Puis-je juger la culture à laquelle j'appartiens ?

Puis-je juger la culture à laquelle j'appartiens ?

Juger la culture à laquelle j’appartiens suppose qu’il y ait plusieurs cultures, puisqu’il y en a auxquelles je n’appartiens pas. Il semble que personne d'autre que celui qui a vécu au sein d'une culture ne la connaît suffisamment pour pouvoir la juger. En effet, une culture, c'est un ensemble de traditions, de valeurs, de normes, d'habitudes se communiquant à tous les membres d'une même société, et en principe à eux seuls. Mais il s’agit ici de comprendre de quel type de culture parle-t-on ? La première difficulté est de savoir les différencier entre elles afin de définir celle à laquelle j’appartiens et les autres. Et comment juger sérieusement un cas qu'on ne connaît pas dans le détail ? Effectivement, juger comporte des responsabilités dans la mesure où il s'agit de déterminer la valeur de la chose jugée. Il n'est donc ni réellement possible ni légitime de juger sans connaître suffisamment une culture, et seul celui qui a été exposé assez longtemps à une culture semble apte à le faire.

 Cependant, juger sa propre culture n'équivaut-il pas en quelque sorte à se juger soi-même ?

En effet, la thèse de la néoténie humaine proposée par Louis Bolk en 1926, lors du XXVe congrès de la Société d'anatomie de Fribourg illustre l'idée que l'être humain présente, tout au long de sa vie, des caractères juvéniles et donc que seule la culture dans laquelle nous avons été élevés fait de nous des hommes à part entière. Ce que nous sommes dérive donc en grande partie de la culture dans laquelle nous baignons depuis notre enfance.  Celle-ci est d'ailleurs comme un cocon dont nous finissons par ne plus s’apercevoir qu'il nous enveloppe, ni qu'il pourrait être différent. Or il est évident qu'on ne peut pas "être juge et partie", c'est-à-dire qu'un juge ne peut par exemple pas évaluer impartialement le cas d'un homme avec qui il entretient des relations amicales. De même, c'est précisément parce que nous sommes trop proches de nous-mêmes que nous sommes parfois incapables du recul nécessaire pour percevoir et donc corriger nos propres défauts. D’un point de vue culturel, on qualifie cela d’ethnocentrisme. Mis en lumière par les ethnologues et anthropologues, il s’agit de la tendance à privilégier le groupe ethnique auquel on appartient et à en faire le seul modèle de référence. « Phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés » – telle est la définition qu'en donne Claude Lévi-Strauss dans Anthropologie structurale II. Or il semble indispensable de pouvoir juger, y compris au sens de critiquer la société dans laquelle nous vivons. Ne pas pouvoir le faire serait pour l'individu devoir se résoudre à n'être qu'un porte-drapeau de sa propre culture, mais surtout à être incapable d'esprit critique. Ceci ferait de chaque individu un pantin, adhérant à des croyances complètement opposées selon qu'il vit d'un côté ou de l'autre d'une frontière.

Néanmoins, puis-je juger la culture à laquelle j’appartiens ? Un jugement objectif est souvent extérieur, est-il possible de juger la culture dans laquelle j’ai grandi ? Puis-je avoir le recul nécessaire afin de juger ma culture ? Ce qui revient à poser la question du libre arbitre. Où peut mener le jugement que je fais de la culture à laquelle j’appartiens ?

Ainsi, nous allons voir d’une part qu’il est inclus dans la liberté humaine que je puisse juger les valeurs de ma propre culture, et cela semble m'être possible puisque je la connais de la manière la plus intime, ayant accédé à l'humanité à travers elle. Mais d'autre part, que cela semble impossible précisément parce que les règles au moyen desquelles nous jugeons sont elles-mêmes celles que nous devrions pouvoir juger. Comment alors sortir de ce cercle vicieux, sinon en étant à la fois membre d'une culture et comme étranger à elle, ce qui semble bien être une contradiction.

...