Rousseau, "le peigne cassé"
Commentaire de texte : Rousseau, "le peigne cassé". Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar renan59 • 22 Janvier 2016 • Commentaire de texte • 2 639 Mots (11 Pages) • 4 873 Vues
Commentaire de texte :
Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, livre I :
« Il y a maintenant près de cinquante ans de cette aventure […] mais le souvenir profond de la première aventure que j’ai soufferte y fut trop longtemps et trop fortement lié pour ne pas l’avoir beaucoup renforcé. » (p46-47, éd. Le Livre de poche).
PLAN
I L’expérience de la première injustice
a. Un enfant à l’état de nature
b. La fin des illusions
c. Un traumatisme pérenne
II. Un plaidoyer
a. Un exercice de rhétorique
b. Persuader par l’identification
c. La dramatisation
III La création d’une identité
a. Une identité idéalisée
b. La création d’une fiction de l’identité
c. Une identité non-verbale, émotionnelle.
INTRODUCTION
Rousseau partage dans une certaine mesure la pensée du philosophe empiriste David Hume, selon laquelle toute idée abstraite provient de l’expérience sensible. Rousseau, dans ses Confessions, veut démontrer que l’expérience sensible est également à l’origine de l’identité personnelle.
Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, rédigées à partir de 1765, ouvrent la voie à un nouveau genre, l’autobiographie, qui permet pour la première fois en littérature l’exploration de l’enfance, état vertueux et primitif de l’homme. Le passage du peigne cassé narre le souvenir de la première injustice vécue par Rousseau grâce à l’alternance du point de vue de l’enfant et du narrateur rétrospectif. Composé de trois mouvements, il se caractérise par un plaidoyer grandiloquent justifié ensuite par l’expérience traumatique de l’injustice, expérience sensible à l’origine du caractère de l’adulte.
Ainsi pourrons-nous nous demander en quoi l’expérience sensible de la première injustice dessille les yeux de l’enfant, à l’état de nature, sur la réalité sordide de la société. Mais, en réalité, l’écriture de cette expérience sensible n’est-elle pas qu’une réhabilitation de l’innocence visant l’apitoiement du lecteur ? Enfin, cette révolte contre ses accusateurs est-elle vraiment constitutive de l’identité de Rousseau ?
Dans un premier temps, l’enfant à l’état sauvage croit en la « transparence des consciences » mais l’accusation à tort prouve que « les consciences sont séparées », selon les propos de Jean Starobinski, dans La Transparence et l’obstacle. Ce constat constitue un véritable traumatisme émotionnel. Mais, en réalité, l’écriture de ce traumatisme vise à la réhabilitation de Rousseau en tant qu’être vertueux, à travers un habile plaidoyer qui rétablit la « transparence des consciences » pour susciter la compassion envers lui. Enfin, par cet extrait Rousseau cherche à créer son identité à travers le temps mais, par le biais de l’écriture, il déforme ce qu’il est. La vérité de son être réside dans l’émotion, dissimulée dans le langage.
PREMIERE PARTIE
Rousseau raconte l’expérience sensible de la première injustice. Elle constitue la chute qui expulse l’enfant du paradis de Bossey et qui lui fait prendre conscience du fait que chaque être est un autre. Ce traumatisme passé mais également présent se confond à travers l’émotion exprimée dans le texte.
L’éthopée de Rousseau enfant montre un être à l’état de nature, incapable de penser l’injustice et évoluant dans un cadre idéal. En effet, il apparaît comme un être primitif, « fier, indomptable » (l.11), c’est-à-dire comme un être sauvage, qui n’a pas été poli par la société. Cet état transparaît à travers l’asyndète qui, par l’absence de conjonction de coordination, rend le langage brut. L’enfant est de plus régi par un principe moral inhérent à lui-même, intériorisant la « voix de la raison », c’est pourquoi il ne peut pas formuler conceptuellement l’injustice, il « n’[en a] pas même l’idée » (l.14). Ainsi l’enfant est-il incapable de commettre le mal même en pensée, comme l’évoque la gradation (l.5-6) niant d’abord l’acte dont il est accusé et culminant à la négation de l’intention, affirmant « n’y [avoir] pas même songé » (l.6). Il ne connaît pas la justice, principe moral de conformité au droit humain, imparfait, mais l’équité (l.13), c’est-à-dire l’égalité, une justice naturelle, originelle. Elle est rendue possible grâce à la « transparence des consciences », à l’intercompréhension totale entre les membres de la communauté de Bossey. Tous évoluent dans une sorte de temps mythique, caractérisé par la répétition de l’adverbe « toujours », qui définit un cadre temporel originel et éternel.
Le mythe s’effondre quand il apprend « que les consciences sont séparées et qu’il est impossible de communiquer l’évidence immédiate que l’on éprouve soi-même », d’après Jean Starobinski. En effet, l’enfant ne peut plus communiquer car il n’est pas en mesure de formuler ce qu’il ne comprend pas. Il est plongé dans le chaos et subit « un renversement », un « désordre », un « bouleversement » (l.17-18), gradation qui va du sens renversé à l’absence totale de sens. Le narrateur rétrospectif ressent la même difficulté à s’exprimer. Il essaie de faire « imagine[r] tout cela » (l.20) au lecteur car il est dans l’incapacité d’écrire le trouble qu’il éprouvait enfant. Il ne sait « s’il est possible » (l.21) de formuler ce sentiment car il culmine dans l’indicible. L’enfant parvient toutefois à rompre le silence à travers le cri « Carnifex » (l.40), cependant, il s’agit d’un langage zéro qui ne communique rien à personne si ce n’est l’expression de la rage.
Ainsi, l’enfant est-il submergé par des sentiments violents. Il passe du paradis au monde sensible, faisant l’expérience de la chute, sorte de baptême maudit traduit par la récurrence de l’adjectif « premier ». Cette nouvelle terre qui l’accueille est, selon l’expression biblique, « une vallée de larmes », l’enfant y souffrant à
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