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Tristes Tropiques, Lévi-Strauss, chapitre 37

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Par   •  1 Janvier 2019  •  Commentaire de texte  •  2 030 Mots (9 Pages)  •  1 242 Vues

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Manon GUEGUEN                                                                20/10/2018

Commentaire composé

        

        Ethnologue et anthropologue français ainsi que fondateur du structuralisme, Claude Levi- Strauss est l'auteur de multiples travaux de recherche qui marquèrent le domaine des sciences humaines durant la seconde moitié du XXème. Auteur de nombreux ouvrages scientifiques, il écrivit également des œuvres de dimension plus philosophique telle que  Tristes Tropiques. Publié en 1955, cet ouvrage retrace les souvenirs de voyage de l’auteur tout en permettant à ce dernier d’aborder son expérience sous le prisme philosophique des recherches qu’il avait précédemment menées dans les domaines de la sociologie, de la littérature, des mythes mais aussi de la musique. Le passage que nous allons étudier s'agit d'une courte critique sur l'ethnographie et l'Occident : nous tâcherons de répondre à la problématique suivante : « En quoi ce texte remet-il en question les fondements même de la doxa et supériorité occidentale? ». Pour cela, nous étudierons en quoi l'Occident est en centre de la réflexion dans cet extrait, avant de commenter la manière dont l'auteur nous expose son métier d'ethnographe. Pour terminer nous verrons comment ce texte est une opposition à la doxa.

        Dans cet extrait, la question de l'Occident occupe une place centrale. En effet, Lévi-Strauss entreprend une analyse et remise en question de la supériorité occidentale, et donc de fait réalise une auto-critique.    

        La première phrase du texte nous annonce, sous le pronom indéfini  « on », la pensée commune sur l'Occident et ses ethnographes : selon elle, « la société occidentale était la seule à avoir produit des ethnographes ; que c'était là sa grandeur » ; cependant, l'emploi du passé composé pour introduire cette idée (« on a dit parfois ») montre que l'auteur considère cette idée comme n'étant plus vraiment valable. C'est pour cela que dans la phrase suivante, Lévi-Strauss nous en présente une alternative, cette fois-ci en ayant recours au conditionnel présent (plus actuel) : « on pourrait aussi bien prétendre le contraire ». Si cette dernière idée se base sur la première, elle en retourne le sens de manière à en tirer une image plus négative de l'Occident (« si l'Occident a produit des ethnographes, c'est qu'un bien puissant remord devait le tourmenter... ») : les deux premières phrases forment donc une antithèse. Lévi-Strauss ramène à plusieurs reprises l'Occident sur un plan d'égalité avec les autres cultures : « d'autres subiront le même sort », « nous sommes du nombre », « les Aztèques […] qu'une obsession maniaque pour le sang et la torture […] place à nos côtés ». Il place même au dessus de la culture occidentale d'autres civilisations en bas de « l'échelle du progrès » en avançant que, à l'inverse de l'Occident, celles-ci ont « rarement participé au même péché originel ». L'utilisation du verbe « obliger » pour désigner la création des ethnographes (« l'obligeant à confronter son image à celle de sociétés différentes... ») connote une faiblesse de l'Occident  : il apparaît comme un personnage pathétique, une victime qui subit ses erreurs passées, ses « tares ». On a donc une personnification de cette culture (attribution du verbe « produire », « un bien puissant remord devait le tourmenter »,...) qui permet à l'auteur de la rendre plus critiquable en en faisant une figure concrète.

        Dans cet extrait, l'auteur entreprend un regard critique sur sa propre culture : il s'agit donc d'une auto-critique. En effet, au début de l'extrait, Lévi-Strauss analyse sa culture (occidentale) tout comme un ethnographe analyserait un peuple, puisqu'il ne s'inclut pas explicitement dans ce dernier. On peut ainsi relever les exemples suivants : « la société occidentale était la seule à avoir produit des ethnographes » ou encore « si l'Occident à produit des ethnographes, c'est qu'un bien puissant remord devait le tourmenter» : ces termes pourraient très bien correspondre à une analyse ethnographique ou ethnologique d'un peuple extérieur. Dans la suite du récit, l'auteur réduit ce recul avec l'Occident en ne le désignant plus comme tel, mais en n'employant plus que la première personne du pluriel : « nous sommes du nombres », « l'ethnographie ne serait point apparue parmi nous : nous n'en aurions pas ressenti le besoin »,... Ainsi, le ton auto-critique est renforcée puisque l'auteur se désigne de fait en désignant l'Occident. Cette démarche auto-critique permet à l'auteur de rendre plus légitime son œuvre et ses travaux : le lecteur sait que ce dernier à conscience des défauts de sa culture, et qu'il les prend en considération avant de s'autoriser à écrire sur d'autres. On pourrait être amenés à penser que, en remettant en question sa propre culture, l'auteur se débarrasse d'un ethnocentrisme pouvant naturellement faire surface dans des travaux ethnographiques, mais nous allons, dans la partie suivante, nuancer cette idée.

        Si la question de l'Occident occupe une place importante dans le texte, l'auteur entreprend en parallèle une réflexion sur le métier d'ethnographe. Ainsi, la place occupée par l'ethnocentrisme occidental dans les origines de l'ethnographie est remise en question, et ce tout en mettant l'accent sur le « symbole de l'expiation » que représente, selon Lévi-Strauss, ce métier.

        Dans son texte, Lévi-Strauss avance que l'ethnographe ne peut  « se désintéresser de sa civilisation et se désolidariser de ses fautes que son existence même est incompréhensible ». L'ethnographie et l'ethnocentrisme sont donc intimement liés, corrélés. En effet, l'auteur analyse les cultures étrangères en les comparant à la sienne, faisant forcément de cette dernière un modèle de référence puisque c'est ce qu'il connaît. Par exemple, lorsque Lévi-Strauss qualifie de « forme excessive » le comportement des Aztèques, il s'appuie sur la vision occidentale de l'excès (c'est d'ailleurs pour cela que la typographie de la formule est italique : cette remarque est subjective) : si l'on se plaçait derrière le point-de-vue de la culture concernée, le jugement serait sensiblement différent, et ces pratiques seraient considérées comme normales, évidentes. Cependant, le besoin d'ouverture aux autres cultures apparaît également comme une réaction à cet ethnocentrisme, ou encore comme une forme de culpabilité qui a poussé l'Occident à « produire des ethnographes », à effectuer une « tentative de rachat ». Ce rachat est celui de ses « tares », il va de paire avec le « puissant remord » évoqué au début du texte. Ainsi, l'origine de l'ethnographie peut être perçue comme paradoxale : d'un côté, l'ethnographe ne peut complètement se détacher de son ethnocentrisme, et de l'autre, il semble vouloir le combattre par le principe même de ses travaux.

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