Le travail du poète se limite-t-il simplement à la transfiguration du laid et du trivial ?
Dissertation : Le travail du poète se limite-t-il simplement à la transfiguration du laid et du trivial ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar louise quev • 11 Mai 2021 • Dissertation • 1 882 Mots (8 Pages) • 647 Vues
DISSERTATION DE FRANÇAIS
Maléfique, morbide et charnel : voilà comment est vue la poésie de Charles Baudelaire au XIXe siècle. En effet, la parution de son recueil Les Fleurs du Mal en 1857 fait l’objet d’un procès pour outrage aux bonnes mœurs. Baudelaire y fait référence au vulgaire et au trivial, ce qui n’est pas traditionnellement considéré comme objet de la poésie. Il évoque une certaine complaisance au vice et à la débauche, qui lui permettent d’échapper à ce sentiment profond de désespoir et de mélancolie : le spleen. C’est dans cette boue que Baudelaire, véritable esthète, puise son inspiration afin d’offrir au lecteur sa vision du beau. Suivant ce projet poétique, Baudelaire nous livre une réflexion dans son “Ébauche d’un épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du Mal” de 1861, où il dit : “[…]Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.” La modernité baudelairienne se caractérise alors par la tentative inédite d’exploiter la laideur, l’informe, ou la boue, non plus pour s’en moquer, mais pour tenter d’y déceler une beauté. D’après ce projet d’épilogue, le poète nous dévoile ses talents d’alchimiste et sa volonté d’extraire l’or, ce qu’il y a de plus beau et précieux, du mal. Pourtant, cela ne l’empêche pas de se décrire dans certains poèmes comme un alchimiste raté ou ennemi à lui-même, qui transformerait l’or en névrose. Il s’agit donc de nuancer et de comprendre cette contradiction.
Le travail du poète se limite-t-il simplement à la transfiguration du laid et du trivial?
Si l’on répond par l’affirmative, nous admettrons dans une première partie que le poète est un alchimiste qui transfigure le sinistre grâce au travail de la langue. Toutefois, il faut dégager les limites de cette perspective, en montrant dans une seconde partie que ce travail poétique permet également de montrer la boue du monde avec une grande intensité. Ainsi, nous nous pencherons sur l’esthétique du mal créée par cette boue poétique, qui lui permet de redéfinir l’or et la beauté.
Le poète a le pouvoir de transformer la boue en or. Baudelaire affirme s’être donné cet objectif à plusieurs reprises, et l’applique ainsi dans de nombreux poèmes.
En effet, la volonté du poète à transfigurer est rendue explicite. La citation étudiée n’est pas la seule fois où le poète déclare tirer le beau du mal. Si le titre du recueil est déjà un premier indice, Baudelaire consacre également un poème à la définition du rôle du poète. C’est donc dans “Le soleil”, issu de la section Tableaux Parisiens, que Baudelaire nous livre ses aspirations vers l’idéal et son souhait d’ennoblir « le sort des choses les plus viles ». Tout au long du poème, il se compare au Soleil, qui comme lui a le pouvoir de faire rejaillir les êtres en les illuminant par la beauté de son art. Pour lui, la beauté est partout, que ce soit “dans tous les hôpitaux et dans tous les palais”, il se donne pour objectif de l’extraire. Il définit ainsi le rôle du poète, présenté comme véritable alchimiste, qui est de saisir la beauté passagère du monde triste et banal. Cette réflexion métaphysique, renforce donc l’idée soutenue par Baudelaire dans son projet d’épilogue.
Néanmoins, Baudelaire ne se contente pas de vanter son pouvoir, puisqu’il l’applique à ses œuvres. C’est en glorifiant le sinistre à travers le travail du langage poétique que Baudelaire transforme. La beauté résulterait donc d’une composition et d’un travail sans fin. En effet, le poème “Une Charogne” au milieu de la section Spleen et Idéal, tend à s’élever vers l’idéal malgré l’aspect morbide et repoussant de cet animal mort. Le poète livre au lecteur une description clinique voire naturaliste d’une charogne dont “les mouches bourdonnaient sur [son] ventre putride”. Mais au cours du texte, le poète dégage peu à peu l’ébauche d’une certaine beauté. Il compare le cadavre à la musique, la peinture et les descriptions de plus en plus floues laissent le lecteur idéaliser cet objet poétique. Ce poème est donc emblématique du projet Baudelairien décrit dans son épilogue, d’extraire la quintessence des choses les plus putrides. Ainsi dans plusieurs poèmes, il prend pour point d’appui une réalité banale, que l’on ne considérerait pas poétique, pour nous montrer par son tour de force symboliste que ce sujet est enfaite digne de poésie. Baudelaire s’affirme alors comme un rénovateur et un novateur.
Nous avons donc montré que Baudelaire confirme à plusieurs reprises sa volonté d’élever vers l’idéal, chose qu’il fait dans de nombreux poèmes par le travail de la langue. Toutefois, son initiative de sublimation peut échouer. Les descriptions de la boue par lesquelles le poète doit passer l’empêchent de s’en détacher et expose le lecteur à un côté plus sinistre de la poésie.
Avant l’or, le poète doit faire la description macabre de son objet d’étude. Son travail poétique mettrait donc aussi la boue en valeur. Le poète ne peux s’en séparer, menant à la création d’un cercle vicieux.
En effet, nous commencerons par étudier l’omniprésence du mal dans le recueil, qui constitue la matière du poète alchimiste. Pour qu’il y’ai de l’or il faut d’abord de la boue. Baudelaire s’intéresse alors à quatre types de mal : le mal social et la peur d’être déchu, le mal moral illustré par sa complaisance au vice, le mal physique avec le mal-être du poète et enfin, le mal métaphysique et ses questionnements autour de la mort. Ces thèmes feront ainsi l’objet d’une grande partie des poèmes. Dans le poème liminaire du recueil “Au Lecteur”, Baudelaire illustre son esthétique moderne liée au mal et fait l’inventaire de ses différentes formes. À travers ces dix quatrains il aborde les thèmes principaux du recueil, allant de la “sottise, l’erreur, le péché” de l’Homme jusqu’à l’influence du “Diable qui tient les fils qui nous remuent” et l’ennui morbide que l’auteur connait. Ce poème est donc l’exemple d’une description profonde de la boue que Baudelaire offre au lecteur, annonçant le contenu à venir. Malgré lui, le poète montre au lecteur la réalité des horreurs du monde. Par conséquent, il ne peut se débarrasser de la boue, présente dans presque chaque poème.
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