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La vérité dépend-elle des points de vue ?

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Par   •  6 Octobre 2022  •  Dissertation  •  3 340 Mots (14 Pages)  •  566 Vues

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La vérité dépend-elle des points de vue ?

 

        « À chacun sa vérité » clame la sagesse populaire, dans le but d'ouvrir un espace de tolérance où toutes les opinions ont une égale dignité, où tout le monde peut avoir raison en même temps. Mais si, par là, chacun peut s'apercevoir de la valeur toute relative de ses propres opinions, voire de ses « certitudes » immédiates, cela a-t-il encore un sens à propos de la vérité ? En effet, on définit classiquement la vérité comme l'adéquation de la pensée et du réel ; or cette définition s'oppose résolument à notre relativisme spontané, car cela revient à reconnaître par essence au vrai une valeur universelle et absolue. Dès lors, faut-il encore dire que la vérité dépend des points de vue ? Dans quelle mesure les différentes perspectives que chacun de nous a sur le monde sont-elles susceptibles de valoir comme « vérité » ? L'enjeu, ici, réside d'une part dans la définition même de la vérité, qui oscille entre le relativisme, où son exigence d'universalité et d'objectivité risque de se dissoudre, et le dogmatisme, qui abolit la possibilité d'une diversité d'accès légitimes au réel. Si la vérité dépend des points de vue, n'est-ce pas la réalité elle-même qui se disperse en une pluralité de mondes distincts ? Mais à cet enjeu théorique s'ajoute un enjeu pratique, puisque le relativisme apparaît également comme la condition de la tolérance à l'égard de la diversité des croyances et des cultures. Dans un premier temps, nous nous demanderons donc dans quelle mesure le relativisme est une position tenable ; puis, nous nous interrogerons a contrario sur la possibilité d'une vérité absolue, conforme à la définition classique du vrai. Enfin, dans un dernier moment, il s'agira de revenir sur le rôle constitutif de l'interprétation dans l'accès à la vérité.

I

        Il convient en premier lieu d'analyser le sens et la validité du relativisme, tel que l'a professé par exemple le sophiste Protagoras en soutenant que « l'homme est la mesure de toutes choses », autrement dit que le vrai est relatif à ce que chacun de nous peut en percevoir en tant qu'homme. Il s'agit par là, pour Protagoras, d'affirmer que l'être humain ne tient sa vérité et sa loi que de lui-même, et non d'une quelconque autorité extérieure à lui (par exemple divine). À l'appui de cette thèse se trouve le fait que les sensations diffèrent originairement d'un individu à l'autre : ainsi un tel aura froid tandis qu'un autre aura chaud. Et d'une manière générale, chaque homme perçoit les choses sous un angle qui lui appartient en propre et qu'il ne partage avec nul autre. Or, dans la mesure où cette perception sensible constitue le socle de notre rapport au monde et le fondement de toutes nos connaissances, il semble bien que la vérité qui découle de cette perception doive elle aussi dépendre du point de vue de chacun, c'est-à-dire des sensations qui sont à chaque fois les siennes. Le concept de vérité signifie seulement alors ce qui vaut pour moi, ce qui m'apparaît et n'apparaît qu'à moi.

        Il faut toutefois nous pencher à présent sur les conséquences de cette thèse relativiste, car cette dernière s'avère in fine contradictoire. C'est ce que démontre Platon dans le Théétète, où il s'efforce de critiquer le relativisme de Protagoras en raison de la confusion que celui-ci commet entre l'opinion (doxa) et la science (épistémè). Platon le fait à l'aide d'un raisonnement simple par l'absurde : si on admet la thèse relativiste de Protagoras, on doit en effet en conclure que toutes les opinions, si contradictoires soient-elles, sont vraies pour ceux qui les pensent. Mais la thèse relativiste est elle-même une opinion ; autrement dit, elle n'est vraie qu'à condition que quelqu'un y croit ; et dès lors que quelqu'un croit le contraire, ce qui ne manque jamais d'arriver, le relativisme doit donc admettre que celui-là a lui-même raison, alors même qu'il le contredit. En bref, cela revient à dire que la relativisme donne raison à tous ceux qui pensent que le relativisme est faux ! C'est là une conséquence inévitable de l'affirmation du relativisme : si toutes les opinions sont vraies, et si cette idée est elle-même une opinion, il en résulte que l'opinion contraire sera vraie elle aussi. On aboutit donc à une véritable contradiction dans les termes, ce qui rend le relativisme inintelligible et incohérent au niveau théorique, puisqu'il ne respecte pas le principe logique de non-contradiction. Le relativisme n'est en cela rien de plus qu'un jeu de mots sophistique qui n'a aucun sens et ne renvoie à rien, ce que permet de comprendre une simple analyse logique du rapport entre le principe du relativisme (« chacun sa vérité ») et ses conséquences (dire que « le relativisme est faux » devient possible à l'intérieur même du relativisme).

        La critique platonicienne du relativisme sophistique repose cependant elle-même sur un présupposé qui concerne l'idée de science et de connaissance. Platon fait, en effet, de la vérité une valeur universelle et absolue, qui doit pouvoir s'imposer à tous de façon irréfutable : « on ne réfute pas la vérité » dit ainsi Socrate dans le Gorgias, alors qu'il est tout à fait possible de réfuter une opinion ou une croyance. La vérité, en ce sens, n'appartient à personne en particulier, mais se donne comme ce sur quoi tout le monde peut et doit s'accorder, comme une norme universelle qui dépasse la divergence des points de vue particuliers. C'est pourquoi les sensations subjectives, dans lesquelles Protagoras voyait le fondement de la connaissance, ne peuvent pas selon Platon nous donner accès au vrai, car elles ne nous montrent que des choses singulières, changeantes et instables, tandis que que l'acte de connaissance rationnelle exige au contraire de s'extraire de la dimension sensible pour atteindre le « lieu céleste » de l'intelligible, c'est-à-dire de la pensée rationnelle, à la manière du prisonnier qui, extrait de force de la caverne pour contempler le ciel des Idées, découvre une réalité immuable, permanente, au-delà des apparences fugaces des ombres projetées sur la paroi. La vérité a ainsi, pour Platon, le sens d'une exigence fondamentale à laquelle le discours (logos) doit se plier : elle est indépendante de nous et se présente comme la finalité universelle qu'il nous faut rejoindre.

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