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Doit-on limiter ses désirs?

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Par   •  5 Novembre 2020  •  Dissertation  •  2 471 Mots (10 Pages)  •  777 Vues

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Correction concours blanc septembre 2019 - épreuve : « Dissertation de culture générale »

« Doit-on limiter ses désirs ? »

Buñuel, dans Cet obscur objet du désir, filme la complexité du désir amoureux. Il montre que son origine se trouve dans ce que le désir vise. En effet, à travers la femme qu’il désire (la Conchita, jouée par deux actrices), Mathieu fait l'expérience d'une étrangeté qui n'est pas réductible à ses fantasmes : l’être désiré se dérobe toujours à lui et à la représentation qu'il s'en fait, de telle sorte que le désir apparaît bien comme ce qui est à la fois sans borne et sans limite. Une question se pose alors : comment puis-je imposer des limites à ce qui paraît les refuser ?

Car l’objet du désir, à la fois multiple et singulier, se rebelle contre l'idée même d'une restriction intrinsèque (il n'est pas limité), et contre celle d'une restriction extrinsèque (il n'est pas borné). C'est devant la complexité de cet objet, obscurément perçu, que je me rends compte de l'impossibilité même de définir précisément la notion de désir car « définir », c'est déjà « limiter » une notion qui fait signe vers l'illimité et vers l'absolu. Si chaque être humain a son désir (Mathieu désire bien une femme singulière) et construit son individualité à partir de lui (Mathieu présente son histoire aux interlocuteurs), cette possession (« ses désirs ») a cela de singulier qu'elle peut lui échapper et le posséder à son tour. Le travail de l’imagination, dans le désir mis en scène par Buñuel, fait de lui, comme de son objet, un élément indéterminé et non maîtrisable qui s'oppose apparemment à la notion de borne (limitation externe) mais aussi à celle de limite (limitation interne). La question de savoir si l’on doit limiter ses désirs semble appeler une réponse négative du fait de l'imagination qui, dans le désir, paraît être souveraine par rapport à la raison. Puisque les désirs ne peuvent pas être limités, alors leur contrôle ne doit pas être posé comme une exigence. Mais un tel constat ne peut-il pas être nuancé ? L'exigence (« doit-on ») d'une limitation des désirs, faisant écho à une nécessité sur plusieurs plans de l’existence, est-elle le fait d'une raison qui s’illusionne en ne voulant pas reconnaître la nature illimitée du désir ou plutôt celle d'une raison qui reconnaît au désir une aspiration néfaste à l'illimité?

Afin d'appréhender la valeur positive de cette exigence, il faut d'abord interroger sa possibilité et sa pertinence (I) pour montrer ensuite que les désirs sont limités par nature et légitimés par la nature : il est donc inutile de leur donner une borne extérieurement (II). Pour finir, nous ferons voir que ce n’est pas tant le désir lui-même qui doit être limité que les désirs individuels relatifs à chacun d’entre nous (« ses désirs » à soi). L’effort de limitation apparaîtra ainsi comme une manière de s’approprier ses désirs et d’acquérir une forme de libération nécessaire à l’expérience d’une véritable liberté dans et par le désir (III). I. À quoi bon limiter les désirs si le désir est naturellement illimité?

Idée : Puisque le désir est indissociable de l’imagination comme d’autres facultés, il est illimité par nature. On ne doit pas le limiter parce qu’on ne peut pas le faire.

  1. Le refus des limites dans la satisfaction des désirs : l’argument de la nature

La limite est conventionnelle. Elle doit être refusée pour plusieurs raisons. 1/ Elle s’oppose à la nature en général, laquelle nous a donné des désirs à satisfaire (cf. la philosophie cynique et l’exemple de Diogène de Sinope). 2/ Elle s’oppose à la nature illimitée du désir (cf. Sade,  La Philosophie dans le boudoir, entretien III : « c'est obéir aux lois de la nature que de céder aux désirs qu'elle seule a placés dans nous »).

  1. Le désir et les facultés de l’esprit : pensée, mémoire, langage, imagination : l’argument de notre nature

Pour autant, le désir ne recoupe pas exactement l’ordre des besoins : on peut et on doit douter de l’idée même de désirs naturels (cf. entretien de D. Rabouin, entretien 2011). Cette précision ne constitue pas une objection au premier argument, mais une nouvelle perspective : le désir est dans la nature humaine en tant qu’il est illimité et en tant qu’il favorise l’usage des facultés propres à l’être humain (la pensée qui forme une idée du désir, la mémoire qui conserve une trace des désirs, les fait durer et permet de les pluraliser, le langage qui exprime le désir, l’imagination qui nourrit nos désirs et les projette dans la temporalité de notre existence). Perec, dans le roman Les Choses, montre cela sous l’approche apparemment critique de la société de consommation : le désir multiplie les objets que l’on désire et il le fait en procédant par une synthèse de nos facultés (cf. incipit du roman). Faire le récit d’un désir ou lire la narration faite d’un désir, c’est être amené à constater toute l’étendue illimitée des aptitudes psychiques convoquées par le désir (pensée qui se forme et se reforme indéfiniment, mémoire qui se renouvelle, langage qui invente les mots d’une langue, imagination qui se déploie).

  1. La dynamique heureuse du désir : l’argument de la nature des effets

L’illimité du désir se trouve aussi dans son mouvement, qui ne s’achève qu’à la mort de son sujet. La puissance de vie désirante qui se réalise, dans la mesure où elle procure du bonheur (Rousseau, Nouvelle Héloïse : « Malheur à qui n’a plus rien à désirer […] on n’est heureux qu’avant d’être heureux », thèse que l’on présente en indiquant bien qu’il s’agit d’une apologie du désir faite par Julie, personnage romanesque de la NH) ou de la joie (Spinoza, Ethique, III : la joie est un affect produit par la  conscience « du passage d’une moindre perfection d’être à une plus grande perfection »), ne doit pas être limitée mais connue et maintenue par le refus des contraintes et des passions qui pourraient lui nuire.

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