Réparer les vivants
Commentaire de texte : Réparer les vivants. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar nynotchkaya • 26 Janvier 2019 • Commentaire de texte • 2 427 Mots (10 Pages) • 1 179 Vues
Correction : lecture analytique de l’incipit de Réparer les vivants
1) Un incipit traditionnel ?
a) Un incipit qui transmet des informations essentielles
- Où ?
. Les informations explicites : une action sur le point de se dérouler ( avant que tout « s’emballe ») a pour cadre un « estuaire » et le « pays de Caux » (l. 17-18) [le pays de Caux désigne un plateau situé en Normandie, dont l’une des villes principales est Le Havre, et ouvert sur la Manche ] ; face à cet espace ouvert, la fin du texte nous conduit vers un lieu clos, « au pied d’un lit étroit » (l.23)
. La présence d’un vocabulaire médical entourant le personnage principal et son « cœur » peut évoquer un univers hospitalier (« le tracé papier d’un électrocardiogramme », l. 10, des « machines », l. 16), mais le lecteur ne peut s’en tenir qu’à une hypothèse
. Ces différents éléments forment un univers « diffracté », divers, dont on attend qu’il trouve une cohérence
- Quand ?
. Des points d’appui concrets : la « naissance » du personnage principal est évoquée (l. 2), un « événement » qui peut entrer en résonance avec l’incipit qui initie, lance lui-même le commencement de l’histoire
un horaire précis : « 05:50 » (l. 24), désignant le moment où « tout s’est emballé », apparition intrigante, qui soulève une question : pourquoi cet effet miroir, cette inversion des chiffres qui semble indiquer une sorte de « point zéro » ?
. Des strates de temps qui se chevauchent et provoquent un certain trouble, désorientent le lecteur : emploi du présent de l’indicatif, qui semble tendre vers une valeur de vérité générale : « ce qu’est le cœur de Simon Limbres » (l. 1) ; du passé composé indiquant un temps accompli et révolu : « ce qui l’a fait bondir, vomir, grossir » ( l. 4) ; du conditionnel indiquant une hypothèse, une projection : « seule cette ligne- là pourrait en donner un récit » ( l. 13-14) + abondance des connecteurs chronologiques marqueurs d’un commencement : « depuis que » l.1, « depuis » l.10, « quand », l. 15, l.22, « alors que », l. 17, 18, 19… : impression d’une épaisseur temporelle ( à mettre en relation avec l’âge du héros ? « vingt ans », l. 7), d’une densité, d’un brouillage chronologique, et d’une intensité, d’une urgence, d’un resserrement vers un point précis, ce « 05:50 » qui s’affiche à la fin du texte, et dont le caractère décisif a été mis en avant par l’introduction du complément de temps qui précède : « cette nuit-là » (l. 17), « nuit sans étoiles », où il gèle « à pierre fendre » (l. 17), nous indiquant que l’action va se dérouler au cœur de l’hiver.
- Qui ?
. Apparition du personnage principal, dont l’identité est évoquée à trois reprises : « Simon Limbres », « vingt ans » (l.7) et focalisation sur son « cœur », qu’il s’agit de définir, et dont le « pouls probablement inférieur à cinquante battements par minute » ( l. 21) révèle un corps en bonne santé, pratiquant des activités sportives régulières ; le nom du personnage « Limbres » contient le mot « limbes » qui désigne un état intermédiaire et flou, qui pourrait s’accorder avec le flottement dans lequel nous apparaît le héros dans cet incipit ; il est fait allusion à son passé, son histoire, à travers les émotions ressenties par son « cœur » : « joie », « tristesse » ( l.9), mais aucun événement concret n’est vraiment livré, ce qui maintient un certain mystère autour du personnage
- Quoi ? L’incipit livre des bribes de récit qui forment comme les pièces éclatées d’un puzzle : il est question de la naissance de Simon Limbres, entouré d’ « autres cœurs »(l. 2)- évoquant la sphère familiale, de ce que le coeur de Simon Limbres a pu « filtr[er], enregistr[er], archiv[er] », (l. 6) au cours de sa vie, mais cette évocation reste un peu abstraite ; le lecteur pressent qu’un événement majeur va lui être livré à la fin de l’incipit, « quand l’alarme d’un portable s’est déclenchée au pied d’un lit étroit » (l. 22-23), et « quand soudain tout s’est emballé » (l. 24) : l’élément déclencheur crée le suspense
b) Un incipit qui éveille l’intérêt du lecteur
. Les informations données permettent de se projeter vers plusieurs espaces et temporalités différents, vers un personnage qui se profile et une action sur le point de prendre forme, mais tous ces éléments réunis ne suffisent pas à concevoir de manière claire et cohérente la situation de départ : le lecteur peut donc se sentir un peu dérouté et intrigué
. La présence obsédante du « cœur » de Simon Limbres à l’intérieur de la narration (le mot « cœur » est présent six fois) vient également surprendre le lecteur : il n’est pas habituel de présenter un personnage en passant par l’un de ses organes et ce déplacement métonymique éveille notre curiosité, d’autant plus que le narrateur semble surtout attaché à la nécessité de définir ce cœur : la porte d’entrée que nous offre l’incipit dans la vie du personnage paraît donc inédite.
. Le déroulement de l’incipit en une seule longue phrase crée un effet de surprise ; extrêmement rythmée, elle se propulse vers son point final à travers une succession de virgules, de brèves pauses matérialisées par un point-virgule ou des tirets, et le lecteur se trouve entraîné dans son sillage comme dans les « flux » et « reflux » (l. 14) d’une vie dont le « cœur » est le moteur, impulsant ses pulsations à la narration
. Cet incipit, marqué par une énergie centrifuge, ouvrant de multiples lignes de sens, superposant les informations en formes de strates successives, fonctionne finalement comme une énigme : le « programme » annoncé n’est-il pas de définir « ce qu’est le cœur de Simon Limbres » (l. 1), entreprise que le narrateur annonce difficile « ce qu’est le cœur de Simon Limbres (…) personne ne le sait au juste » (l. 6-7) ?
Si l’incipit distribue bien des informations permettant au lecteur de former quelques repères un peu stables, il suscite de nombreuses interrogations, et, tant par sa forme que par son contenu, il se révèle original et singulier
2) Un incipit original
a) Un texte construit comme une partition musicale
Importance du rythme : une seule phrase qui se déroule comme « le tracé papier d’un électrocardiogramme » (l. 10), nerveuse, tendue, propulsée vers l’avant et enfin contenue par le point final, phrase qui contient des temps d’accélération ( ex : « ce qu’est ce cœur, ce qui l’a fait bondir, vomir, grossir », l. 4) – qui se densifie et enfle par des procédés d’accumulation, et de décélération ( ex : « ce qui l’a fait fondre - l’amour » , l. 5 ; la présentation du plateau de Caux et du cœur au repos du personnage, créant un suspens, avant la précipitation finale marquée par le déport et la clôture que forme la dernière proposition : « et quand soudain tout s’est emballé ») ; ces variations de rythme matérialisent la dilatation et la contraction du muscle cardiaque de Simon Limbres
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