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Philosophie, bonheur et désir

Cours : Philosophie, bonheur et désir. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  1 Février 2017  •  Cours  •  2 565 Mots (11 Pages)  •  1 801 Vues

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Présenté généralement comme but ultime de toute vie humaine, il est ce que chacun désire, non en vue d'une autre chose (on désire l'argent pour le luxe, le luxe pour le plaisir) mais pour lui-même. Le bonheur n'est donc pas désiré comme une fin provisoire pouvant servir par la suite de moyen à la satisfaction d'autres désirs, il est une fin dernière, fin en soi.

La langue courante assimile souvent le bonheur à l'assouvissement d'un besoin ou d'un désir intense (bonheur de manger quand on a faim). De là viendrait l'idée que le bonheur suprême consisterait dans la satisfaction de tous les besoins et de tous les désirs : un état dans lequel disparaîtrait tout ce qui porte la marque du manque. Seul serait heureux celui qui assure à ses désirs un plein assouvissement.

En tant qu'il est un état stable et durable, le bonheur se distingue du plaisir que peut procurer la simple possession des objets désirés. Le plaisir est bref et souvent mêlé de douleur, ce qui est contraire à la stabilité.  

Le bonheur est universellement recherché parce qu'il est un état stable et durable. Cet aspect du bonheur est bien marqué par l'identification du bonheur à un état de « paix intérieure » (Tranquillité de l'âme, « ataraxie », chez les stoïciens ou Augustin). Ainsi, l'homme heureux n'est pas seulement un être auquel ses désirs accordent une trêve, mais un être qui vit en paix avec ses désirs et qui n'est plus troublé par les manques que ceux-ci causent en lui. 

Le bonheur, ainsi considéré, ne saurait être qu'un idéal de l'imagination. Comment, en effet, pourrait-on penser que l'homme puisse réellement et durablement cesser d'éprouver des désirs ? Il faudrait imaginer un homme capable de combler chacun de ses désirs dès qu'ils s'éveillent en lui ou encore capable de supprimer tout désir. Un tel être serait à peine troublé par ses désirs et serait très proche de l'idéal du bonheur parfait. Cet homme pourrait ressembler à un être très riche pouvant combler tous ses désirs sur-le-champ. Comme un tel homme est rare, il est toujours considéré comme un être chanceux : ceci est attestée par l'étymologie du mot en français (bonheur vient du latin bonum augurium, ce qui est de bon augure, de bon présage).

Pour Calliclès, porte-parole des sophistes dans le Gorgias de Platon, le bonheur ne saurait être goûté que par ceux dans lesquels la nature a établi un équilibre inné entre les désirs et les facultés. Seuls ceux dont les désirs ne dépassent pas leurs capacités de les satisfaire sont heureux, parce qu'ils sont les seuls à pouvoir contenter tous leurs appétits, jusqu'à leurs moindres caprices. Le bonheur est alors le privilège de ceux qui ont eu la chance de naître avec un naturel leur permettant de réussir dans toutes leurs entreprises. La philosophie des sophistes reste donc ancrée dans une longue tradition qui lie le bonheur au hasard.

La quête du bonheur ne se limite pourtant pas à la recherche des moyens propres à assurer une satisfaction rapide de tous ses désirs, elle peut engendrer également la volonté de maîtriser ces derniers en vue de diminuer sa dépendance à l'égard des biens matériels, extérieurs. Cette voie est celle de la sagesse. Au lieu d'adapter son cadre de vie à ses désirs, le sage adopte une démarche inverse : il s'assure la maîtrise de ses désirs et tâche de les accorder au monde dans lequel il évolue. Le sage est donc obligé d'approfondir la connaissance du monde et celle de lui-même. La sagesse procure donc le bonheur par la connaissance et non par la richesse matérielle (Epicure et stoïciens). Les philosophes grecs étaient persuadés que l'abondance matérielle ne pouvait suffire à assurer un véritable bonheur (Thalès faisant fortune et ne s'en servant pas).

