Peut-on encore croire les médias ?
Cours : Peut-on encore croire les médias ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Mathilde Bigot-Griffon • 15 Janvier 2024 • Cours • 5 826 Mots (24 Pages) • 139 Vues
1. Peut-on encore croire les médias ?
« Pour le journaliste, tout ce qui est probable est vrai 1. »
Apparus au XVe siècle à la suite de l’invention de l’imprimerie, les premiers journaux remplacent progressivement les crieurs publics 2 dans leur rôle d’information de la population, visant à la fois à faire connaître un évènement et à lui donner une explication ou une signification. En se professionnalisant, le journalisme aiguise ses exigences comme celle de vérité́ – et développe des problématiques qui lui sont propres – comme celle de l’objectivité́. Pourtant, régulièrement, des voix s’élèvent pour dénoncer les entorses des journalistes à leurs devoirs ; leur critique porte sur un manquement tant à la conception du métier qu’à la manière de l’exercer. À quelle éthique l’information doit-elle répondre ? L’objectivité́ est-elle chose possible ? Et quelle est la légitimité́ de l’information à l’heure du numérique ? Car le journal radio ou télévisé́ et la presse écrite sont aujourd’hui concurrencés, voire supplantés, par Internet (à travers ses sites d’information, ses réseaux sociaux, ses blogs ou les pages d’accueil de ses fournisseurs), accessible presque n’importe où, n’importe quand et par n’importe qui. Plus rapides et en apparence plus démocratiques, ces nouveaux modes de circulation de l’information ont démultiplié́ la quantité́ disponibles et d’informations modifié tant la définition du contenu journalistique que la conception du métier. Si bien qu’on s’interroge aujourd’hui à plusieurs titres : peut-on encore croire les médias ?
- Honoré de Balzac, Monographie de la presse parisienne, 1843.
- . Crieurs publics : ceux qui allaient de ville en ville pour annoncer au public une information.
1. Pour une éthique de l’information
■ Document 1 :
Depuis 1918, le métier de journaliste possède un code de déontologie, c’est-à-dire un ensemble de règles destinées à assurer la respec- tabilité morale de la profession. L’établissement de cette charte fut l’acte fondateur du principal syndicat de journalistes français, le SNJ (Syndicat national des journalistes). Elle a été révisée en 1938 et réactualisée en 2011, sous le titre « Charte d’éthique profession- nelle des journalistes ». Ce texte fait figure de référence, même s’il existe depuis 1971 une « Déclaration des devoirs et des droits des journalistes », appelée « Charte de Munich », adoptée par tous les syndicats de journalistes européens, définissant un ensemble de droits et de devoirs fondamentaux des journalistes.
Charte des devoirs professionnels des journalistes français
[...] un journaliste, digne de ce nom :
– prend la responsabilité́ de tous ses écrits, même anonymes ;
– tient la calomnie, les accusations sans preuves, l’altération 5 des documents, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles ;
– ne reconnait que la juridiction de ses pairs1, souveraine en matière d’honneur professionnel ;
– n’accepte que des missions compatibles avec la dignité́ professionnelle ;
– s’interdit d’invoquer un titre ou une qualité́ imaginaires2, d’user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque ;
– ne touche pas d’argent dans un service public ou une 15 entreprise privée où sa qualité́ de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ;
– ne signe pas de son nom des articles de réclame 3 commerciale ou financière ;
– ne commet aucun plagiat 4 , cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque ;
– ne sollicite pas la place d’un confrère, ni ne provoque son renvoi en offrant de travailler à des conditions inferieures – garde le secret professionnel ;
– n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ;
– revendique la liberté de publier honnêtement ses informations ;
– tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières ;
– ne confond pas son rôle avec celui du policier.
Paris, juillet 1918, révisée en janvier 1938.
- Pairs : confrères.
