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Comment Sarraute prouve-t-elle que son autobiographie sera originale, dès l’incipit ?

Commentaire de texte : Comment Sarraute prouve-t-elle que son autobiographie sera originale, dès l’incipit ?. Recherche parmi 300 000+ dissertations

Par   •  20 Juin 2022  •  Commentaire de texte  •  1 644 Mots (7 Pages)  •  326 Vues

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l’Incipit d’Enfance

Sarraute est l’une des pionnières du « Nouveau roman » qui déconstruit les règles traditionnelles de l’écriture romanesque. En 1956, elle écrit un ouvrage qui joue le rôle du manifeste du « Nouveau roman », L’ère du soupçon. Tout au long de sa carrière, elle s’intéresse au langage et à ce qu’il révèle de la conscience de celui qui parle. En 1983, Sarraute publie son autobiographie, Enfance. Cela pourrait surprendre car l’exercice peut sembler peu original et conventionnel. Pourtant, Sarraute propose une autobiographie originale : le récit est discontinu, le narrateur est dédoublé et Sarraute parle autant de son enfance que de l’écriture et des problèmes de l’écrivain.

Problématique : Comment Sarraute prouve-t-elle que son autobiographie sera originale, dès l’incipit ?

On distinguera deux mouvements dans ce texte :
- ligne 1-14 introduction du projet autobiographique

  • Ligne 15-fin : les difficultés de l'écriture

Première partie : le projet autobiographique

  • Il faut tout de suite relever l'organisation globale sous forme de dialogues : tirets, alternance entre un « tu » et un « je », jeu de questions et de réponses entre deux Nathalie, une qui souhaiterait écrire et une autre qui remet en question sa volonté. Cela illustre une des caractéristiques de l’autobiographie : le narrateur raconte l’auteur.
  • Première intervention : on remarque un  début « in medias res » (en plein milieu de l’action) avec le « alors », mot de liaison qui sous-entend que la conversation avait commencé en dehors du livre ; l'adverbe « vraiment » confirme cette impression (il sert à confirmer une information que le lecteur n'a pas pu entendre). De plus, dans les phrases suivantes, on note des passages entre guillemets qui citent des paroles absentes du texte (et qui reprennent des expressions très stéréotypées de ce qu’on attend d’une autobiographie). Le début est tout de suite intriguant avec la présence du « tu » (le lecteur doit-il se sentir concerné?) et du déterminant démonstratif « ça » qui a une valeur péjorative (on ne sait pas encore de quoi parle Nathalie Sarraute. S'ensuit une suite de remarques sur les sentiments éprouvés (« gênes », « n'aimes pas »), de conseils (« reconnais ») et d'affirmations catégoriques (« il n'y a pas à tortiller, c'est bien ça »). La voix qui s'exprime semble très sûre d'elle : elle est là pour remettre en question et apporter un regard critique. On sent qu’elle remet en question le fait d’écrire une autobiographie : le projet n’est-il pas trop banal, indigne de la recherche littéraire de Sarraute (explorer le langage) ?
  • L.4 : la deuxième voix est plus hésitante, on le voit aux pointillés et au fait qu'elle semble se défendre et avoir du mal à se justifier/affirmer sa volonté comme le prouvent les deux négations (« je n'y peux rien », « je ne sais pas »). La structure de la phrase (trois propositions indépendantes juxtaposées) montre qu'on est proche d'une parole très oralisée et que la réflexion n'est pas structurée. La seconde voix manque donc de volonté mais semble ouverte à la réflexion.
  • L.5-6 : De nombreux pointillés, des adverbes de doute (« peut-être », « parfois ») et l'utilisation du conditionnel (« serait ») montrent que la 1ère voix essaye de pousser la seconde à avouer quelque chose de difficile. Elle émet une hypothèse en pointillés : on ne raconte sa vie qu'au moment de mourir (ici, euphémisme des «forces déclinent ») – Sarraute a 83 ans quand elle écrit Enfance. De plus, raconter sa vie, c’est renoncer à ses ambitions littéraires, c’est manquer d’inspiration et d’audace.
  • L.7 : la seconde voix corrige la première mais la double négation qu'elle emploie est tempérée par les pointillés et par une concession (« du moins »).
  • L.8 : la 1ère voix insiste en relançant avec la conjonction de coordination « et » et l'adverbe d'opposition « pourtant ». Elle reprend les mêmes formules qu'elle a déjà utilisées pour rappeler autant le projet que la possible raison du projet. Elle incarne la dimension critique/la remise en question de l'autrice : elle cherche les enjeux de cette décision.
  • L.9 : onomatopée et champ lexical de la prière : la 2nde voix se défend mais les pointillés remettent toujours en question sa volonté.
  • L10 – 11 : noter le champ lexical du devoir (« il faut »), l'adverbe d'affirmation (« si ») et la succession de questions qui prouvent la volonté de comprendre. Apparition d'un nouveau but : l'autobiographie serait le dernier livre écrit par Sarraute (champ lexical de la retraite : « retraite », « te ranger », « quitter »). Apparition aussi du champ lexical de la difficulté :« tant bien que mal »
  • L 12 : la seconde voix confirme les impressions de la première en reprenant l'expression telle qu'elle. Elle illustre ainsi un mécanisme d'écriture : la voix écrivante a pris en compte les conseils de la voix critique.
  • L 13-14 : pour une fois, c'est la voix critique qui doute (« peut-être ») et se remet en question avec la conjonction de coordination « mais » et l'utilisation du subjonctif d'éventualité (« aies pu »). Elle ne finit pas sa phrase (« celui... ») car, pour une fois, la seconde voix fait preuve d'autorité en remettant en question la valeur de la réflexion de l'autre (« à quoi bon ») et en s'affirmant (pas de points de suspension).

