Marie Ndiaye, Trois femmes puissantes
Commentaire d'oeuvre : Marie Ndiaye, Trois femmes puissantes. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Zalupa • 14 Avril 2024 • Commentaire d'oeuvre • 2 356 Mots (10 Pages) • 140 Vues
Ivan Popov3M03
Tel des racines robustes s'enfonçant dans un sol aride, Marie Ndiaye réussit à puiser la force et à révéler la beauté des souffrances de l'existence de trois femmes, unies par leur identité et leur expérience en tant que femmes africaines, emplies de lutte et de désespoir. C'est de cette notion que découle le titre évocateur de son œuvre la plus célèbre : "Trois femmes puissantes". En 2009, Marie Ndiaye est honorée du prestigieux prix "Le prix Goncourt" pour les écrivains, ce qui incite les critiques et les journalistes à exprimer publiquement leurs opinions et à comprendre la substance du roman. Parmi eux, Raphaëlle Rérolle, une journaliste culturelle française, affirme : «C'est au point le plus bas du malheur que commence le second mouvement : l'émergence d'une conscience, au milieu des décombres.». Selon elle, les épreuves de la vie peuvent être des catalyseurs pour le développement personnel et la croissance spirituelle, transformant la détresse en une occasion de réflexion et de réinvention. Ainsi, cette perspective souligne l'importance du mot "Puissance" dans le titre du roman de Marie Ndiaye. Il est primordial d'abord d'examiner comment les épreuves auxquelles les héroïnes du roman ont été confrontées peuvent être perçues comme des catalyseurs de leur développement personnel. Ensuite, il est essentiel de considérer comment la prise de conscience surgit au milieu des décombres chez les personnages du roman. Par la suite, il convient de prêter attention à la manière dont les personnages puisent la force nécessaire pour se relever et se réinventer après avoir touché le fond du malheur. Enfin, il est approprié de se demander comment les épreuves auxquelles les personnages du roman ont été confrontés les conduisent à une prise de conscience plus profonde de leur propre existence.
Puisant son inspiration des grands poètes du 19ème siècle tels que Fiodor Dostoïevski, Marie Ndiaye nous plonge dès les premières lignes de son roman dans la vie complexe des personnages et les défis épineux auxquels ils sont confrontés. Dans la première histoire de son récit, l'avocate principale Nora retourne au Sénégal et se trouve confrontée à des difficultés familiales déchirantes. Le frère de Norah, Sony, est accusé du meurtre de sa belle-mère, une tragédie dont la mère de Norah a été également victime, comme nous le découvrirons plus tard dans le roman. Elle a été tuée par un père, un démon sur le ventre de tous, un secret familial lourd à porter pour Norah. Ces épreuves l'obligent à remettre en question sa propre identité, ses croyances, et à méditer sur sa place dans le monde.
« Qu'est-ce qu'il a fait? Oh, mon Dieu, tu devais t'occuper de lui, l'élever convenablement ! […] Ses mains tremblaient tellement qu'elle échappa la tasse sur la table de verre. » (Marie Ndiaye, Folio, Trois femmes puissantes, page 47)
« Oh, certes son cœur s'était serré bien des fois quand elle pensait à Sony. » (page 61)
« Elle agita la main vers Sony, lui cria : « Je vais revenir!» » (page 68)
« Norah, brusquement, ne supporta plus de le regarder.
« Il lui semblait n'avoir aucune échappatoire, qu'il la tenait, qu'il les tenait tous en vérité depuis qu'il avait enlevé Sony, imprimant sur leur existence la marque de sa férocité. Elle s'était élevée à la seule force de sa résolution et elle avait trouvé sa place […] mais elle eût accepté de tout donner pour que cela ne fût pas arrivé, pour que Sony ne leur eut jamais été arraché » (page 80)
Dans ces extraits, nous discernons l'irradiation d'un éclat de clarté à travers un dédale d'obstacles. Norah, confrontée aux vicissitudes familiales, parvient à réévaluer son essence et sa position dans le monde. Elle manifeste une résilience et une sérénité face à ces adversités, s'investissant avec intrépidité dans la défense de sa famille, témoignant ainsi de sa ténacité et de son endurance. Le récit des épreuves traversées par Norah suscite une profonde empathie et suscite une réflexion sur la résilience face aux ténèbres les plus oppressantes de l'existence.
Toutefois, Marie Ndiaye nous éclaire sur la complexité de l'existence humaine, soulignant que notre parcours n'est pas toujours une simple progression ponctuée d'obstacles, mais plutôt une trame tissée, étrangement, en interaction avec autrui. Dans la seconde partie du récit, le point de vue est celui du protagoniste Rudy Deskas, dont la narration est loin d'être empreinte de sympathie en raison de sa culpabilité et de son profond ressentiment envers lui-même. Dans ce contexte, la figure féminine la plus marquante est celle de Fanta, son épouse, qui ne prend des décisions radicales telles que quitter son poste d'enseignante au Sénégal après que Rudy ait été renvoyé suite à une altercation avec plusieurs étudiants, altercation qu'il lui a cachée.
« Elle ne m'en veut pas de l'avoir mise en danger, non parce qu'elle est bonne, bien qu'elle le soit, mais parce que la conscience du danger ne l'a pas atteinte » (page 109)
« Et il lui vint en réaction une profonde pitié pour Fanta — car n'était-ce pas, non précisément sa faute, mais de son fait à lui, si l'ambitieuse Fanta aux chevilles ailées ne volait plus au-dessus de la boue rougeâtre des rues de Colobane, certes impécunieuse encore et freinée dans ses aspirations par mille entraves familiales mais se dirigeant malgré tout vers le lycée où elle n'était rien moins que professeur de Littérature - de son fait à lui, avec sa figure amoureuse et bronzée, ses cheveux blond pâle dont une mèche lui retombait toujours sur le front, et ses belles paroles au ton sérieux, ses promesses d'une vie confortable, cérébrale, en tout élevée et attrayante, si elle avait abandonné quartier, ville, pays (rouge, sèche, brûlant) pour se retrouver sans travail (et il aurait dû savoir qu'on ne lui permettrait pas ici d'enseigner la littérature, il aurait dû se renseigner et le savoir et en tirer pour elle les conséquences) au fin fond d'une tranquille province, traînant ses chevilles de plomb dans une maison un peu meilleure que celle qu'elle avait quittée mais qu'elle se refusait à gratifier d'une pensée, d'un regard, d'un geste attentionné (quand il l'avait vue balayer longuement et patiemment les deux pièces de l'appartement vétuste, aux murs vert d'eau, qu'elle partageait à Colobane avec un oncle, une tante et plusieurs cousins, si longuement, si patiemment !), n'était-ce pas de son fait à lui, Rudy Descas, sinon sa faute, si elle semblait perdue ou coincée dans les brumes d'un rêve éternel, d'un rêve monocorde et glacial? » (page 126)
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