à tous les jeunes qu’il croise : il ne sait pas « aimer d’amour »8

.

...

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