Il y a au fond de ce mépris des richesses, comme on peut le voir chez Platon, la conviction qu'une vie de luxe rend insatiables les désirs gloutons de l'homme dans la mesure où elle leur fournit tout ce qu'ils réclament : assouvir sans tarder tous ses désirs, c'est les faire croître à chaque nouvel assouvissement. Comment alors penser la maîtrise des désirs à laquelle la sagesse nous invite en vue du bonheur ?

Première solution, celle des stoïciens : la maîtrise des désirs doit être envisagée comme un moyen d'aboutir à une suppression de tous les désirs.  Pour les stoïciens, le désir est conçu comme quelque chose que l'on subit, qui affecte l'âme, bref, comme une passion. Il est dès lors du devoir du sage d'abolir tous ses désirs. Mais peut-on l'abolir ou renaît-il toujours comme le besoin, par exemple, le besoin de se nourrir ?

La doctrine stoïcienne du bonheur repose sur la distinction du désir et de la volonté : le désir est une inclination irréfléchie qui vise, outre son objet, le plaisir que procure sa réalisation ; la volonté est une tendance réfléchie, raisonnée, qui a pour fin, par-delà l'objet immédiat sur lequel elle porte, le bien et la vertu.

Pour les stoïciens, le bien ou la vertu se confond avec la conservation de l'ordre de la nature par une parfaite insertion de l'action individuelle dans son cadre. Il s'agit de vivre « conformément à la nature ». La suppression du désir ne signifie pas alors sa répression, mais sa conversion en une tendance raisonnée, volontaire, conforme aux tendances fondamentales de l'être humain. Plutôt « changer mes désirs que l'ordre du monde » écrira Descartes, faisant sienne, provisoirement, la doctrine stoïcienne sur ce point.

Le bonheur tel que le définissent les stoïciens requiert cependant une connaissance à tel point précise de l'ordre global de la nature que l'on peut se demander si celle-ci est accessible. Mais le bonheur passe-t-il impérativement par une abolition des désirs ? La simple modération des désirs par le biais de la connaissance philosophique ne peut-elle pas déboucher sur une état de contentement que rien n'interdit d'appeler bonheur ? C'est le point de vue d'Epicure.

Le sage arrive par la connaissance à modérer tous ses désirs, à les rendre peu exigeants, aptes à se contenter de peu. Cette connaissance doit libérer l'homme de la peur de la mort et de la crainte superstitieuse des dieux. La mort ne saurait nous nuire et les dieux ne s'occupent pas de nous. La connaissance de ces vérités détournent les hommes d'un au-delà qui n'existe pas et leur donne du goût pour leur vie actuelle. Ainsi, ils arrivent à mieux jouir des plaisirs de cette vie.

On peut toutefois se demander si la modération des désirs passe réellement par une plus grande ouverture aux choses et aux plaisirs de cette vie. Les plaisirs intenses ne troublent-ils pas cet état de sérénité caractéristique du bonheur ? Pour Epicure, il convient de distinguer le plaisir qui remédie à un manque, à une carence affective ou psychologique, plaisir qui résulte du mouvement de réplétion d'un vide intérieur, du plaisir de la satiété, qui marque l'état de plénitude d'un être comblé. Le premier de ces deux plaisirs est un mouvement, le deuxième un état. Les plaisirs cinétiques, en mouvement, s'opposent au plaisir catastématique, propre aux êtres dont la constitution physique et mentale a atteint sa perfection et son équilibre naturels.

