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La question de l'Homme dans l'argumentation : la question du gouvernement et de la liberté

Fiche : La question de l'Homme dans l'argumentation : la question du gouvernement et de la liberté. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  28 Octobre 2019  •  Fiche  •  6 239 Mots (25 Pages)  •  554 Vues

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Séquence II :

Question de l’Homme dans l’argumentation

la question du gouvernement et de la liberté

GROUPEMENT TEXTES :

Texte 1 : La Boétie De la servitude volontaire 1548

Texte 2 : Montaigne Essais I chapitre 23 « De la coutume de ne changer aisément une loi reçue » 1595

Texte 3 : Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1848

PROBLEMATIQUE SEQUENCE :( En quoi l’Humanisme du XVI eme siècle, en proposant une réflexion sur la relation de l’Homme à la liberté, engage une prise de conscience sur une question de dimension universelle ?) (1erL)  Par quels moyens argumentatifs les auteurs parviennent-ils à réveiller les consciences ? (1ere ES)

Lecture analytique n°1 :Texte 1 : La Boétie

Intro :

Etienne de La Boétie (1530-1563) homme de loi du parlement est aussi un homme de lettres ami de Montaigne. En 1548 il écrit son Discours sur la Servitude Volontaire qui ne sera jamais publié de son vivant. La première publication du texte se fera en 1576 sous le titre Contr’un  mais il s’agira là d’une récupération du texte par les protestants en pleine guerre de religion.

Cette œuvre est difficilement classable tant son origine et sa forme restent un mystère. Ouvrage écrit pour n’être partagé qu’avec quelques initiés, ce discours porte malgré tout une véritable dimension polémique. En amenant une réflexion sur la notion de servitude volontaire (déjà formulée dans l’antiquité notamment par Cicéron qui utilise la même expression dans Les Philippiques), La Boétie la lie de manière originale à la force de la coutume (tradition, habitude).

Problématique :

Comment La Boétie parvient-il à dénoncer la force de la coutume ?

Autres problématiques possibles :

  1. En quoi peut-on dire que ce texte déstabilise le lecteur afin de mieux le mobiliser ?
  2. On peut se demander si par ce texte La Boétie s’inscrit bien dans les idées de son temps/dans les idées Humanistes 
  3. Par quels moyens La Boétie amène-t-il le lecteur à prendre conscience de son rôle dans la tyrannie ?

Plan :

