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L'oedipe de Pasolini, une oeuvre aristotélicienne ?

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Par   •  7 Mai 2017  •  Commentaire de texte  •  2 921 Mots (12 Pages)  •  768 Vues

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Aristote, dans sa Poétique, définit entre autres la tragédie comme « l'imitation d'une action de caractère élevée et complète [...] qui, suscitant pitié et crainte opère la purgation propre à de telles passions ». Selon lui, Œdipe-roi, l'une des sept pièces de Sophocle qui ont pu être conservées, constitue l'archétype de la tragédie tant par ses thèmes que par sa composition, ce qui explique qu'elle soit l'objet de nombreuses réécritures. En en faisant l'adaptation cinématographique, Pasolini semble donc se poser en héritier de la tragédie antique, malgré les transformations qu'il y apporte. Peut-on pour autant dire de l’œuvre de Pasolini qu'elle est une tragédie au sens aristotélicien du terme ? Nous montrerons que Pasolini conserve certains traits caractéristiques de la tragédie telle que l'entend Aristote mais que son film reste une adaptation, et donc une transformation, de l’œuvre de Sophocle.

I : Un film qui conserve certains aspects hérités de la tragédie grecque antique.  

A : Malgré une structure différente de la pièce de Sophocle, l'Œdipe-roi de Pasolini suit le schéma conseillé par Aristote.

Aristote, dans sa Poétique, énumère « les parties distinctes en quoi la tragédie se divise lorsqu'on la considère dans son étendue : le prologue, l'épisode, l'exode, le chant du chœur qui se divise à son tour en parodos et stasimon ».

Le film de Pasolini est en cela particulier puisque, plutôt que de se contenter d'adapter au cinéma la tragédie de Sophocle, il développe la partie mythique qui précède l'arrivée d'Œdipe à Thèbes et l'inscrit dans un contexte plus universel en ouvrant et clôturant son film par des parties qui ont lieu dans l'Italie contemporaine. La transposition n'est donc pas véritablement fidèle à Sophocle et le découpage en épisodes ne correspond pas tout à fait.

Cependant, s'il ne respecte pas le modèle de Sophocle, les étapes qui doivent structurer une tragédie sont malgré tout conservées. On voit ainsi un prologue, l'introduction qui a lieu dans l'Italie de l'enfance de Pasolini, un exodos, le retour à l'Italie des années soixante et deux épisodes, la partie mythique et la partie tragique, qui sont eux-même structurés par diverses péripéties. Ces parties là conservent la même fonction que dans une tragédie grecque.

- Le prologue permet de situer le cadre de l'action et de faire apparaître les premiers thèmes récurrents. Le complexe d'Œdipe est ainsi évoqué avec la figure du père « c'est elle que que tu me voleras en premier, […], d'ailleurs tu me voles déjà son amour », et les caractéristiques de la mère font leur apparition : le thème musical de Mozart, le chant des cigales, les rires des camarades et la robe bleue.

- Le premier épisode constitue une progression assez lente du héros qui annonce la violence de sa chute. On suit donc le parcours d'Œdipe jusqu'à son entrée à Thèbes et sa nuit de noces avec Jocaste. Les actions du héros sont nombreuses (l'adoption, la consultation de l'oracle, la fuite vers Thèbes, le meurtre de Laïos, la victoire contre le Sphinx...) et mettent en branle le processus tragique.

- Le second épisode est concentré en seulement deux jours pour mettre en avant la violence de la chute d'Œdipe. Les actions sont écartées au profit des péripéties (selon la définition d'Aristote qui en parle comme de « retournement de l'action en sens contraire ») qui impliquent une reconnaissance du héros à mesure qu'il progresse de l'ignorance à la connaissance. Cet épisode pourrait d'ailleurs être séparé en deux parties : l'enquête d'Œdipe qui cherche l'identité du meurtrier de Laïos et sa quête personnelle sur sa propre identité. En effet, chaque preuve sensée aider Œdipe pour son enquête (le témoignage de Jocaste, celui du messager et celui du berger) constitue en réalité un indice qui lui permet de découvrir qui il est.

- L'exodos permet de conclure et de donner une dimension plus personnelle, et paradoxalement plus universelle, au mythe. Le retour aux origines d'Œdipe sous la forme d'un aveugle conduit par un jeune homme, Angelo, rappelle l'Œdipe à Colonne de Sophocle et s'apparente à un retour aux sources de Pasolini même.

Le rôle du chœur, élément essentiel de toute tragédie selon Aristote car il donne des pistes de réflexion aux spectateurs, célèbre ou déplore certains événement et joue parfois un rôle de conseiller vis-à-vis du personnage principal, reste à définir. En effet, il n'est pas présent en tant que tel chez Pasolini. Cependant, on peut considérer que certains épisodes pourraient s'apparenter à des interventions du chœur. C'est le cas du cortège funèbre qui a lieu avant le dialogue avec Tirésias et de la fête qui célèbre la nuit de noces d'Œdipe et Jocaste. Certains autres passages pourraient également avoir cette fonction, quoi que de manière plus implicite, comme les chants des pleureuses lors de la présentation de Thèbes ravagée par la peste, la foule qui accompagne le Grand Prêtre au début de la partie mythique ou celle qui suit Créon quand il fait face à Œdipe. Cependant, le choeur reste moins important que dans une véritable tragédie antique : il est réduit à un rôle de simple spectateur et ne prend jamais part à l'action.

B : Des costumes et des jeux d'acteurs qui ressemblent à ceux utilisés dans la tragédie grecque. 

Pasolini ne retranscrit pas son film dans une temporalité grecque. Il tourne au Maroc et cherche à donner un caractère universel à son film en prônant la multiculturalité. Il a ainsi recours à des costumes d'inspiration africaines ou aborigène et à des chants en langues étranges et incompréhensibles.

Cependant, certains aspects des costumes renvoient à la tragédie telle qu'elle était mise en scène en Grèce. Pasolini joue sur le caractère théâtrale voire caricatural de ses costumes. Chaque personnage est caractérisé par ses vêtements très visibles et significatifs, comme dans les chœurs antiques. On retrouve donc la barbe postiche, la couronne d'or et le manteau blanc de Laïos puis d'Œdipe, la flûte et le manteau de poil de Tirésias qui fait de lui un nouveau Jean Baptiste, la robe bleue ornée d'une broche dorée de Jocaste et les grelots du messager.

Les masques, portés par les protagonistes dans la tragédie grecque, sont également très importants. Il y a d’abord ceux de la Pythie et du Sphinx qui leur donnent un aspect à la fois étrange et inquiétant mais également celui de Jocaste. En effet, même si son visage est découvert, Jocaste a des expressions du visages très ambiguës et énigmatiques qui empêchent de découvrir ce qu'elle pense vraiment. Le fard étalé sur son visage semble donc être une protection qui l'isole des spectateurs.

De plus, certains plans miment un théâtre grec et notamment celui où on voit Œdipe devant les portes du palais. Il est ici surélevé comme sur la skéné et les notables et les gardes qui l'entourent peuvent symboliser le choeur tandis que le palais derrière lui figurerait le mur.

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