Pour Epicure, le bonheur consiste en ce plaisir connaturel, intense, qui ne perturbe en rien l'être qui l'éprouve, qui apaise l'âme et le corps. Il n'exclut pas la recherche de certains plaisirs cinétiques. Comme l'observe Aristote, tout plaisir dynamique est la manifestation d'une activité naturelle non entravée et ne saurait être nuisible que dans la mesure où il empêche d'autres activités naturelles de s'exercer. Mais comme le bonheur est l'état d'un être ayant harmonieusement et complètement développé toutes ses facultés, aucun des actes émanant de ces facultés ne saurait constituer une entrave pour aucune de celles-ci. Chez l'homme heureux, aucun plaisir ne limite le bonheur. Les plaisirs dynamiques parachèvent donc naturellement le bonheur et le complètent. « Aussi, l'homme heureux a-t-il besoin, en sus du reste, des biens du corps, des biens extérieurs et des dons de la fortune, de façon que son activité ne soit pas entravée de ce côté-là » (Aristote, Ethique à Nicomaque).

L'équilibre entre les plaisirs de l'activité, résultant de la satisfaction des désirs et les plaisirs du repos, découlant de l'état de satiété, est donc lié à la possibilité de la perfection humaine : l'homme bienheureux est à concevoir comme un homme parfait, ayant développé et parachevé toutes ses facultés naturelles. Pourtant, l'observation intérieure montre que l'expérience du désir et celle de la satiété sont inconciliables. En effet, comme le fait remarquer Schopenhauer, tout homme, fût-il un sage, éprouve, dès que ses désirs sont tous comblés, de l'ennui. L'ennui est à concevoir comme une nostalgie du désir, c'est-à-dire comme une souffrance due à l'absence de désirs. C'est pourquoi l'état d'absence de désirs ne saurait être durable : chacun y met rapidement un terme en cherchant de nouvelles raisons de désirer.

Le désir est lui aussi une souffrance puisqu'il plonge l'individu dans un état de tension et d'inquiétude douloureuses. Comment expliquer alors que lorsqu'il s'ennuie, l'homme souhaite l'inquiétude du désir, et que lorsqu'il désire, il aspire à l'ennui du repos ? C'est que la transition entre ces deux états également désagréables s'accompagne d'un plaisir de courte durée, qui ne marque que l'interruption momentanée du mal de vivre. Le plaisir sépare donc l'état d'activité de l'état de repos en les rendant inconciliables. Le bonheur apparaît de ce point de vue comme une fin inaccessible puisque, par bonheur, on entend couramment un état durable de satisfaction au coeur même de l'action. On aurait donc tort de considérer l'homme comme un être capable de perfection.

Peut-on alors concevoir un bonheur sans perfection, un bonheur dans l'inachèvement et l'instabilité ? Le fait que la création artistique apporte une joie profonde à tous ceux qui s'y adonnent est bien connu. Il montre que l'activité créatrice, productrice de nouveauté, procure aux hommes une satisfaction qui, du moins, à un certain point de vue, ressemble au bonheur. Même si la création suppose des sacrifices et des souffrances multiples, elle est généralement ressentie comme une joie vive qui comble tous les désirs. La joie créatrice est considérée par Bergson, malgré son caractère peu durable, comme un état de bonheur, le seul que les hommes sont capables d'éprouver.

Le plaisir réside tout autant dans le mouvement, le parcours qui nous porte vers l'objet désiré que dans la possession de cet objet. Mettre en oeuvre les moyens de se perfectionner ne conduit-il pas à une sorte de bonheur ? En tant qu'animal perpétuellement inachevé, toujours porté par son élan vital à dépasser la réalité vers des formes et des idées nouvelles, l'homme ne peut atteindre le bonheur que par moments.

Incapable d'atteindre la perfection dont les philosophes antiques le croyaient capable, l'homme ne peut donc espérer qu'un bonheur précaire. Constatation confirmée par le fait que le bonheur des hommes dépend étroitement de la stabilité de l'ordre des sociétés dans lesquelles ils vivent, ordre qui est le plus souvent instable. Le bonheur individuel est astreint à une condition qui ne peut être que rarement satisfaite : l'obéissance de tous aux règles de la vie en commun. Ainsi, les stoïciens avaient compris que le bonheur du sage passait par son civisme. Car c'est par lui qu'il contribue le mieux au maintien de l'ordre du monde, de l'ordre de ce Tout dont il n'est qu'une partie. La philosophie stoïcienne n'a pas cependant suffisamment insisté sur le fait que le bonheur ne dépend pas seulement de la vertu civique du sage, mais aussi du civisme des autres.

