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Le devoir m’empêche-t-il d’être heureux ?

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Par   •  4 Janvier 2020  •  Dissertation  •  2 140 Mots (9 Pages)  •  938 Vues

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Le bonheur est un état de satisfaction durable, de sentiment de plénitude excluant tout manque. La notion de bonheur est donc intimement liée au désir : le désir étant le résultat d’un manque, être heureux, ce serait réaliser tous ses désirs. Le devoir, quant à lui, c’est ce qui désigne l’ensemble des règles qui guident la conscience morale. Il est accompli par obligation, en dehors de toute considération de volonté ou de désir. Ainsi, on pourrait penser que mon devoir ne me permet pas d’être heureux puisque je ne réalise pas quelque chose issu de ma volonté. 

Le devoir, envisagé comme contrainte extérieure m’empêche-t-il d’être heureux ? Si le devoir est un choix, ce choix implique-t-il le renoncement au bonheur ? Moralement, devoir et bonheur sont-ils incompatibles ? Le bonheur peut-il être obtenu indépendamment de l’accomplissement du devoir ?

Le devoir a de nombreuses origines mais certaines apparaissent clairement comme des origines fondamentales : le père, l’État, un dieu. Vivre en société, c’est tout d’abord vivre en famille. Dans une famille, les individus ont tissé des liens forts les uns avec les autres et chaque individu a donc pour devoir de contribuer aux besoins de ce groupe ou encore de faire respecter une harmonie au sein de celui-ci. C’est pourquoi, pour l’enfant, les premières lois viennent du père. Mais ce père tire son autorité d’autres autorités : d’abord celle d’une société patriarcale qui attend de lui d’être une figure de pouvoir ; et ensuite d’un système religieux qui l’a confirmé dans ce rôle. Il y a un point commun entre toutes ces autorités : ces figures inspirent un sentiment très étrange chez les autres, que Kant nomme le respect. Il s’agit d’un mélange de crainte et d’admiration, un sentiment de distance dans lequel on mesure ses propres limites et son infériorité. On comprend donc que le devoir nous fait vivre une expérience, qui est l’expérience du sacré : il s’agit presque d’une expérience mystique. Peut-on réellement trouver le bonheur face à une figure qui nous dépasse et fait naître en nous le désir d’être comme elle, à sa place ?

Pour se convaincre que le devoir est une contrainte extérieure et culturelle, il suffit d’imaginer une fiction à l’image de celle que le philosophe Hobbes nous décrit dans Léviathan. Il imagine un homme à l’état de nature, sans famille, sans État, sans culture, sans religion, sans langue et sans devoirs. Ce qu’il en reste, est un individu solitaire, amoral, égoïste et violent, ne connaissant que deux passions primitives : la peur et le désir. Cette peur provient du fait que dans cet état de nature, nul n’est longtemps le plus fort, et même le plus fort peut être détruit par le plus faible sans aucun effort. D’autre part, le désir définit la liberté humaine comme le droit de tout homme sur toute chose. Le problème du désir, c’est qu’il est mimétique et que par conséquent, je désire ce qu’autrui possède ou désir, et mon plaisir c’est de l’en priver. Si bien que l’état de nature est un enfer sur terre dans lequel les hommes se font la guerre. Il fallait tout faire pour sortir de cette condition ; d’où l’idée d’une réunion entre les hommes, ponctuée par un pacte. Tous s’engagent à renoncer à leur droit de nature qui est un droit sacré d’agression et de vengeance. Un individu ou un gouvernement va hériter de toute cette force abandonnée et il est impératif que lui seul demeure dans l’état de nature. L’État est au-dessus des lois, il n’est pas engagé par celles-ci. Les citoyens, en revanche, ont renoncé au désir et se sont soumis à la peur.

Or, ce désir inassouvi est vécu comme une souffrance pour ces hommes. C’est la thèse que soutient Schopenhauer dans Le Monde comme Volonté : « tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance ». Il est dur d’imaginer le bonheur chez des individus plongés en permanence dans la souffrance de désirs insatisfaits. Quand bien même un homme serait capable d’assouvir un de ses désirs et éprouverait de la satisfaction, le désir satisfait ferait place aussitôt à un nouveau désir. Selon Schopenhauer, la satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable.

Nous avons donc déterminé que le devoir, vécu comme une contrainte d’origine extérieure, est issu d’une autorité mais que celle-ci a reçu cette force de la peur des hommes, qu’ils ont privilégiée au désir. En étant privé de leur liberté de satisfaire leurs désirs, les hommes se sont enseveli dans une souffrance ponctuée de plaisirs brefs. Mais le devoir est-il véritablement l’expression d’un commandement ou d’un ordre extérieur ? N’y a-t-il pas quelque chose d’intérieur à ce devoir qui pourrait apporter quelque chose à l’individu ?

Ce sont des interrogations auxquelles Kant pourra peut-être répondre dans la Fondation de la Métaphysique des Mœurs. Selon lui, « le devoir ne mérite ce nom que lorsqu’il est pris en charge par une subjectivité, c’est-à-dire par une conscience :  cette conscience, Kant la nomme aussi volonté (Wille en Allemand). Chez Kant, la notion de devoir est liée à la notion de liberté et celle de volonté. Il n’y a pas de devoir sans volonté. Selon Kant, “le devoir désigne la nécessité pratique d’accomplir une action par respect pour la loi morale”. Le devoir, puisqu’il est nécessaire, prend toujours la forme d’un impératif. Le problème, c’est qu’il existe deux grands types d’impératifs : l’impératif hypothétique et l’impératif catégorique. L’impératif hypothétique désigne la manière dont on doit procéder pour atteindre un but. Il a donc pour forme : “si tu veux ceci, fais cela”. Cependant, dans cette formulation, on voit bien que l’impératif porte sur le moyen, et non sur la fin. C’est pour cette raison que Kant l’appelle “impératif technique” ou encore “impératif de l’habileté”. Mais qu’est-ce que la “technique” ? Il s’agit de l’emploi efficace de moyens en vue d’une fin. La technique est neutre moralement, elle n’est ni bonne, ni mauvaise. Par exemple, la médecine est une technique ; Pasteur et Mengele sont médecins. Ils utilisent donc le même savoir mais pas dans le même but. On comprend donc bien que l’impératif hypothétique ne permet pas de déterminer la valeur morale du but. L’impératif catégorique, quant à lui, prescrit la nécessité d’une action conçue comme bonne en elle-même. Il a donc pour forme : “fais cela”. Pourtant, on voit bien que cette formulation n’a aucune garantie morale. Kant fait donc appel à deux critères pour décider de la morale d’un impératif : l’universalité et le désintéressement. Le premier critère, Kant le définit ainsi : “agis de manière à ce que tu puisses vouloir que raison de ton action devienne une loi de la nature”. Une action est morale si et seulement si les intentions qui la guident peuvent être appliquées à tous, partout, et tout le temps. Le deuxième critère est le désintéressement : une action morale doit être gratuite, elle ne doit pas satisfaire un penchant. Kant établit une distinction assez fine entre l’action faite par devoir et l’action seulement conforme au devoir. “La loi morale est le fait de ma volonté législatrice, d’une décision de mon libre arbitre (Willkür en Allemand). La loi, je ne la reçois pas de quelqu’un, ni d’un homme, ni d’un dieu, ni d’une chose”. Si le devoir est un choix et que notre raison a décidé de l’accomplir, ne serait-on pas en train de répondre à nos désirs en accomplissant notre devoir ? Mais n’y a-t-il pas quelque chose de caché derrière cette raison ?

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