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Peut-on être l'historien de son temps ?

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Par   •  6 Juin 2024  •  Dissertation  •  2 115 Mots (9 Pages)  •  70 Vues

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Peut-on être l’historien de son temps?

En examinant les travaux de Thucydide, considéré comme l'un des pères fondateurs de l'Histoire, nous pouvons observer comment cette interrogation traverse les siècles. Thucydide a choisi de documenter les événements contemporains à son époque, en l'occurrence la Guerre du Péloponnèse(-5ème sc avt JC), dans le but de transmettre une mémoire aux générations futures. Pour lui, ces événements n'étaient pas spécifiques à son époque, mais des "trésors pour toujours". Cependant, la définition actuelle de l'Histoire se définit comme l'ensemble des événements relatifs à l'humanité, transformés en faits passés par les historiens, ce qui sous-entend un sens du passage temporel avec ce qu'il a d'irréversible. On peut cependant distinguer 2 sens de ce terme : l'histoire réelle, "Geschichte" en allemand, qui signifie les faits accomplis ou le devenir historique, et l'histoire comme discipline, "Historie" en allemand, soit la connaissance que l'historien essaie de constituer. Bien sûr, l'un et l'autre sens sont liés car on connaît le premier grâce au second et le premier n'existe que par et dans le second. Ainsi, ce qui fait le lien entre l'histoire en tant que telle et en tant que discipline, c'est bien le travail de l'historien. Ce dernier est donc un spécialiste des actions humaines, des faits sociaux ou politiques considérés à travers une variable, le temps, qu'il rapporte dans un récit organisé selon la chronologie. L’Histoire est un moyen pour l’homme d’appréhender le temps. Cette dimension du réel qui rend possible et compréhensible le changement où se déroulent les événements naturels et l’existence humaine est étudiée par les historiens. Il a pour objectif de se rapprocher le plus de la réalité en rapportant des événements qui ont réellement eu lieu, ce qui sous-tend donc une norme de vérité. L'histoire, entre science car reposant sur des preuves, traces et littérature car elle repose sur un récit constitué par les historiens, est bien une activité de connaissance, celle du passé humain. Cependant, cette connaissance ne consiste pas seulement en une suite d'événements, mais cherche aussi à tracer des liens de cause à effet entre ceux-ci. D'ailleurs, dans "Les Guerres du Péloponnèse" (au Vème siècle avant J.-C.), Thucydide prend pour sujet des événements qui lui sont contemporains car pour lui faire l'histoire de cette guerre, c'est aussi en élucider les causes. L'histoire doit être avant tout explicative, voire démonstrative selon lui. Mais en se penchant sur des évènements qui lui sont contemporains, il s’attaque à une dimension du réel qui lui est extrêmement proche.

On peut alors se demander s'il est possible pour un historien de prendre son temps comme objet d'étude. Il semble d'abord que le présent, par sa proximité, en fait justement un objet d'étude idéal pour l'historien.  Cependant, l'objet même de cette discipline, le temps passé et accompli, et les caractéristiques de sa méthodologie semblent indiquer qu'il est impossible pour un historien de faire l'histoire de son présent. On pourra donc se demander finalement quel rôle l'historien peut-il avoir dans l'analyse de son présent en questionnant l'objectif véritable de cette « histoire immédiate » tout en interrogeant sa nécessité.

Tout d’abord, la proximité du temps présent semble faire de lui un objet d’étude idéal pour un historien. Le présent par opposition au passé qui n’est plus et au futur qui n’est pas encore, est le seul qui semble pouvoir exister et être étudier avec le plus de précision possible . Cette étude d’un temps contemporains est définit par la notion d'« histoire immédiate » créée en France dans les années 60. a pour caractéristique principale d'avoir été vécue par l'historien ou ses principaux témoins. Elle obéit aux mêmes objectifs et aux mêmes démarches que ceux et celles qui guident l'étude du passé lointain. Ainsi, les spécialistes s’intéressent aux actions humaines sociales et politiques contemporaine. Le but est de produire un récit, de la même manière qu’avec les faits passés, pour créer une unité à partir d’évènement éparses.