Ce fait a été, en revanche, fortement souligné par la pensée utilitariste moderne. Elle affirme que le bonheur individuel n'est possible qu'au sein d'une communauté dont tous les membres sont heureux : même si le bonheur personnel est, en tant que fin en soi, une fin qui ne saurait aucunement servir de moyen à la réalisation d'autres fins, il n'en est pas moins, pour autrui, un moyen d'atteindre son propre bonheur. John Stuart Mill fonde cette thèse sur la remarque simple que le bonheur individuel est un bien dont la jouissance ne peut être durable que dans une société où la sécurité générale des biens est garantie de manière permanente. Or une telle société n'est possible que si chacun obéit aux règles communes, non par peur du châtiment, mais par conviction intime, conviction que seul un homme connaissant le bonheur et désirant le conserver peut réellement avoir. C'est la raison pour laquelle Stuart Mill a pu écrire que l'intérêt premier de l'individu n'est pas « le plus grand bonheur de l'agent lui-même, mais la plus grande somme de bonheur totalisé ».

Pourtant, une société régie par la volonté générale « du plus grand bonheur pour tous » n'a pas encore vu le jour parce qu'elle dépend d'un niveau de culture, d'organisation politique et d'évolution technique qui n'a pas encore été atteint. Ainsi, un bonheur terrestre durable est très problématique.

La fragilité du bonheur des hommes dans cette vie a été fortement affirmée par les religions. Celles-ci opposent un bonheur terrestre instable à la béatitude éternelle. Ce que les hommes appellent bonheur « terrestre » n'est pas réellement le bonheur, mais seulement un état moins malheureux que celui des autres, un état qui offre à ceux qui l'éprouvent la consolation d'avoir échappé aux grands malheurs qui accablent les autres.

Cet état de consolation, injustement assimilé au bonheur, est en outre corrupteur : dans la mesure où il rend la vie terrestre acceptable, il corrompt celui qui le goûte en l'attachant à l'ordre injuste qui y règne. Même au comble de la satisfaction, l'homme qui se dit bienheureux sur terre craint le lendemain : sa joie actuelle est mêlée de crainte, crainte d'un futur retournement de situation. Seul un monde absolument stable, immuable et donc éternel peut offrir aux hommes la béatitude parfaite : tel est pour le croyant le Royaume de Dieu.

La croyance en un bonheur parfait (béatitude) dans l'au-delà est-elle cependant raisonnable ? Selon Kant, la raison, en tant que raison pratique, en tant que faculté dirigeant la conduite de l'individu, se voit contrainte de postuler la possibilité d'un tel bonheur. La raison pratique nous contraint à concevoir le souverain bien comme union du bonheur et de la conduite morale. La raison pratique, en tant que faculté législatrice, nous oblige absolument à agir d'après des maximes ayant la valeur de lois, ce qui revient à nous commander d'agir d'après les mêmes règles que celles que nous voudrions voir les autres observer, de traiter donc autrui comme nous-mêmes, avec moralité.

Or, comme le montre Kant, la conduite morale est incompatible avec le bonheur, c'est-à-dire avec la satisfaction de tous nos penchants, qui sont, pour la plupart, égoïstes. La raison pratique tombe ainsi dans une contradiction puisqu'elle exige en même temps la recherche du bonheur et une conduite qui est incompatible avec lui (la moralité). C'est pourquoi elle s'est toujours vu contrainte de postuler l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu. En effet, si l'on accepte ces deux postulats, il est possible de considérer le bonheur comme une récompense accordée par Dieu aux êtres raisonnables après leur mort, pour leur effort moral en cette vie : la morale ne procurerait donc pas le bonheur, mais rendrait seulement méritant du bonheur devant Dieu. Il ne serait donc pas déraisonnable, dans cette perspective, d'espérer un bonheur parfait, une béatitude éternelle, après la mort.

        

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