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Peut-on partager ses sentiments?

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Par   •  12 Avril 2023  •  Dissertation  •  2 051 Mots (9 Pages)  •  625 Vues

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PEUT-ON PARTAGER SES SENTIMENTS ?

Rousseau publie en 1778 son ouvrage Rêveries du promeneur solitaire. La rêverie est au cœur du romantisme, de l’imagination créatrice des auteurs face à la nature. Elle permet à Rousseau de traduire sa sensibilité. Il tente alors de partager ses sentiments. Or, il pense également que la vie sociale inhibe la pitié naturelle de l’homme. Selon lui, l’homme est bon par nature mais la société l’empêche d’agir vertueusement. Il semble alors légitime de se demander si l’homme peut partager ses sentiments. Le sentiment est la prise de conscience d’un état émotionnel. Comme l’émotion, il s’agit d’un état affectif, mais contrairement à elle, il ne se traduit pas nécessairement par un signe physique et il s’installe durablement chez l’homme. Son ressenti est moins intense. Les sentiments sont donc des émotions conscientisées par le cerveau et qui durent dans le temps. Ainsi, la haine est un sentiment attisé par la colère (émotion) ou l’admiration est un sentiment nourri par la joie (émotion). De plus, le verbe pouvoir indique que nous tenterons de comprendre si l’homme a la capacité ou la possibilité de partager ses sentiments. Un des présupposés suggère que l’homme souhaite les partager, qu’il en a envie. C’est dans la nature humaine de vouloir mettre des mots sur un ressenti et d’en faire part à autrui pour expliquer un comportement ou pour se faire comprendre. L’homme semble désirer contrôler ce qui l’entoure. Or, les sentiments font partis des éléments qui peuvent ou semblent échapper au contrôle humain. Mais alors, les hommes ne peuvent-ils pas partager leurs sentiments pour éviter cela ? ce partage ne leur permettrait-il pas de mieux se comprendre ? et cette compréhension n’est-elle pas une clef pour avoir le pouvoir sur autrui ? car quand on comprend, on peut agir la plupart du temps.

Ainsi, nous allons nous demander si l’homme a la capacité de comprendre l’expérience, la sensibilité de l’autre.

Après avoir montrer qu’il semble compliqué de partager ses sentiments, nous verrons que cela peut toutefois s’avérer possible entre humains.

        Premièrement, le partage des sentiments, de son expérience semble difficile.

Tout d’abord, l’expérience des interlocuteurs est trop éloignée ; autrui est trop éloigné de moi. En effet, ces derniers sont différents et ne ressentent pas les mêmes sentiments, car ils réagissent de manière distincte. Ils ne vivent pas la même situation familiale qui leur donne alors des opinions sur la famille plus ou moins positifs en fonction de ce contexte. Aussi, ils ne partagent pas nécessairement la même culture qui leur donne des valeurs différentes. Ils ne possèdent pas non plus le même profil psychologique qui détermine leurs forces et leurs faiblesses. La barrière de la langue peut aussi les séparer et selon certains philosophes, la vision du monde est formatée par la langue. Alors, l’expérience des deux interlocuteurs varie sensiblement en fonction de ces critères et ils se comprennent plus ou moins. Par exemple, dans son recueil intitulé Le K, Dino Buzzati écrit la nouvelle « Pauvre Petit garçon ». Dans cette dernière, il relate l’histoire d’un petit garçon qui subit un harcèlement de ses camarades. Un jour, alors que la mère l'emmène au jardin public et parle à une de ses amies, le garçon revient en sang après s'être fait battre par d’autres garçons. Le lecteur éprouve alors de la sympathie, de la compassion pour ce petit garçon à qui on fait du mal. Seulement, alors que la mère et son fils quitte le parc, l’amie de cette dernière lui dit : « Au revoir, madame Hitler. », révélant ainsi que le garçon en question n'est autre que le jeune Adolf Hitler. Les sentiments du lecteur se modifient alors et la sympathie ressentie avant peut disparaitre. En effet, l’adulte qu’est devenu ce petit garçon et le lecteur ont des expériences trop éloignées pour se comprendre. Si Hitler justifie ces actes par ce qu’il a vécu dans l’enfance, le lecteur qui n’a pas vécu exactement la même situation ne peut alors comprendre cet homme.  Par ailleurs, le philosophe Max Scheler évoque dans Nature et Formes de la sympathie, la question de savoir si l’on est encore capable d’être pleinement à l’écoute d’autrui. S’il est difficile de partager ses sentiments, cela peut être en raison de l’attention d’autrui. Nous ne sommes pas toujours capables de recevoir le récit de l’autre. Souvent lorsque quelqu’un explique un grave souci ou une situation difficile à un autre, ce dernier au lieu de s’abstraire à lui-même, de se dépasser pour l’écouter prend prétexte du récit pour raconter des histoires se rapportant à sa propre vie. Ainsi, il peut être difficile de partager ses sentiments car l’expérience des interlocuteurs est trop éloignée. Ils n’arrivent alors pas à rester à l’écoute l’un de l’autre et à se comprendre.

        Ensuite, le langage semble parfois réducteur pour traduire cette sensibilité. En effet, les sentiments dépendent de chacun, ils sont uniques. Les hommes sont singuliers ; il n’en existe pas deux semblables. Lorsqu’ils tentent de dévoiler ce qu’ils ressentent et de l’expliquer, cela s’avère plus compliqué que ce qu’ils pensaient. Le langage ne leur suffit pas pour exprimer leur ressenti intérieur. Cela entraîne alors l’incompréhension de l’autre. Bergson dans son ouvrage Le Rire écrit « Les mots sont des étiquettes ». Cela signifie que le langage est incapable d’exprimer fidèlement les sentiments car les mots désignent des genres. Le langage est le même pour tout le monde. Ainsi, il devient impersonnel. Il n’est pas assez riche ; il est réducteur et gomme les nuances selon Bergson. Le verbe « porter » est alors utilisé aussi bien pour porter un objet dans ses mains que pour porter un vêtement sur soi. Ainsi, les sentiments semblent alors ineffables et compliqués à partager si l’on ne peut les exprimer. Par exemple, dans le poème « Les Yeux des pauvres » du recueil Le Spleen de Paris, Baudelaire met en scène un couple. L’homme tente de faire comprendre à la femme la raison pour laquelle il est passé du sentiment d’amour à la haine en la regardant. Il utilise les mots pour lui expliquer mais comme il le dit « il est difficile de s’entendre tant la pensée est incommunicable ». L’homme reconnait donc que le langage est réducteur et qu’il ne lui permet pas d’expliquer correctement à sa compagne son récit. Aussi, dans Investigations philosophiques, Wittgenstein expose une thèse similaire. Selon lui, le langage n’est pas faux, mais il passe à côté de nombreux aspects ; il est approximatif car le réel est toujours plus complexe. Il développe dans l’ouvrage sa notion de « jeu de langage » d’après laquelle le sens de ce que nous disons et faisons dépend de l’usage et de la mise en œuvre de règles, de sorte que la signification n’est jamais séparable d’un contexte. Ainsi, pour se comprendre nous sommes dans la nécessité de connaitre ce contexte car le langage est approximatif. Il n’est pas précis. Ainsi, partager ses sentiments semble compliqué car l’expérience des interlocuteurs est trop éloignée, et le langage ne permet pas de l’exprimer correctement.

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