Déposition de Frédéric II en 1245
Commentaire de texte : Déposition de Frédéric II en 1245. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar albangir • 30 Avril 2019 • Commentaire de texte • 2 732 Mots (11 Pages) • 1 102 Vues
« Rome est la tête du monde », proclame en 1139 le second concile du Latran, au cours duquel s’exprime l’idée que Dieu a confié au successeur de Pierre la disposition des royaumes et des empires. C’est bien cette idée qui rend possible cette Bulle Ad Apostolicae Dignitatis qui officialise la déposition de l’empereur Frédéric II.
Ce document officiel de l’Eglise romaine est une décision prise par l’Eglise romaine au concile œcuménique de l’été 1245 qu’il a réuni à Lyon, alors sous domination pontificale (l’archevêque de Lyon est fidèle au pape). Cette bulle du 17 juillet 1245 est donc un acte juridique chargé de lister les griefs contre l’empereur Frédéric, et de mettre en œuvre sa déposition. Si cette décision est prise à la suite d’une discussion préalable où interviennent aussi des défenseurs de l’empereur, elle revient finalement au pape qui en avait décidé ainsi dès le départ, signant ainsi la victoire de la papauté sur l’empire.
En effet, le cardinal Sinibaldo de Fieschi, élevé au pontificat le 25 juin 1243, prend le nom d’Innocent IV afin de s’inscrire en digne successeur d’Innocent III (1198-1216). Il reprend sous une forme exacerbée ses théories et sa politique de théocratie pontificale. Affirmant la supériorité absolue du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel des princes, il poursuit la lutte du Sacerdoce contre l’Empire de Frédéric II, dont il fut un temps l’otage (1241-1243, capture du convoi maritime).
Si les querelles entre l’Empire et la papauté remontent au Xie siècle (concordat de Worms en 1122, paix de Venise en 1177, et le plus récent traité de San Germano en 1230), les tensions sont particulièrement vives depuis que l’empereur Frédéric a repris le conflit avec les cités lombardes en 1237. La papauté choisit alors le camp milanais (pourtant foyer d’hérésie) afin d’empêcher la suprématie absolue de l’empereur sur la péninsule italienne et ainsi desserrer l’étau. Le jeudi saint de 1239, le pape (alors Grégoire IX) excommunie Frédéric II avec des prétextes secondaires (violence contre l’église sicilienne), sans évoquer les enjeux politiques temporels (menace la Sardaigne considérée comme fief de l’Eglise, prétentions sur les « récupérations » d’Innocent III) qui sont pourtant la véritable cause du courroux pontifical. Alors que Frédéric envahit les Etats pontificaux au printemps 1240, Grégoire IX prépare déjà la déposition impériale. Il tente de convoquer un concile œcuménique qui avorte avec la capture d’une partie de ses membres par Frédéric (dont le futur Innocent IV, alors cardinal). A la mort de Grégoire IX et de Célestin VII, Frédéric libère celui qui devient alors Innocent IV. Le pape, cerné par Frédéric, s’enfuit et fixe le concile pour la Saint Jean 1245 à Lyon, car les souverains (condamnant sa fuite) refusent de l’accueillir. Malgré la défense des représentants de Frédéric et l’appel à la modération de ceux de Louis IX, la déposition de l’empereur est annoncée le 17 juillet 1245, par la bulle Ad Apostolicae Dignitatis, dont est extrait le document qui nous intéresse.
Dans quelles mesures cette bulle, en signant la victoire de la théocratie pontificale sur l’impérialisme romain de Frédéric II, acte-t-elle surtout une victoire du pouvoir spirituel de Rome sur le temporel des princes ?
Dans un premier temps, on relève que le document justifie la déposition de Frédéric en énumérant ses crimes (I). Mais cet extrait témoigne également d’une tentative fructueuse d’intervention pontificale dans les affaires temporelles (II).
I- La condamnation de Frédéric II : la liste des griefs
1) Frédéric II, le briseur de la paix Eglise-Empire
L1-19 : Il est tout d’abord reproché à l’empereur d’avoir « impudemment violé » « trois serments » (L.18). Le premier est « un serment de fidélité [prêté] au pape Innocent III » (L.6). Ce serment a eu lieu en en février 1212, lorsque Frédéric, alors candidat du pape pour l’Empire, reconnait le droit de l’Eglise romaine sur le royaume de Sicile et prête serment de fidélité à l’Eglise et au pape. Il renouvelle ce serment devant le pape Innocent III à Rome où il se rend peu de temps après. Ce que la bulle énonce comme deux serments n’en constituent en fait qu’un seul, renouvelé ensuite en personne. Le troisième serment qui a lieu « en Allemagne » (L12) est la promesse « de conserver et de protéger […] les titres, droits et possessions de l’Eglise romaine » (L.14). Ce serment correspond à la bulle d’Eger, que Frédéric délivre le 12 novembre 1213. Dans un contexte de schisme impérial, il reprend alors ses engagements et ceux de son rival Otton envers le pape : renoncement au droit de dépouille, respect des « récupérations » et du Patrimoine de St Pierre, lutte contre l’hérésie. Il renouvelle et étend ces concessions avec un diplôme le 26 avril 1220 où il confère à la juridiction ecclésiastique un caractère étatique.
Ces serments prêtés furent en effet reniés par Frédéric. Ils furent tous les trois pris dans un contexte de schisme où Frédéric II avait besoin du soutien de Rome pour arriver à ses fins. La bulle d’Eger par exemple lui offre l’appui du haut-clergé, notamment les archevêques de Mayence ou Cologne, deux des princes ecclésiastiques les plus importants. Sa conception d’un empereur au pouvoir universel, disposant d’une souveraineté absolue, va à l’encontre de son statut de vassal du Saint-Siège. Dans son « Liber Augustalis » de 1231, où sa conception de l’empire est présentée, il se voit comme un médiateur entre Dieu et les hommes, et place l’Eglise comme incluse dans l’Empire. Cette conception ne peut qu’entrer en conflit avec celle de la papauté post-grégorienne, qui affirme l’ascendant du pouvoir spirituel pontifical sur le temporel des princes (les Dictatus papae de 1175). (1 et la fin 2)
2) Des chefs d’accusation multiples : Frédéric se bat contre toute l’Eglise
L.20 à 23 : Innocent IV lui reproche les « lettres de menaces contre Grégoire IX » et autres lettres de diffamation adressées à « ses frères » de la curie, les cardinaux. Ces lettres sont à remettre dans le contexte d’une « guerre de propagande » (Pierre Racine) entre le pape Grégoire IX (1227-1241) et l’empereur. Le principal reproche qu’il fait au pape (car les accusations sont sur sa personne) est d’avoir soutenu les Lombards, et en appelle aux cardinaux contre un pape hérétique (car il soutient les cités lombardes, foyers d’hérésie). Toutefois, ce serait faire écho la propagande impériale que de représenter Frédéric comme opposé à la
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