Montaigne - Les essais, chapitre 26, livre I
Commentaire de texte : Montaigne - Les essais, chapitre 26, livre I. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar adriana00 • 2 Juin 2016 • Commentaire de texte • 1 923 Mots (8 Pages) • 10 352 Vues
Le texte proposé à notre analyse est tiré du chapitre 26, livre I des Essais de Montaigne, grand humaniste du XVIe siècle de la Renaissance, grand admirateur d’Erasme, son maître à penser pédagogique. Le chapitre 26 est à lui seul un véritable traité éducatif dans lequel on retrouve bien sûr les valeurs chères aux humanistes et notamment, dans cet extrait, le libre arbitre et la faculté de penser par soi-même. Montaigne développe et préconise une démarche plus pédagogique qu’encyclopédique. L’extrait se présente sous la forme d’une longue lettre, adressée à Diane de Foix qui attendait un enfant et dans laquelle l’auteur donne à la future mère des conseils en matière d’éducation. Nous nous demanderons comment Montaigne, à travers les valeurs humanistes favorise la démarche pédagogique. D’une part, nous analyserons les objectifs éducatifs, ensuite nous montrerons que c’est un extrait humaniste, et d’autre part, nous verrons que cette méthode d’enseignement est novatrice.
Tout d’abord, Montaigne précise les objectifs de l’éducation : ils doivent être désintéressés, gratuits. Les négations «non pour le gain », « ni autant pour les avantages extérieurs externes » qui s’opposent par antithèse aux affirmations « que pour les siens propres », « et pour qu’il s’en enrichisse et s’en pare au dedans », soulignent que l’éducation doit enrichir l’intérieur de l’élève et non ce qui se voit, l’extérieur. De plus, l’éducation n’a pas de visée utilitaire ou pratique, ce qui révèle son caractère aristocratique. D’ailleurs cet enseignement est proposé « pour un enfant de maison », c’est à dire pour un enfant de famille noble. Il s’agit de l’étude des Lettres, des studia humanitatis de l’humanisme, qui poursuit un but : l’enrichissement intérieur, l’accomplissement. Cette idée est prégnante dans le pronom possessif « les siens propres », dans les verbes pronominaux « s’en enrichisse » et « s’en pare au dedans » qui marquent l’idée d’un épanouissement personnel. Le chiasme « habile homme/homme savant » oppose deux conceptions de l’éducation.
La marque propre de Montaigne réside surtout dans l’insistance sur le développement du jugement, marque de son indépendance d’esprit, de sa volonté de s’affranchir des croyances et autorités établies. Le texte de Montaigne oscille sans cesse entre propositions pédagogiques et critiques de méthodes anciennes. A chaque début de paragraphe, il use ainsi de cet artifice en commençant parfois par le négatif. Ensuite, il expose ses principes. Le verbe vouloir, sous différentes formes « je veux », « je ne veux pas », le conditionnel « je voudrais » qui marque le souhait, insiste sur la volonté du pédagogue. Ce qu’il veut par-dessus tout, c’est que son élève se serve de son propre jugement. La gradation « gouter, choisir, discerner d’elle-même » insiste sur cette idée. Le verbe au futur « il choisira » renforce cette hypothèse. L’élève doit donner du sens à ses apprentissages, au risque de passer à coté de son éducation. L’injonction « qu’on ne lui demande pas seulement de répéter les mots de sa leçon, mais de lui dire leur sens et leur substance » corrobore cette idée. On constate, l’auteur met en avant le développement du libre arbitre, un des mots clés du seizième siècle renaissant. L’élève doit apprendre à réfléchir par lui-même et favoriser ainsi son épanouissement personnel. Ce texte est aussi l’occasion pour Montaigne de critiquer vertement les pratiques de la pédagogie traditionnelle.
En effet, cet extrait regorge de critiques négatives à l’égard de la scolastique médiévale, dont les méthodes pédagogiques paraissent bien éloignées de celles préconisées par l’auteur. Il reproche à cet enseignement plusieurs points ; d’abord, de contraindre l’élève à répéter ce qu’il a ingurgité. La métaphore de l’oie que l’on gave avec le verbe à connotation péjorative « on ne cesse de criailler à nos oreilles comme si l’on versait dans un entonnoir », et la négation restrictive « ce n’est que redire ce qu’on nous a dit », ainsi que l’injonction « qu’il ne lui demande pas seulement de lui réter les mots de sa leçon » suggèrent qu’on ne demande à l’enseigné que de rabâcher un savoir qui vient d’en haut. La métaphore alimentaire est reprise avec l’affirmation assurée de la métaphore filée « regorger la nourriture comme on l’a avalée est une preuve qu’elle est restée crue et non assimilée. L’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a pas fait changer la facon et la forme qu’on lui avait donné a ligérer » et contribue a véhiculer une image extremement critique et sévère de l’enseignement médiéval. Ensuite,l’utilisation du pronom indéfini « on » dévalorise ce mode éducatif. De surcroit, montaigne dénonce un enseignement qui est basé sur le principe de l’autorité qui asservit l’enfant et ne développe ni son intélligence, ni sa personnalité. Le champ lexical de la servitude « liée, astreinte au bon plaisir des pensées des autres, serve et captive » confirme cette analyse. La métaphore équestre qui sera filée tout au long du texte « on nous a tant assujettis aux longes que nous n’avons plus de libres allures » renforce cette idée. Néanmoins, Montaigne, en bon humaniste de la Renaissance convoque les auteurs latins et grecs. Cet extrait est en effet truffé de références à l’Antiquité. Dans le premier paragraphe, Montaigne fait allusions aux Muses : les neufs muses de la mythologie étaient les inspiratrices des poètes, des historiens, et dramaturges. Ensuite, dans le troisième paragraphe, il cite Socrate et Arcésilas, leur donnant ainsi la valeur d’un argument d’autorité. Ces philosophes faisaient deja parler leurs disciples avant de parler d’eux-memes. La négation « je ne veux pas qu’il invente et parle seul » suivie de l’injonction « je veux qu’il écoute son disciple parler a son tour » rappelle ce principe. Pour appuyer davantage son propos et lui donner du crédit, Montaigne renchérit avec la citation latine de Cicéron « obest plerumque iis qui discere volunt aauctoritas eorum qui docent » – l’autorité de ceux qui enseignent est le plus souvent nuisible a ceux qui veulent apprendre’’. D’autre part, Montaigne évoque Platon pour ses conseils pédagogiques et enfin Aristote, Les Stoïciens et les Epicuriens.
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