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Les fleurs du mal de Baudelaire : une poésie qui ne cache rien

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Par   •  27 Janvier 2022  •  Dissertation  •  2 282 Mots (10 Pages)  •  1 149 Vues

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Dissertation sur les Fleurs du Mal

Les Fleurs du mal : une poésie qui ne cache rien*

Une peinture du monde certes, il serait facile de relever au fil d’un recueil ancré dans son siècle les éléments qui pourraient apparemment l’inscrire dans une veine nettement réaliste : Baudelaire se montre attentif à la réalité dans laquelle il vit, et considère d’ailleurs le poète comme un « peintre de la vie moderne ». Les poèmes de la section « Tableaux parisiens » sont pour lui l’occasion privilégiée de capter l’étrange et fugitive beauté de la réalité urbaine : « Le vieux Paris n’est plus ». Toutefois, le regard que le poète pose sur le monde qui l’entoure s’éloigne manifestement de celui d’un copiste. Il se détourne obstinément de toute représentation mimétique de la ville, et on le voit rarement se laisser situer dans l’espace réel (« Quand je traversais le vieux Carrousel… »). C’est que le poète ne cherche pas à rivaliser avec la réalité, mais à en révéler toute la profondeur. Sa mission, sa vocation peut-être, à l'instar de l'haruspice antique, consiste à lire les signes de la nature, à faire advenir le phénomène à la signification, grâce à un réseau d’images et de métaphores inédites. En effet, son œil n’observe pas seulement la réalité matérielle du monde : il s’empare d’objets, de paysages, de moments vécus, qu’il associe à des sensations. En ce sens, Les Fleurs du Mal constitue bien une invitation au voyage, mais à un voyage sensoriel avant tout, sensuel, particulièrement olfactif. Souvenons-nous de ces vers évocateurs tirés du « Parfum », deuxième sonnet de l’ensemble « Un fantôme » : « Lecteur, as-tu quelquefois respiré / Avec ivresse et lente gourmandise / Ce grain d'encens qui remplit une église, / Ou d'un sachet le musc invétéré ? ». Baudelaire prend à témoin le lecteur, l’entraînant dans le récit d’une expérience partagée, celle d’un souvenir qui parvient à revivre dans le concret de la sensation. Le poète est celui qui sait « l’art d’évoquer les minutes heureuses », le « crépuscule du soir » comme celui du matin, tous les plaisirs charnels, la volupté, le vin.

Une peinture de la misère des hommes Dès le poème liminaire « Au lecteur », Baudelaire annonce la couleur de son recueil : « La sottise, l’erreur, le péché, la lésine, Occupent nos esprits et travaillent nos corps ». La condition humaine, placée sous le signe de « Satan Trismégiste » est marquée par l’abjection, vouée au mal. Le recueil se déploie ensuite comme la traversée du « chemin bourbeux » qu’est l’existence : Paris, « fourmillante cité » ou « cité de fange » est peuplée de fantômes, de spectres ou « démons malsains » qui s’éveillent « comme des gens d’affaire » , de vieillards sinistres, d’assassins et de prostituées, « muses vénales », de mendiants aveugles « vraiment affreux » . « Race de Caïn », l’humanité est présentée comme fautive, souillée, elle « rampe et meurt misérablement » dans la fange. Cette vision singulière explique la réception du recueil à sa parution : « L’odieux y coudoie l’ignoble, le repoussant s’y allie à l’infect, jamais on n'assista à une semblable revue de démons, de fœtus, de diables, de chloroses, de chats et de vermine. Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l'esprit, à toutes les putridités du cœur", écrit Le Figaro. Baudelaire outrepasse donc évidemment l’exercice d’une simple peinture réaliste : il ouvre les cœurs et fouille dans l’abject. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’accusation de « tout mettre à nu ». « La Charogne », par exemple, suit une progression qui se rapproche de plus en plus de l’objet jusqu’au « ventre putride ». Le poète ne capte pas seulement la réalité matérielle du monde, il associe les sensations par un jeu de synesthésies, afin de révéler les mystères du monde. L’objet baudelairien le plus banal ouvre ainsi sur des profondeurs : l’horloge devient un « dieu sinistre, effrayant, impassible » qui conduit inéluctablement à la mort. Par les réseaux métaphoriques, il entre « comme un coup de couteau/ dans le cœur plaintif » des hommes, met au jour l’ennui qui les ronge et l’hypocrisie de ses lecteurs. Baudelaire est bien, selon Rimbaud, « le premier voyant », et sa naissance, évoquée dans « Bénédiction », peut se lire comme une réécriture inversée de l’Annonciation, celle d’un prophète qui révèle au monde la douleur.

Les Fleurs du mal : une effraction de la modernité

Une rupture avec la conception classique de la poésie Le recueil mêle l’archaïque et le nouveau. Ce n’est pas que Baudelaire rejette spontanément l’Idéal classique (« J’aime le souvenir de ces époques nues, / Dont Phébus se plaisait à dorer les statues »), mais celui-ci est désormais perçu comme hors d’atteinte dans un monde devenu laid, et sous un ciel vide. « Le peintre de la vie moderne » ne peut plus peindre comme Rubens, Léonard de Vinci, Rembrandt ou Michel-Ange évoqués dans « les Phares ». Enfant chéri des muses, le poète a perdu son auréole sacrée. Dans Fusées, Baudelaire écrit ainsi : « Comme je traversais le boulevard, et comme je mettais un peu de précipitation à éviter les voitures, mon auréole s’est détachée et est tombée dans la boue du macadam ». « L’Albatros » évoque par une analogie la condition du poète moderne ; « Le Cygne », ironiquement dédié à Victor Hugo, pointe une ville défigurée. La laideur et la vilenie contemporaine se perçoivent également dans les heurts qui viennent déranger les formes en apparence classiques des poèmes baudelairiens (par exemple, outre le remplacement des rimes embrassées par des rimes croisées dans les quatrains, le sonnet « La Cloche fêlée » admet de ces fêlures en effet dans le corps fluide des alexandrins, qui font sonner une « voix affaiblie » et laissent s’installer un certain prosaïsme).

Une beauté autre Fruit d’une distillation, « le beau est toujours bizarre » chez Baudelaire. S’éloignant là encore de la conception classique de la beauté, dont on reconnaît les formes harmonieuses établies selon des règles connues, Baudelaire fonde son esthétique sur la surprise et l’étonnement. Ses poèmes marquent les esprits par l’alliance insolite entre une forme classique et un contenu provocateur, par des images qui subjuguent par leur étrangeté : « Le

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