Les caractères la Bruyère
Commentaire de texte : Les caractères la Bruyère. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar soja93 • 29 Décembre 2023 • Commentaire de texte • 2 842 Mots (12 Pages) • 175 Vues
Les moralistes sont des auteurs qui se questionnent sur le comportement et les valeurs de
l’homme en société. Ils forment un petit courant au sein du classicisme, entre littérature et philosophie,
sans pour autant revendiquer le nom de moralistes. Loin d’être des auteurs de traités de morale, ils
préfèrent les formes brèves et fragmentaires (par exemple un recueil de fables, de portraits, de
maximes) afin de mimer la souplesse de la conversation de salon, pour mieux plaire à leur public
essentiellement mondain. Ils s’écartent d’une réflexion abstraite et explorent les ressources de
l’anecdote concrète ou comme ici du portrait. Le portrait est donc l’occasion d’une
argumentation indirecte : en faisant le blâme d’un personnage, l’auteur fait aussi celui d’un vice.
La Bruyère publie Les Caractères ou les mœurs de ce siècle à la fin du XVIIe siècle (1688-1696). Il
revendique le statut d’observateur des mœurs de son siècle lorsqu’il affirme dans sa préface : « Je
rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage ». Son œuvre
connaît un très grand succès (neuf rééditions du vivant de l’auteur) qui confirme l’engouement du
public à cette époque pour ce genre d’études morales. Ce succès est celui d’une description
souvent pessimiste des comportements, qui souligne l’écart entre l’être et le paraître, mais également
celui d’une observation aiguë de l’individu en société, par laquelle le moraliste se fait sociologue ou
anthropologue. L’auteur réalise cette entreprise notamment à travers une galerie de portraits : il
s’inspire en cela des écrits du philosophe grec Théophraste (372-287 av. JC). Celui de Gnathon en
fait partie et s’inscrit dans le chapitre « De l’homme ». Dans ce texte, l’auteur imagine des vices
abstraits incarnés dans un homme et pousse le tableau jusqu’à la caricature, liant ainsi rire et savoir
puisque le texte s’efforce de plaire tout en instruisant.
Pbq : Nous nous demanderons alors en quoi ce portrait divertissant invite le lecteur à une réflexion
morale.
Lecture. Plan : I. Un homme ou une bête ? La peinture d’un vice déshumanisant (l. 1 à 12, de « Gnathon
ne vit que pour soi » à « il écure ses dents, et il continue à manger. »)
II. Un monstre d’égoïsme (l. 12 à 21, de « Il se fait, quelque part où il se trouve » à « l'extinction du
genre humain. »)
I. Un homme ou une bête ? La peinture d’un vice déshumanisant (de « Gnathon ne vit que pour
soi » à « il écure ses dents, et il continue à manger. »)
La Bruyère réalise à la fois le portrait d’un personnage, Gnathon, et celui d’un vice qui lui
n’est nommé nulle part dans le texte, conférant ainsi plus de force à sa satire et invitant le lecteur à
participer à la construction du sens du texte. Gnathon incarne ce vice : ce nom propre emprunte la
racine grecque gnathos, la mâchoire. L’onomastique confère ainsi une portée universelle au
personnage (il incarne un vice plus qu’un individu) et indique également que la gloutonnerie fait
partie de l’identité du persg. Cette voracité bestiale est ainsi le premier symptôme du vice que dépeint
le moraliste. Le texte débute en effet par le portrait en actes du personnage en plein repas.
A. Un seul être au monde : soi-même (du début jusqu’à « les savourer tous, tout à la fois. »)
« Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s'ils n'étaient
point. » : on peu d’abord remarquer que tout le texte est rédigé au présent. Ce temps permet d’actualiser
le portrait et de donner à voir le personnage (= valeur narrative ou descriptive du présent dans les
verbes « occupe », « dégouttent », « enlève »). Ce temps accentue également la portée universelle de
Gnathon, car le présent peut aussi avoir une valeur de vérité générale (en particulier dans cette première
phrase : « vit… sont »). La présence de la négation restrictive (« Gnathon ne vit que pour soi »)
annonce l’égoïsme ou l’amour propre excessif du persg, que confirme le retour de la négation à la
fin de la phrase dans la subordonnée de comparaison « comme s'ils n'étaient point. » On remarquera
que la négation est récurrente au sein du texte: le propre de Gnathon est effectivement de nier l’autre,
tant son égoïsme est fort. Dès le début du texte, l’opposition ou la distance entre Gnathon et les
autres est donc nettement marquée. On remarquera ainsi que les termes qui désignent les autres, soit
des pronoms au pluriel (« ils »), soit des noms génériques (« tous les hommes ensemble », « la
compagnie », « le genre humain »), laissent autrui dans l’indistinction, comme si l’on voyait le
monde à travers les yeux de Gnathon : les autres ne constituent qu’une masse informe, indéterminée,
constituée d’hommes sans identité ni individualité.
« Non content de
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