Le joujou du pauvre
Fiche : Le joujou du pauvre. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar nxmabd • 9 Décembre 2022 • Fiche • 2 374 Mots (10 Pages) • 401 Vues
Commentaire de texte : Le joujou du pauvre
ABDDEDAIM NASSIM 1G3
La logique narrative : le poème comme apologue
- Une organisation binaire
Le monde représenté est bien en apparence celui d'un apologue qui prend ici l'allure d'un conte. On retrouve en effet le goût du conte pour les organisations binaires, les oppositions tranchées, les différences nettes.
Le titre programme cet horizon d’attente, créant une connivence avec le lecteur :
- Deux espaces que tout oppose : le premier semble positif, beau et riche, le second négatif, laid et pauvre. Des barreaux sont là comme pour séparer ces deux univers, les empêcher de communiquer. Du côté de l’enfant riche, tout n’est que luxe, richesse, beauté et immensité. L’accumulation des compléments circonstanciels de lieu (l.11 : « Sur une route, derrière la grille d’un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d’un joli château frappé par le soleil ») souligne l’étendue de la propriété, ce qui augmente l’importance de l’adjectif « vaste » tandis que le mot « château » évoque la richesse. La description comporte de nombreux termes mélioratifs comme « beau », « si pleins de coquetteries », « luxe ». Le lieu se trouve alors doublement mis en lumière par l'ampleur de la syntaxe et par le jeu des couleurs. Il est caractérisé par « la blancheur » et il se voit surtout inondé de lumière ainsi que le suggère l'image « frappé par le soleil ».
Le second espace désigne lui un cadre naturel, sauvage, ainsi que le suggèrent la mention de « la route » mais surtout « les chardons et les orties ». Ces plantes piquantes symbolisent la dureté de cette vie. Ce cadre plus rustique voit sa description réduite à sa plus simple expression puisqu'elle tient en une courte phrase qui est différente de la précédente (l.19 : « De l’autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties »). Le poète souligne ce contraste en recourant à l'expression « deux mondes ». Chacun de ces univers constitue donc une partie d’un tableau, d’un tableau descriptif, qui donne à voir ce qui sépare ces deux mondes : « ces barreaux ».
- Deux enfants : Les personnages doublent les oppositions sociales : l'enfant riche et l'enfant pauvre. Ainsi, restant chacun dans leur univers, ces protagonistes s'avèrent incompatibles. Baudelaire met en scène leur confrontation à travers tout un jeu de contrastes pour rendre leurs différences visibles et saisissantes. Au luxe et à la richesse du vêtement de l’enfant riche répond la saleté et la pauvreté de l'autre. Le poète oppose le lexique mélioratif au lexique péjoratif.
Tout comme pour le lieu, le portrait du miséreux tient, en quelques mots comme pour signifier sa misère. L'accumulation « sale, chétif, fuligineux » (= couleur de suie, noir) fait mauvaise figure face à la belle description du petit riche. Il s'agit pour le poète de ménager le registre pathétique afin de sensibiliser le lecteur. Le terme « chétif » relie misère et santé fragile. Le terme « marmots », qui est du vocabulaire familier, s'oppose au terme « enfant », comme si le pauvre n'avait pas de valeur ou comme s'il était privé de l’heureuse enfance. Le terme « parias », lui, signifie l'exclusion, l'ostracisme que peuvent subir les plus démunis, ce que suggère l'adjectif « répugnante » : la misère peut en effet dégoûter. Le poète recourt à plusieurs périphrases comme « le petit souillon » ou « les enfants de la pauvreté ou de la richesse » qui sont les propos que pouvaient avoir les classes les plus aisées.
