Jean de la Bruyère, Les Caractères ou les Moeurs de ce siècle (1688)
Dissertation : Jean de la Bruyère, Les Caractères ou les Moeurs de ce siècle (1688). Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar EzraPound • 19 Janvier 2020 • Dissertation • 1 732 Mots (7 Pages) • 1 735 Vues
Jean de la Bruyère, Les Caractères ou les Moeurs de ce siècle (1688) |
Introduction
Oeuvre majeure du XVIIème siècle et du classicisme, Les Caractères (1688) de Jean de la Bruyère propose, à travers une série de portraits et de réflexions, une peinture critique et satirique des moeurs du "Grand Siècle".
Notre extrait est issu du chapitre IX des Caractères intitulé "De l'Homme" : le moraliste fait ici le portrait d'un individu vorace et insatiable nommé Gnathon. Le nom du personnage, particulièrement original, n'a pas été choisi au hasard : "Gnathon" vient en effet du grec ancien gnathos, qui signifie "mâchoire". Ce nom met donc d'emblée en relief l'activité préférée de Gnathon, la mastication, ainsi que son principal défaut : son appétit excessif. C'est effectivement ce que nous donne à voir ce portrait particulièrement corrosif : un grossier personnage qui multiplie les repas copieux et les voyages en carosse, qui se complait dans le luxe, sans jamais se soucier des autres.
A la lecture de cet extrait, nous sommes donc amenés à nous poser la question suivante : dans quelle mesure l'auteur, par la satire d'un individu, cherche-t-il à dénoncer les défauts de ses contemporains ?
Afin de mener à bien notre analyse du texte, nous verrons tout d'abord en quoi le portrait de Gnathon nous présente un homme caricatural ; puis, dans un second temps, nous étudierons la manière dont l'auteur fait de cette satire la dénonciation d'un défaut humain majeur et dangereux.
- Un Homme caricatural :
Les moralistes ont eu le souci de mettre en garde leurs lecteurs contre les passions dangereuses. Ainsi, ce portrait n'est pas une description neutre d'un homme quelconque : notre extrait, qui se fonde essentiellement sur le registre satirique, nous donne en effet à voir un homme caricatural, tout à la fois glouton et grossier.
- Un Glouton :
Gnathon nous est tout d'abord dépeint comme un glouton à l'appétit inextinguible. Le lexique de la nourriture et du repas est ainsi très présent dans notre extrait, comme en témoignent les termes suivants : "table" (l.2 ; l.5 ; l.10), "repas" (l.3), "plat" (l.3 ; l.9), "service" (l.4), "mets" (l.4), "savourer" (l.5), "viandes" (l.6), "manger" (l.7 ; l.10; l.11), "restes" (l.7), "appétit" (l.8), "le jus et les sauces" (l. 8), "ragoût" (l.9); "râtelier" (l.11). De ce fait, les repas copieux de Gnathon paraissent infinis, à la mesure de son appétit hyperbolique : "il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois" (l. 5). La gloutonnerie excessive de Gnathon est en outre suggérée par le rythme des phrases. Le portrait est en effet particulièrement dynamique : l'attitude du personnage nous est exposée à travers de courtes propositions au présent, temps qui actualise l'action et permet d'imaginer le personnage en situation. Les énumérations de verbes, comme "il manie les viandes, les remanie, démenbre, déchire ..." (l.6), traduisent la frénésie de Gnathon. La structure des phrases souligne ainsi la voracité du glouton : les propositions sont nombreuses, juxtaposées grâce au point-virgule, et semblent ne jamais vouloir s'arrêter, semblable en cela à l'appétit infini du personnage.
- Un Grossier personnage :
Ce qui ne manquera pas de marquer le lecteur, c'est la brutalité de cette voracité. Nous n'avons pas affaire ici à la simple description d'un bon vivant, d'un amateur de bonne chère : c'est un grossier personnage auquel nous sommes ici confrontés. En effet, la description du personnage à table progresse selon une logique qui vise à créer le dégoût par la mention d'excès toujours plus répugnants, comme en témoignent les exemples suivants : "il ne se sert à table que de ses mains" (l.5), "... lui dégoûtent du menton et de la barbe" (l. 8), "... il écure ses dents" (l.11). Cette gradation dans la grossierté tend à associer Gnathon à un animal, ce que souligne la métaphore suivante : "la table est pour lui un ratelier" (l.11). Loin d'être un gastronome, Gathon n'est donc qu'un animal qui se nourrit dans une mangeoire, et que l'on peut suivre de près grâce aux (trop) nombreuses marques qu'il laisse derrière lui : "s'il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe, on le suit à la trace" (l. 9-10). Par sa grossièreté, qui ne peut susciter que dégoût et répugnance, Gnathon n'est donc en définitive qu'une caricature d'homme, bien plus proche de l'animal que de l'être humain
C'est donc un véritable portrait-charge que propose ici La Bruyère : à travers la critique d'un vice majeur, ce texte satirique et acerbe cherche, en dernier recours, à dénoncer un personnage type, unn vice général et non simplement un individu particulier.
- L'Incarnation d'un vice :
Avec ce portrait, La Bruyère formule une critique sociale à l'encontre de certains de ces contemporains. Néanmoins, ces défauts dénoncés chez un personnage vivant au XVIIème siècle ne sont pas propres à une époque : le moraliste vise à décrire une nature humaine universelle. Si Gnathon incarne de manière aussi imagée les dangers de l'égoïsme, c'est pour mieux représenter les dérives de la haute société.
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