Petit Pays de Gael Faye
Analyse sectorielle : Petit Pays de Gael Faye. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Arnaud Hebert • 6 Novembre 2021 • Analyse sectorielle • 2 800 Mots (12 Pages) • 773 Vues
Gaël Faye, Petit Pays
Avis et analyse
Si la beauté avait un nom on l’appellerait ‘’Petit Pays’’. Quelques rayons de cauchemars diurnes, quelques graines de poésie et une bruine de nostalgie donnent naissance à cette magnifique orchidée parfumée. Ces souvenirs ouverts libèrent des aromes exotiques, des saveurs sucrées, malgré une amertume astringente. Ce sont ces passages. Choquants et dévastateurs, émouvant et répugnant, ce génocide, ce massacre de la famille de Gabi, ces morts à tout-va... Pourtant désagréable, ce goût est nécessaire lors de la consommation de ce met gastronomique, délectable. Néanmoins, pour ne pas gâcher la beauté lyrique de ce chef d’œuvre, je m’abstiendrai d’énumérer ces passages traumatiques marquants, au profit d’extraits poétiques resplendissants.
Le premier extrait que j’ai choisi est le chapitre 7 du livre, plus précisément le moment de correspondance entre Gabi et Laure, son amour d’enfance, le premier, peut être aussi le dernier. Le plus pur et le plus innocent, plusieurs dizaines de milliers de kilomètres les séparent, mais la distance n’empêche pas Gabi d’éprouver cette sensation. Parmi les quelques lettres envoyées entre eux, les premières sont les plus marquantes. Gaël Faye, adulte, a sans doute quelque peu amélioré ses lettres d’enfance, mais nul ne peut le blâmer, le principal reste là : il était destiné à devenir un artiste. Il est incroyable de voir un enfant d’une dizaine d’année écrire aussi bien. Il est né avec une plume entre les doigts, écrivant une lettre manuscrite autant poétique que philosophique. D’ailleurs, son niveau de langue est contrasté avec celui de Laure, le mettant en valeur. Laure, reine des énumérations et des épiphores (‘’et toi ?’’ ; ‘’et toi ?’’) demeure cependant simple dans sa rédaction : quelques descriptions physiques, ses passions, sa famille, ses loisirs, mais sans plus. Une seule chose différente avec Gabi : son innocence. Quand elle parle de loisir, de chants, et de danse, son correspondant burundais parle déjà de son futur et de politique. Gabi est beaucoup plus mature, peut être un peu trop, ce qui montre bien une enfance spoliée, trop vite expédiée. Sa lettre commence, Gabi se présente, mais voilà quelque chose d’insolite, il va pérorer autour d’une notion qui lui semble controversée, l’identité. Pour lui, les noms, les patronymes sont plus des diktats qu’autre chose, une appellation imposée dès nos premières minutes de naissance, parfois avant, que nous sommes obligés de conserver toute notre vie. Il n’hésite pas à s’affranchir de ces codes en se surnommant ‘’Gabi’’. Il semble qu’il ait conservé en lui ces idées de fond jusqu’à l’âge adulte : dans son incipit, quand Gaël évoque ses conquêtes féminines et qu’il est questionné quotidiennement sur ses origines, sa nation, son nom. Pour lui, ces mots sont incompréhensibles, vides, ‘’je suis un être humain’’, répond-il à chaque fois ; après tout, il est vrai que seule la race humaine existe, les autres sont des inventions crées de toutes pièces par des despotes ou des radicaux aussi violents que la foudre jupitérienne. Il avance cette thèse à la suite de cette lettre en évoquant la couleur des yeux : ce fantasme de race est alors encore plus caricaturé, ridiculisé. En effet, Gabi aurait pu évoquer qu’autour de lui se trouve des Hutus, des Tutsis, mais il n’en fera rien, au lieu de cela, il ne parle que de couleurs des yeux : peu importe que des Burundais soient hutus ou tutsis, ils ont tous les yeux marrons, comme chaque autre habitant, ce qui ne les rend pas négativement différents. Il explique qu’il ne voit les autres que de cette couleur, voulant implicitement dire qu’aucune autre caractéristique ethnique ne l’intéresse, qu’il n’y croit guère… Il continue de spéculer autour du bonheur imparfait et équilibré à la fois, sans doute veut-il montrer que le monde n’est pas manichéen et que même le bonheur est plus gris que blanc, et le malheur plus gris que noir ? Après tout, n’est-ce pas la pluie griffant et crachant qui apporte les arcs-en-ciel ? Après une parèchèse volontaire (’’c’est la barbe et la barbarie !’’), comparable à Marbeuf et sa mer amère son amour amer, Gabi voyage 8 ans dans le futur, et parle de sa majorité. Encore une différence entre Gabi et Gaël : l’adulte est misanthrope, après une expérience traumatisante, quand l’enfant est plus humaniste, a foi en l’Homme, et pense que les mauvaises choses passent, comme la pluie avant le beau temps, seulement si l’on prend le temps de les réparer… . Cet extrait est important selon moi, il est marquant pour le fond et la symbolique : si cette lettre est utile pour montrer le talent inné de Gabi/Gaël, c’est l’un des derniers extraits où le protagoniste conserve son innocence infantile, son espoir envers le genre humain, son enthousiasme et son optimisme avant de sombrer peu à peu dans la réalité cruelle.
Le chapitre 23 n’est pas à délaissé, loin de là. Plutôt court, on pourrait presque le couper en deux, d’une part, le monde réel, beaucoup plus bouleversant, qui commence illico par le départ des Jumeaux. Un départ très allégorique, puisqu’en partant, le peu d’insouciance et de rire qui restait s’est estompé comme la poudre interstellaire d’une comète. Le changement est à son comble car le nom de la bande est remanié, signifiant que plus rien ne sera jamais comme avant. Plus que cela, Gabi et le lecteur sont témoins d’une horrible nouvelle : la radicalité politique s’est répandue jusqu’à leur cachette, pourtant en retrait sur la ville. Gino, manipulé par Francis commence à tenir les mêmes discours extrémistes que les adultes, souhaitant même participer à l’opération ‘’Ville Morte’’. Un moment très choquant, qui montre bien que la guerre n’impacte pas que la vie des adultes, et que des enfants pourtant désintéressés par ces notions se retrouvent à parler de la loi du talion et de délires psychotiques, que la peur les pousse à choisir obligatoirement un camp… Et l’impasse devient piège… La triste réalité du pays n’épargne plus personne, tous sont impactés, Gabi qui souhaiter éviter tout cela est submergé, hanté par ces terreurs diurnes, et n’a pas d’autre choix que de s’isoler, et après avoir perdu sa famille, il perd ses amis, se retrouvant dans une solitude qui le rongera.
Mais, la seconde partie de ce chapitre,
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