Les figures de la paternité dans Le Père Goriot, BALZAC (1835)
Fiche : Les figures de la paternité dans Le Père Goriot, BALZAC (1835). Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar fanny118 • 18 Juillet 2016 • Fiche • 2 130 Mots (9 Pages) • 3 872 Vues
Les figures de la paternité dans Le Père Goriot
Scène de la vie privée, Le Père Goriot, débuté par Balzac en septembre 1834, est un roman centré sur la paternité. Publié entre décembre 1834 et mars 1835, en plusieurs, il comporte 3 intrigues apparemment distinctes et parallèles :
- le parcours aventureux d’un jeune provincial à Paris
- le triste destin d’un père de famille qui s’est ruiné pour ses filles
- les intrigues du mystérieux Vautrin.
Le titre du roman fait apparaître le mot « père » accolé au nom de Goriot. Ce mot évoque à la fois l’appellation sociale dévalorisante qui remplace Monsieur chez les gens du peuple, nous plaçant d’emblée dans un cadre social populaire, et définit le trait de personnalité essentiel du personnage éponyme. En choisissant ce titre, Balzac a donc voulu placer son roman sous le signe de la paternité.
Et de fait, le roman est organisé dramatiquement autour de quatre figures de père, qu’Eugène va côtoyer dans sa quête du pouvoir. Parmi elles, deux sont seulement esquissées, celles du père de Rastignac et du baron Taillefer, tandis que les deux autres sont abondamment développées, celles de Vautrin et du père Goriot.
Le père d’Eugène
De façon surprenante pour un tel roman, il est absent. Cité quatre fois, ce hobereau* charentais n’est pas décrit. Lorsqu’Eugène a besoin du secours de sa famille, c’est vers sa mère et ses sœurs, plus faciles à apitoyer, qu’il se tourne (voir ses lettres).
De son père, le jeune ne reçoit que son nom : Eugène est issu d’un mot grec qui signifie bien né, de race noble ; Rastignac rappelle par sa fin les consonances méridionales (« Eugène de Rastignac avait un visage tout méridional, le teint blanc, des cheveux noirs, des yeux bleus. Sa tournure, ses manières, sa pose habituelle dénotaient le fils d'une famille noble, où l'éducation première n'avait comporté que des traditions de bon goût. »), et évoque par ses sonorités âpres, l’énergie d’un conquérant. Comme tout jeune homme de la noblesse, Eugène est soumis à une tradition aristocratique faite de devoirs et de distinction, malgré l’absence de moyens, souvent caractéristique de la noblesse de province (« Son père, sa mère, ses deux frères, ses deux sœurs, et une tante dont la fortune consistait en pensions, vivaient sur la petite terre de Rastignac. Ce domaine d'un revenu d'environ trois mille francs était soumis à l'incertitude qui régit le produit tout industriel de la vigne, et néanmoins il fallait en extraire chaque année douze cents francs pour lui.»). Il va donc devoir s’attacher à ne pas salir, déshonorer son nom.
Vautrin va d’ailleurs, plus tard, dresser le cruel bilan de cette famille pauvre (« Nous avons, là-bas, papa, maman, grand-tante, deux sœurs (dix-huit et dix-sept ans), deux petits frères (quinze et dix ans), voilà le contrôle de l’équipage. La tante élève vos sœurs. Le curé vient apprendre le latin aux deux frères. La famille mange plus de bouillie de marrons que de pain blanc, le papa ménage ses culottes, maman se donne à peine une robe d’hiver et une robe d’été́, nos sœurs font comme elles peuvent. [...] Nous avons une cuisinière et un domestique, il faut garder le décorum, papa est baron. »).
Ce père a néanmoins offert à son fils, auquel il a délégué ses responsabilités (« l'avenir incertain de cette nombreuse famille qui reposait sur lui »), l’histoire d’une lignée et donc des alliances : son nom agit comme un laisser-passer. Grâce à lui, il va accéder à la société de sa cousine, Mme de Beauséant, et ce nom légitime son ambition.
Le Baron Taillefer
Il a deux enfants, une fille, Victorine, qui vit à la pension Vauquer, comme Rastignac, et un fils, que Vautrin fera assassiner. Ce père indigne a refusé de reconnaître sa fille, qu’il considère comme illégitime, au profit de son fils (« Son histoire eût fourni le sujet d'un livre. Son père croyait avoir des raisons pour ne pas la reconnaitre, refusait de la garder près de lui, ne lui accordait que six cents francs par an, et avait dénaturé́ sa fortune, afin de pouvoir la transmettre en entier à son fils. »). Ce riche banquier est un homme insensible, uniquement préoccupé par la gestion de ses biens.
Cependant, Victorine aime malgré tout son père, qu’elle essaie d’attendrir (« tous les ans elle se cognait contre la porte de la maison paternelle, inexorablement fermée »). La jeune fille reporte donc son affection sur Mme Couture, et garde une attitude pieuse, confiante, aimante, refusant de mêler ses paroles aux critiques de Mmes Couture et Vauquer (« elles ne trouvaient pas assez de mots dans le dictionnaire des injures pour qualifier cette conduite barbare »).
Le baron, lui, est « ennuyé de recevoir sa fille », il l’appelle « Mademoiselle », comme s’il refusait tout lien de parenté et toute marque de tendresse. Même Goriot est horrifié par sa conduite et le qualifie de « monstre ». Cet homme offre un contraste parfait au personnage de Goriot : il est riche, influent mais se désintéresse de sa fille qui, pourtant, continue de l’aimer. Cela rend la situation de Goriot encore plus cruelle, car lui est abandonné par ses filles pour lesquelles il s’est peu à peu ruiné. Taillefer reconnaîtra finalement sa fille lorsqu’il perdra son fils, mais pour de basses questions d’argent et de transmission de patrimoine.
Vautrin
Plusieurs fois, celui-ci va s’imposer à Rastignac (« vous faites meilleure mine à votre petit papa Vautrin » ; « vous aurez fait, en six mois de temps, votre bonheur, celui d’une femme aimable et celui de votre papa Vautrin »). Son intelligence l’oppose à l’aveuglement stupide du père Goriot. Il a choisi Eugène (« Vautrin regarda Rastignac d'un air paternel et méprisant, comme s'il eût dit: " Marmot! dont je ne ferais qu'une bouchée! " »).
Ange du mal et tentateur, esprit lucide qui a pénétré́ les secrets du monde, qui s'est approprié l'arbre du Bien et du Mal, il a le don de lire dans les consciences, il possède des pouvoirs surhumains. Alors qu’Eugène est une projection de l’ambition de Balzac d’être reconnu par la société parisienne, Vautrin, quant à lui, incarne une forme de la paternité́ littéraire. Il est l'ambition créatrice de Balzac, il est comme une énergie à l'état pur chargée d'organiser le chaos. Il est l'Esprit qui plane sur le bourbier humain pour l'expliquer et surtout pour agir comme une Providence subversive auprès de certains êtres d'élection, comme Rastignac.
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