L'historien du présent a donc des avantages dû à la proximité avec ses objets d’études que l’historien du passé ne possède pas. L’historien de son temps a à sa disposition une immense profusion de documents mais aussi des témoins directs. Son travail de recherche est grandement facilité par la facilité d’accès à de multiples sources. De plus, ne pas connaître l'issue des événements peut-être considéré comme un atout car l’historien doit prendre en compte tous les aspects et analyser de la manière la plus complète les éléments et facteurs en jeu. La propre caractéristique du temps est de déformer et d’affaiblir, or un évènement est jugé important par sa singularité. En effet,  ce terme désigne ce qui se produit, arrive ou advient, mais dont le caractère inhabituel ou exceptionnel tranche sur la quotidienneté du passage temporel. La distance entre l'événement et le fait est d'autant plus grande que la prise en considération de l'originalité, de la singularité est difficile. L'historien du présent a la chance d’étudier ces évènements avant même qu’ils aient eut le temps d’être atténuer ou relativiser. Cependant, le présent comme le fait remarquer saint augustin dans ses Confessions(400), le présent n’existe pas plus que le passé et le futur. En effet, le moment présent disparaît à chaque instant pour devenir passé. Il n’est donc pas forcément plus saisissable et l’illusion que l’on se fait du présent de part sa proximité peut aussi faire de lui un élément trompeur dans son analyse.

Il semble alors que l'historien ne puisse prendre son temps comme objet d'étude. D’autant plus que son rôle est par définition de se pencher sur le passé avec le plus d'objectivité possible.  Or, pour Fénelon, l'écrivain religieux et évêque du 17ème siècle, « Le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun pays : quoiqu'il aime sa patrie, il ne la flatte jamais en rien », soit l'historien doit transcender l'actualité dans laquelle il vit. Or, l’historien qui prends l’actualité comme objet d’étude se penche sur des problématiques qui lui sont intrinsèquement lié car il fait partie intégrante de celles là.  Il est son propre sujet d’étude et par cela il semble impossible de le transcender, car il ne peut faire autrement que d’exister dans son temps.   Il est beaucoup plus difficile de poser un regard impartial sur l'actualité que sur des événements si lointains qu'ils nous semblent étrangers. Cela vient aussi donc du fait que celui qui cherche, l'historien, est en même temps l'objet de la recherche dans la mesure où il se penche sur son propre présent, son environnement direct, et ses contemporains. L'astrophysicien qui pense les frontières, qui balance entre le fini et l'infini, parle de sa condition mais ne parle pas de lui. Au contraire, l'historien qui parle de l'actualité parle d'événements pouvant avoir des conséquences directes sur son existence. L'identité même de l'historien se situe au croisement de ces événements qu'il décrit, mais plus ils lui sont proches, plus il est difficile pour lui d'adopter un regard extérieur. Conserver cette norme d'impartialité en écrivant l'histoire du présent semble donc être une activité impossible, comme le souligne l'historien Fernand Braudel dans son ouvrage "Les trois étages de l'histoire" consacré à la conception d'une théorie sur les trois temps (structurels, conjoncturels, et événementiels) : « Méfions-nous de cette histoire brûlante encore, telle que les contemporains l'ont sentie, décrite, vécue au rythme de leur vie, brève comme la nôtre. Elle a la dimension de leur colère, de leurs rêves et de leurs illusions ». Cette extrait souligne bien les problèmes majeurs auxquels un historien peut être confronté lorsqu'il étudie sa propre époque. L'Histoire en tant que connaissance produite par des historiens résulte d'abord d'une sélection d'événements parmi d'autres jugés plus ou moins importants pour expliquer l'enchaînement chronologique de ces derniers. Ce jugement d'importance sur les événements ne se fait donc pas par rapport à la taille de ceux-là mais aux conséquences qu'ils entraînent. Or ce travail peut sembler compliqué voir impossible à réaliser par un contemporain de l'époque étudiée. Le philosophe danois du 19ème siècle, Kierkegaard, le souligne ainsi : « Le contemporain ne voit pas la nécessité de ce qui devient, mais, quand il y a des siècles entre le devenir et l'observateur, alors il y voit la nécessité ». On comprend bien que sans un recul nécessaire, il est difficile de voir l'importance des événements car on ne peut prévoir leurs conséquences.

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