La boue et l'or, Baudelaire
Synthèse : La boue et l'or, Baudelaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Provoost • 3 Mai 2020 • Synthèse • 2 046 Mots (9 Pages) • 13 610 Vues
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
Parcours : Alchimie poétique : la boue et l'or
Pour commencer, voici une citation essentielle extraite de « Bribes », Appendices aux Fleurs du mal (1857) :
« J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or. »
On en trouve une variante dans l’Ébauche d’un épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du Mal rédigée par Baudelaire en 1861 :
« Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.
Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. »
Comment analyser cette si célèbre formule (un alexandrin) qu’elle en est devenue un art poétique extrêmement synthétique, un manifeste provocateur ?
Demandons-nous d’abord à qui s’adresse Baudelaire :
- Dans cet épilogue, en fait, Baudelaire s’adresse à Paris en effet souvent décrite dans les Fleurs du mal.
- Peut-on supposer que le pronom personnel « tu » renvoie à d’autres référents ?
A la femme aimée, au lecteur (« Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère! »), au poète lui-même dans un élan de dédoublement. En tout cas, la 2e personne du singulier implique une familiarité, une connivence.
Que signifie l’expression « J’en ai fait » ?
Le passé composé marque l’accomplissement, l’achèvement, le bilan (Nous sommes dans l’épilogue rédigé bien après le procès perdu, et à l’occasion de la 2e édition du recueil.)
Cette expression renvoie à l’acte poétique, opération de transformation, métamorphose, transfiguration, transposition, substitution, transmutation, modification, dégradation, transmutation, sublimation, amélioration, conversion…
Cette transformation de la boue en or renvoie à une forme d’alchimie :
Alchimie :
Pratiquée en Égypte alexandrine, puis dans le monde arabo-musulman à partir du Ier siècle après Jésus-Christ, l’alchimie est originellement une discipline technico-pratique, opérative, ayant pour but la transmutation des métaux vils, comme le fer et le plomb, en métaux nobles, tels l’or et l’argent.
Or nous savons que Baudelaire a lu des traités hermétiques d’alchimie.
La poésie est de ce fait une sorte de pierre philosophale : la pierre philosophale est le moyen de réaliser la conversion des métaux vils en or, mais aussi la médecine universelle, l'élixir de longue vie ou panacée, le remède à tous les maux de tous les êtres dont la découverte constitue le second but de l'alchimie. La poésie est donc un moyen de surmonter la douleur (le spleen) et d’accéder à l’immortalité.
L’acte poétique est donc une forme de magie ou de sorcellerie. Baudelaire parle de « sorcellerie évocatoire » (« De la laideur et de la sottise, (le poète) le poète fera naître un nouveau genre d’enchantement. » L’Art romantique)
Un exemple de célèbre alchimiste :
Nicolas Flamel est un poète, copiste et alchimiste français du xive siècle,
Un poème dans lequel Baudelaire cite le mot alchimie :
« Alchimie de la douleur »
« Hermès inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes ;
Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer. »
Commentaire : Ici l’« or » devient « boue ». Baudelaire est le grand gâcheur : il dilapide son temps aussi bien que ses dons poétiques. Par ses sarcasmes et ses obsessions, sa poésie profane et corrompt tout ce qu’elle touche.
Deux exemples de poèmes dans lesquels Baudelaire transforme l’or en boue :
L’étude des « Métamorphoses du vampire » montre l’échec de la poésie à transfigurer le réel. Une superbe femme à la « bouche de fraise » devient une horrible « outre aux flancs gluants » et ne présente plus que des « débris de squelettes ».
On analyserait de même « Spleen » : les « affreux hurlements » succèdent aux « longs ennuis », l’Angoisse triomphe, et le poète échoue à transformer la boue en or.
Sauf si l’on considère que le simple fait que le poème existe est l’illustration de la transmutation en or. L’œuvre d’art est bien là !
Le poète-alchimiste est une sorte de chiffonnier (ou d’éboueur… ) :
« Le Vin des chiffonniers »
« Souvent, à la clarté rouge d'un réverbère
Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre,
Au coeur d'un vieux faubourg, labyrinthe fangeux
Où l'humanité grouille en ferments orageux,
On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête
Butant, et se cognant aux murs comme un poète,… »
Synonymes du mot boue : fange, bourbe.
A quoi renvoie « la boue » ? (significations concrètes et symboliques)
- C’est un élément matériel qui renvoie à un mélange de terre et d’eau.
Le terme est employé dans des contextes connotés négativement chez Baudelaire :
Elle est évoquée au vers 1 de « Brumes et pluies » : « printemps trempés de boue » et au vers 26 des « Sept vieillards » : « Dans la neige et la boue, il allait s’empêtrant ».
- C’est un élément lié à l’humus (pensons au mot « humain »…) et à la décomposition des corps :
Vers 1 du « Mort joyeux » : « Dans une terre grasse et pleine d’escargots »
- C’est l’ensemble des déchets produits par la ville, les ordures : « Vomissement confus de l’énorme Paris », « Le Vin des chiffonniers » ou « Le Crépuscule du soir » : « la cité de fange »
- C’est la souillure morale, les péchés, les vices, la débauche. Cela renvoie à une humanité fautive, celle d’après la chute : vers 3 de l »L’irrémédiable » : Une Idée, une Forme, un Être
Parti de l'azur et tombé
Dans un Styx bourbeux et plombé
Où nul oeil du Ciel ne pénètre ;
Baudelaire fait la liste des péchés dans « Au lecteur » et évoque à ce propos un « chemin bourbeux ».
Dans « Abel et Cain », on trouve aussi cette évocation de la fange : « Race de Caïn, dans la fange/
Rampe et meurs misérablement. »
- C’est une souffrance physique et morale (le fameux spleen) : « Causerie » : Mais la tristesse en moi monte comme la mer,
Et laisse, en refluant sur ma lèvre morose
Le souvenir cuisant de son limon amer.
Ou « Moesta et erranbunda » : « Ici la boue est faite de nos pleurs ! »
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