  1. L’Homme acteur de son malheur et de sa condition
  2. Une volonté de réveiller et de mobiliser

  1. L’Homme acteur de son malheur et de sa condition
  • Dans ce passage La Boétie implique l’Homme dans la réalisation de sa condition.
  • Le passage s’ouvre sur une exclamation qui interpelle « Pauvres et misérables peuples insensés » cette apostrophe qui débute le texte définit immédiatement le référent du « vous » qui domine tout le passage. Ces « peuples » sont donc au centre de la réflexion proposée par l’auteur. Cette position centrale est ouvertement soulignée par la récurrence de la deuxième personne du pluriel sous toutes ses formes du pronom personnel au déterminant possessif (« vos », « vostre »).
  • C’est justement par la prédominance de la deuxième personne que La boétie va impliquer l’Homme dans la réalisation de sa condition. La multiplication des « vous » signale l’acceptation de la servitude. Ainsi « vous vous affoiblissés » ou « vous vous laissés emporter » sont autant de formules qui par la reprise du « vous » par le pronom réfléchi insistent sur la culpabilité du peuple.
  • Le sujet de la grande majorité des verbes d’action est « vous » et plus particulièrement pour le verbe « faire ». C’est pourquoi les formules « celui que vous faites si grand » ou encore « l’avantage que vous lui faites » insistent bien sur la part active du peuple à sa propre servitude.
  • Parce que La Boétie implique l’Homme avec ce « vous » omniprésent, il se rapproche des idées de son temps. Il centre sa réflexion sur l’Homme. (Humanisme). Mais loin de placer un espoir dans l’être humain (différence avec l’humanitarisme du XIX) La Boétie souligne les failles de ce dernier. L’antithèse initiale « opiniastre en votre mal et aveugles en vostre bien » marque l’erreur de jugement qui caractérise la société soumise à la tyrannie. Or cette société est celle d’un « vous » à qui l’on peut s’adresser et non d’un monde étranger : la tyrannie est celle voulue par les peuples occidentaux.
  • Face à ce « vous » La Boétie dresse alors un « il » plus discret plus rare qui renvoie au tyran. « il les conduise » « il se puisse » ou encore « il les face ministres » : un « il » toujours accompagné d’un pronom complément conjoint. Ce pronom conjoint souligne le manque d’autonomie d’un tyran qui ne peut que se servir des autres et quand il s’agit d’un pronom réfléchit c’est l’égoïsme du tyran qui est alors suggéré. Cette troisième personne est également souvent pronom complément sous la forme « luy » et vient marquer encore la passivité du tyran qui ne peut rien sans la force des peuples « vous luy faites ». De manière tout à fait significative la possession est toujours exprimées à la deuxième personne du pluriel ce qui souligne l’absence de pouvoir et d’avoir du tyran. Les peuples possèdent et acceptent de donner.
  • Cette dépossession volontaire au profit d’un tyran est ridiculisée
  • Les très nombreuses énumérations soulignent la dimension extraordinaire du comportement humain « piller vos champs, voller vos maisons (…) » de même que la tendance de l’auteur à développer des synnonymes pour préciser son propos et l’amplifier encore dans une gradation comme « et tout ce degast, ce malheur, ceste ruine »
  • Cette exagération prépare le ridicule de la situation mise en avant par les oppositions antithétiques liées par une absurde relation de but avec la répétition (6 fois) de « afin » : « vous semés vos fruits afin qu’il en face dégast » « vous nourrissez vos enfants, afin qu’il (…) les mène à la guerre ».
  • Cette dimension ridicule prépare l’ironie mordante liée à la comparaison avec les animaux qui achève ce raisonnement. Cette comparaison est amenée par la métaphore « a vous tenir plus courte la bride » formule qui associe implicitement l’homme au cheval ou à l’animal de bât et qui annonce la comparaison plus évidente « les bestes mesmes(…) ne l’enduroient point » refus de l’animal d’une telle servitude volontaire donc par logique implicite l’Homme parce qu’il s’avilit dans la servitude se place en dessous de l’animal et de la Nature (idée développée ultérieurement dans le DSV)
  • Cette ironie du texte est encore plus forte face à la facilité déconcertante de la solution proposée
  • L’affirmation « vous pouvés vous en délivrer » accentue encore la culpabilité du peuple à rester en servitude. La formule « mais seulement » répétée deux fois,  associée à « vouloir » intensifie la dimension accessible de la solution tout en dénonçant une fois encore la passivité des peuples qui n’ont pas justement de volonté.
  • Cette solution pacifique marquée par la négation , qui n’est donc pas action mais inaction « ne servir lus » « ne le soustenés plus » marque par sa simplicité la complicité des peuples dans leur propre tyrannie.
  • La Boétie illustre alors son propos d’une comparaison « comme un garnd colosse… » : référence à l’antiquité, exemple antique chers aux humanistes : on peut voir là soit une référence au rêve de Nabuchodonosor dans la Bible soit le colosse de Plutarque dans son Il faut un prince soit instruit.
  • Donc parce qu’il ridiculise le comportement passif des peuples La Boétie dénonce le penchant humain à céder à la tyrannie et à la favoriser. Mais s’il dénonce bien cette tendance, il pousse également à agir
  1. Une volonté de réveiller et de mobiliser
  • En même temps qu’il dénonce la passivité des peuples le destinateur souligne aussi les exactions et les méfaits du tyran.
  • Le tyran est ainsi associé aux pires exactions. Le champ lexical du vol et de la dévastation domine le texte : « piller » « voler » « dépouiller » « degasts » « détruire » « larron » « receleur » « meurtrier » « pilleries ».