-Deux jouets : l'opposition des jouets reconduit les oppositions antérieures : « un joujou splendide » d'une part, « un rat » de l’autre. Ainsi la mise en scène de ces différences s'achève par l'évocation des jouets respectifs de ces enfants. Celui du riche est à son image, « vêtu d’une robe pourpre ». La comparaison « aussi frais que son maître » compare le jouet à l'enfant. Baudelaire nous montre donc cette ressemblance et nous présente l'objet comme un symbole. Pour le décrire, l'auteur recourt à des hyperboles (exagérations) comme « splendide » ou « couverts de plumets et de verroteries » Les adjectifs qualificatifs mélioratifs comme « verni doré » ou encore « pourpre » renchérissent la valeur de ce qui semble être une poupée « robe ». Cette splendeur contraste donc avec le rat, objet de l'amusement du pauvre. Le choix de cet animal renforce l'idée de misère et de détresse sociale puisque le rat représente la saleté, la maladie, ce qui dégoute.
b) La rupture des attentes
Toutes ces oppositions apparentes se doublent d'autres oppositions qui inversent les extrêmes négatifs et positifs, ce qui participe à la distanciation ironique de l’œuvre :
-Deux espaces : le monde du château est comme figé, endormi, c'est un lieu d'enfermement, de captivité, alors que la grande route est symbole d'ouverture, d'espace, de liberté. D'ailleurs « la grille » permet à ces deux espaces de communiquer, les frontières ne sont pas infranchissables, puisque les regards passent au travers. Il y’ a donc une opposition entre l'article indéfini qui représente la description du premier lieu (l.11 : « une route (...) un jardin (…) un château »), lieu qui n’est pas défini, vague, flou, irréel, et l'article défini qui lui identifie le lieu du pauvre (l. 19 : « la route (…) les chardons et les orties). De même, quant à la fin du texte ces deux lieux sont à nouveau évoqués, seule la route est affectée d'un adjectif caractérisant (« la grande route ») alors que « le château » a perdu tous ses qualificatifs, et notamment celui de « joli » qu'il avait au départ (l.12 : « joli château »).
-Deux enfants : le premier est « un enfant beau et frais, habillés de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie », le second est incroyablement beau « comme l’œil du connaisseur devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier ». Donc, l'enfant pauvre exhibe ainsi une beauté naturelle qui échappe à la coquetterie alors que l'enfant riche n'est beau que grâce à ses vêtements. (Beauté naturelle vs Beauté artificielle). Le fait que le même terne de « vernis » désigne les deux montrent d'ailleurs cette comparaison entre la beauté naturelle de l'un et la beauté artificielle de l'autre « si jolis qu’on les croirait fait d’une autre pâte » (l. 15) comme s'ils étaient, ces enfants riches, fabriqués, factices.
-Deux jouets : le jouet de l'enfant pauvre est « gisant » donc associé à quelque chose de mort, de morbide, alors que l'autre est « un objet rare et inconnu », « un rat vivant !» : il y a bien ici une forte antithèse. Donc, même si le lecteur peut déduire de la description du jouet de l'enfant riche qu'il s'agit sans doute d'une poupée, le fait que ce joujou ne soit pas identifié, fait qu’il est dévalorisé.
c) La morale de l’histoire
Le texte met donc en scène une petite histoire qui vient contredire nos attentes et constituer un effet de surprise. Effets de surprise renforcés par la chute finale : le joujou du pauvre est un rat vivant ! D'où un choc que ressent le lecteur, qui invite à tirer une leçon, la morale de cet apologue. Cette leçon semble assez facile à énoncer : en montrant les deux enfants regarder ensemble le jouet de l'enfant pauvre, le rat vivant, tout se passe comme si cette histoire visait à annuler les barreaux symboliques entre les classes sociales. Le texte oublie les oppositions de classes sociales et prend le parti des pauvres. Les indices allant dans ce sens sont : l'adverbe « fraternellement » qui marque l'union des deux enfants, leur rire partagé qui montre leur complicité, l'expression « des dents d’une égale blancheur » avec une idée d'égalité, et aussi cette blancheur qui pourrait montrer une forme d'innocence, ce qui ne sait pas ce que c'est que le mal. Là où la société produirait de la violence, de l'exclusion, Baudelaire veut un monde d'innocence, comme le monde de l'enfance, pour montrer l’égalité de tous les êtres humains. On est donc dans une vision, égalitariste, avec un idéal pour l’humanité.
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