2. Le journaliste ne doit pas se faire passer pour quelqu’un d’autre afin d’obtenir une information.
3. Réclame : publicité.
4. Plagiat : fait de copier les écrits d’un autre auteur sans le mentionner. - SNJ, « Charte des devoirs professionnels des journalistes français », [www.snj.fr/spip.php ?article65]. 1. Globalisé : mondialisé.
Compréhension et analyse
1. Quelles qualités la charte exige-t-elle des journalistes ? 2. Dès lors, quelle est la visée de ce texte ?
■ Document 2
Ancien rédacteur en chef du quotidien suisse francophone La Tri- bune de Genève, Daniel Cornu interroge l’essence et la fonction de la presse dans Journalisme et vérité, publié en 1994 et réédité en 2009. Dans l’introduction de son essai, tout en rappelant la néces- sité d’une visée éthique de l’information, il pointe du doigt les dif- ficultés auxquelles se heurte cette dernière à notre époque, dans un monde médiatique en pleine mutation et alors que la liberté de la presse n’est pas respectée en tout point du globe. Une éthique de l’information a-t-elle encore sa place dans un monde médiatique globalisé1, soumis à une concurrence à outrance et plus que jamais déterminée dans ses évolutions par des impératifs commerciaux ? De nombreux indices suscitent 5 l’inquiétude. L’information est traitée comme une marchandise. Un journalisme de marché tend à se substituer à un journalisme d’intérêt général. Le citoyen s’efface derrière le consommateur. La rentabilité économique d’un média oriente de manière déci- sive et souvent exclusive son projet éditorial. Les conditions de 10 production de l’information découlent des objectifs et des moyens financiers des entreprises du secteur privé ou du service public. Elles sont plus ou moins propices à un « bon journa- lisme ». Dans leur aspiration à une pratique qui s’inspirerait des normes professionnelles et répondrait à des critères de qualité, 15 les journalistes ne sont pas tous placés sur le même pied. Ils sont invités pourtant à se réclamer de règles analogues très largement partagées. Le décalage fréquent entre l’énoncé des normes pro- fessionnelles et leur application justifie à lui seul une réflexion sur la nécessité d’une visée éthique : comment dégager aujourd’hui la voie d’un journalisme fidèle à sa mission originale ? L’attention portée dans les démocraties modernes à la pré- gnance 1 des impératifs commerciaux ne doit pas faire oublier non plus que la liberté de la presse est encore loin d’être égale- ment distribuée dans le monde. Une association comme Repor- 25 ters sans frontières se charge inlassablement de dénoncer les pressions politiques, les exactions des pouvoirs, les atteintes à la liberté et à l’intégrité physique des journalistes. Or la liberté n’est pas seulement l’une des valeurs constitutives de l’éthique de l’information. Elle en est la condition même. Sans liberté, 30 comment prétendre rechercher la vérité, valeur centrale de l’information ? Comment apprécier sereinement la relation tou- jours instable entre l’intérêt public à la diffusion d’une information et le respect dû aux personnes ?
Poser ces questions, c’est afficher d’emblée un projet de résistance. L’évolution qui est engagée n’est pas une fatalité. Elle n’oblige ni à la résignation ni à la démission. La résistance n’est pas pour autant conservatrice. Elle ne conduit pas à se réfugier dans un âge d’or du journalisme qui n’a sans doute jamais existé. Elle se veut au contraire ouverte aux changements. Les pratiques médiatiques ne cessent de se renouveler, sous l’influence d’innovations techniques inéluctables1. Qui préten- drait contrer un jour, au nom de principes moraux, le développe- ment des images et leur diffusion, l’extension des instruments de la communication, la démocratisation 2 planétaire de l’Internet? Ni l’éthique, ni les normes déontologiques qui en découlent ne sont déclassées par ces changements. Elles sont au contraire même au défi d’y répondre. Au terme de la première décennie du XXIe siècle il leur appartient de définir les conditions d’un « bon journalisme » dans un monde médiatique en pleine mutation.
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