  • Ce tyran marqué par la corruption et la luxure (« ses délices » « sales et vilains plaisirs ») est désigné sous la formule « l’ennemy ». Cette désignation très forte dénonce ce personnage et l’oppose dans u singulier qui l’isole au pluriel « des ennemis » : isolement et faiblesse de ce personnage qui par la force des autres tient le pouvoir pour infliger « tant d’indignités »
  • Ce texte est donc pour La Boétie l’occasion d’une double dénonciation celle de la passivité des peuples asservis qui créent leur propre servitude (ce qui justifie l’expression servitude volontaire) et celle du tyran isolé et méprisable qui se définit par ses exactions dignes de toutes les condamnations.
  • Mais si La Boétie dénonce ce n’est pas pour faire un simple constat mais au contraire pour réveiller, mobiliser.
  • Ce passage est avant tout une exhortation. Il est marqué par les procédés oratoires qui se démultiplient comme les exclamations du début ou les interrogations oratoires qui structurent le centre du texte « d’où a-t-il pris tant d’yeux dont il vous espie, si vous ne les luy baillés ? » ces questions oratoires interpellent l’auditoire et le stimulent afin de lui faire prendre conscience de l’isolement du tyran et de sa fragilité. Toutes ces questions réduisent le tyran à une unité là où le peuple offre la pluralité. Ce qui vient en écho à l’affirmation « n’ a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps ». C’est questions toutes rhétoriques obligent à comprendre l’implication des peuples dans la force du tyran. En laissant implicitement la réponse au lecteur La Boétie l’implique dans son raisonnement et donne force et vigueur à son argumentation.
  • Les hyperboles, énumérations et autres procédés de l’amplification créent le dynamisme du discours comme le montre l’emploi dès le début du passage des superlatif relatif « le plus beau et le plus clair » (+ énumérations déjà vues). De même les répétitions martèlent les idées et créent la vigueur de l’argumentation. La reprise de toutes les parties du corps insiste ainsi sur la capacité du tyran à se servir des corps des autres idées reprise également avec la formule « qu’il les conduise à la boucherie »
  • La répétition la plus marquée est bien sûr la reprise du « vous ». Cette insistance développe alors l’importance du destinataire et fait de ce texte une véritable harangue. Texte adressé a priori à ce « vous » le discours mobilise en proposant même une solution. (texte qui est ainsi marqué par le movere : incitation à la prise de conscience) Mobilisation mais aussi condamnation et jugement du tyran tout autant que du « vous » (cf ironie).
  • Discours oratoire et mobilisateur ce texte n’a cependant jamais était dit, il a eu pour seule vocation d’être lu par une élite, par des amis (sens humaniste du mot amis : sens de lien social) : ambiguïté du genre qui ici développe un art oratoire là où seule la lecture sera envisagée.
  • Mais cette dimension ambigüe vient aussi d’un brouillage des rôles du destinataire et du destinateur.
  • Trois pronoms personnels sujets structurent le passage : le « vous » largement dominant, le « il » et une occurrence du « je ». Ainsi apparaissent les destinataires : les « vous » et le destinateur qui correspond au « je ». Il semble donc que le destinateur s’exclue ouvertement du comportement des peuples. Le « vous » en lui-même exclue le « je » qui apparait donc logiquement en opposition pour proposer à la fin du texte une solution « je ne veux pas que ». il paraît logique que La Boétie en tant qu’intellectuel portant un regard philosophique sur la condition humaine s’exclue de ce « vous » qui concerne les « peuples insensés ». Une distance a priori logique mais qui perd son efficace si l’on songe que les « peuples » au XVI ne pouvaient certainement pas lire ce texte et ce d’autant plus que ce texte a été réservé à un petit groupe d’intellectuel.
  • Se pose alors le problème du « Vous » : simple relais oratoire il ne semble pas avoir une réelle efficacité. La mobilisation devient alors problématique. A qui s’adresse ce discours ? Le lecteur érudit est ainsi déstabilisé par ce vous qui ne semble pas l’inclure d’autant que le « je » l’exclue tout autant. Où doit-il se positionner ? c’est là tout l’intérêt du texte c’est qu’il suggère la nécessité de se positionner, d’être le « vous » ou d’être le « je », de subir ou de prendre conscience. Si la solution proposée est pacifique c’est peut-être justement parce qu’elle s’adresse non à ce que La Boétie appellera « le gros populas » mais bien plutôt à ceux qu’il nommera les « mieux nés ». L’amis doit ainsi réfléchir à sa propre condition et c’est peut-être là que réside véritablement toute la force mobilisatrice de ce texte, plus encore que dans les nombreux procédés rhétoriques. C’est aussi ce qui donne sa dimension atemporelle à l’œuvre qui sera très souvent exploitées à des fins politiques au fil des siècles.
  • Derrière une interpellation ostentatoire, La Boétie glisse un message plus discret (certains critiques disent qu’il parle en silence) celui qui pousse les intellectuels humanistes  (ou tout autre destinataire) à réfléchir à leur engagement propre dans le jeu de la tyrannie.

Conclusion :

Ce texte développe plusieurs niveaux d’interprétation et c’est ce qui fait sa richesse et sa modernité. Si il harangue c’est avant tout un auditoire absent, les destinataires ne sont pas obligatoirement ceux que l’on croit. Mais ceci n’empêche en rien La Boétie de mettre en place une argumentation extrêmement efficace qui dénonce à la fois la participation active du peuple au sens large du terme et la perversion du tyran. (ouverture avec Montaigne ou Sénèque)

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