Peut-on faire l'éloge de l'oisiveté ?
Dissertation : Peut-on faire l'éloge de l'oisiveté ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar may7777 • 26 Janvier 2022 • Dissertation • 4 097 Mots (17 Pages) • 562 Vues
El Allam Mayada
TG10 Philosophie : Peut-on faire l’éloge de l’oisiveté ?
Ce 15 novembre dernier, le journal le Monde publie l’article « Nous sommes restés nuit et jour sans bouger nos fesses »: face au Covid-19, le gouvernement allemand incite les jeunes à l’oisiveté suite à la diffusion d’une campagne de sensibilisation humoristique du gouvernement germanique qui inciterait à « paresser sur son canapé » pour devenir le « héros » du combat contre le coronavirus et ainsi persuader sa population de limiter les contactes sociaux, principaux responsables dans la diffusion de ce virus. Ces vidéos ont obtenu une telle portée médiatique qu’un hashtag a vu le jour dans le monde entier (#Besonderehelder) sans doute parce que le contenu de cette démarche publicitaire était surprenant et novateur. Novateur car il est étonnent, dans un monde global fondé sur l’idéologie capitaliste, qu’une institution étatique préconise à ses citoyens de cesser de travailler. Ce contexte inédit remet donc en cause le proverbe allemand «Müßiggang hat einen schlechten Ruf» littéralement « l’oisiveté a mauvaise réputation » qui tendait à confirmer le blâme de l’oisiveté dans nos sociétés. En effet, l’Église et la Chrétienté ont toujours préféré le culte du travail à l’oisiveté considérée comme péché du fait d’une apparente perte de temps. Or, le christianisme, très influent au Moyen-Age, a énormément contribué à diffuser massivement une représentation du travail actif tel qu’une conséquence directe du péché originel ou, le travail en tant que bienfait. C’est pourquoi nous avons donc tendance à penser que le travail n’est que vertueux soit que l’oisiveté désigne l’état d'une personne déviante ne faisant rien de son temps ou ne parvenant tout simplement pas à trouver une occupation précise pour contribuer au bon fonctionnement de la société.
Cependant, si cette notion est comprise aujourd’hui comme une inactivité, une paresse, un vice, il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, l’oisiveté, du latin otium, n’est une notion péjorative ni dans l’Antiquité ni chez les Romains. Elle semblait être, au contraire, une activité hautement supérieure dans la cité et consistait à consacrer son temps libre à l’étude, à la contemplation philosophique, scientifique, un équivalent de la scholè grecque. Aussi, bien que l’on qualifie ce temps de libre et que l’on oppose l’otium au negotium ou temps des affaires politiques, juridiques et économiques, celui-ci ne permet pas de « ne rien faire » : pour le sage, être oisif c’est choisir la retraite, l’exil intérieur et le repli sur l’activité méditative ce qui revient à préférer l’étude de la nature et la contemplation pour trouver une forme de bonheur en se perfectionnant soi-même. Le travail est alors, quant à lui, issu du latin tripaliare et signifie « tourmenter, torturer avec le trepalium, avec un instrument de torture ». Par conséquent, du fait de ces héritages historiques, linguistiques et idéologiques, il semblerait que l’on soit contraint soit de faire le blâme de l’oisiveté en de vénérant le culte de travail et en l’assimilant la paresse à un vice ou bien que l’on songe a faire l’éloge de ce temps consacré à la contemplation en réfutant le travail dit vertueux. Ce discourt épidictique, selon Aristote, donne donc lieu à un débat qui porte sur notre liberté ou notre possibilité de d'agir sans contrainte en toute autonomie soit sans dépendance de l’organisation du temps fluviale symbolisé par l’écoulement des secondes, minutes, heures et des années dont on disposerait dans une vie éphémère.
En somme, avec aujourd’hui une remise en cause du système capitaliste, d’une crise du travail du fait de la pandémie mondiale du Covid-19 et l’émergence d’une société de loisirs, nous sommes en droit de nous demander s’il est toujours en notre pouvoir de défendre le vertueux travail ou s’il est préférable de faire l’éloge de l’oisiveté. Ceci revient d’ailleurs à se demander si dans une société où le travail semble être une nécessité, l’oisiveté ne l'est-elle pas tout autant ? Pouvons-nous concilier ces deux notions ou faut-il choisir entre l'une et l'autre ? Faut-il les pratiquer alternativement ? Mais a-t-on alors véritablement le choix ? S'agit-il toujours d’une nécessité si nous en choisissons une qui risquerait de dominer l'autre ? Dans ce cas, pourrait-on toujours faire l’éloge de l’oisiveté?
Dans un premier temps, nous chercherons à savoir si nous possédons la légitimité morale quant à choisir de louer l’oisiveté pour consacrer son temps libre à la contemplation sans considérer que le travail est l’unique activité indispensable à l’homme. Ensuite, nous nous questionnerons quant à notre possibilité ou impossibilité à ne pas travailler pour, enfin, nous demander si nous avons la capacité qu’elle soit physique ou mentale de vivre une vie contemplative ou s’il nous faut obligatoirement travailler pour pouvoir bien vivre. En outre, tout cela suppose des enjeux moraux, politiques, économiques, parfois idéologique voir sociétaux car ce questionnement s'interroger sur le "travail", sur le mérite qui lui est souvent associé et sur la manière qu’on a de le pratiquer.
Certes la religion condamne l’oisiveté car elle consisterait à rester inactif or, selon le principe du péché originel, tous les hommes ont pour vocation première de louer la pratique supérieure du travail à une spéculation et à une contemplation inutile car elle ne relève pas du labeur imposé par dieu. Le travail renfermerait donc à première vue de nombreux bienfaits parce qu’il peut nous procurer des biens qui améliorent nos conditions d’existence, qu’il nous permet de créer des liens sociaux en nous forçant à coopérer, qu’il donnerait un sens à nos vies et qu’il répond à une attente divine. Alors, la Chrétienté en fait l’éloge, loue les vertus du travail à ses adeptes et s’oppose farouchement à la vision grecque de l’oisiveté qui tendrait à la faire passer pour l’activité la plus noble que l’homme puisse pratiquer dans la polis. Or, le travail semble pourtant apparaître comme une activité paradoxale : il est utile mais pénible. Utile, parce qu’il permet à l’homme de transformer le donné naturel pour son propre profit, qu’il soit spirituel ou matériel. Et, pénible, parce qu’il implique toujours une certaine souffrance, contrairement à d’autres activités divertissantes. Le dogme du culte du travail par l’Église à forgé notre conception de l’oisiveté. Et, si l’image de l’homme moderne est très encrée dans nos mentalités depuis le siècle des lumières et que la pratique scientifique ainsi qu’un résonnement logique tendrait, au premier abord, à être plus convaincant qu’une doctrine basée sur des dogmes persuasifs, la connotation péjorative de l’oisiveté reste toujours d’actualité. En effet, le siècle des lumières introduit la supériorité de tous raisonnement logique, pragmatique et argumenté à la religion, aux sentiments et au Pathos qui traduisent l’irrationnel. Cela fait-il pour autant de l’oisiveté un choix légitime ?
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