Deuxième partie : les difficultés de l'écriture

  • L.15-18 : introduction d’un nouveau thème, la difficulté à écrire. Celui s’exprime à travers divers éléments : la remise en question immédiate (« est-ce vrai ? », « vraiment »), les questions qui se démultiplient (5 dans cette intervention), les pointillés, le champ lexical du changement (« fluctue », « transforme », « s’échappe », « se dérobe », « se développe ») et de la recherche (« à tâtons », « cherchant », « tendant »), des accumulations de verbes, des propositions juxtaposées, l’utilisation de pronoms et d’adverbes très généralisant pour expliquer combien l’écriture est insaisissable (« là-bas », « tout », « ça », « n’importe où »), des subordonnées circonstantielles de manière (introduites par « comme ») et de souhait (introduite par « pourvu que ») cherchant à décrire le processus d’écriture… Toute cette accumulation d’informations montre combien le processus d’écriture est quelque chose de complexe, difficile à expliquer (négation : « personne n’en parle ») et à décrire (« ça ne ressemble à rien »). La voix finit dans l’imprécision : « rien que d’y penser » - on ne saura jamais ce qu’elle pense !
  • L 19-22 : la 2e voix commence par se moquer en utilisant des adjectifs péjoratifs (« grandiloquent », utilisé ici de manière négative, « outrecuidant) et en jouant, pour une fois, un rôle de correctrice de l’autre avec la formule « je dirai même ». C’est elle qui s’interroge (« je me demande » + interrogative indirecte introduite par « si ») et donne des ordres (impératif « souviens »toi »). Pour elle, ce n’est pas l’écriture mais le souvenir qui est quelque chose d’hésitant, comme le montrent les mots « informe », « tremblote », « limbes ». Si elle reconnaît les difficultés de l’écriture (« anciennes tentatives » + champ lexical de la répétition : « chaque fois », « toujours » répété) et le travail collectif qu’elle entraîne (« nous »), elle semble déterminée à surmonter sa « crainte ». Ici, Sarraute exprime une des attentes de l’autobiographie : elle exprime clairement qu’elle veut donner forme à sa mémoire. Le double dialogue garantit l’authenticité des propos qui seront transmis au lecteur.
  • l. 23-24 : La 1ère fois se justifie (adverbe « justement » et opposition « mais ») en reconnaissant sa crainte (subordonnée complétive « ce que je crains) et en introduisant une nouvelle difficulté de la mémoire : donner une version qui ne soit pas juste du souvenir (« ça ne tremble pas »), c’est-à-dire quelque chose de fixe, de définitif (« tout cuit », « fixé », « donné d’avance ») alors que la mémoire est quelque chose de fragile. Ici, Sarraute introduit l’idée qu’elle veut faire ressentir la sensation de la mémoire qui travaille. Elle est fidèle à son envie que le langage ne soit pas quelque chose de plat mais quelque chose qui se réinvente toujours.
  • l. 25- 27 : la 1ère voix prend définitivement le dessus : il y a eu un basculement au cours du dialogue. C’est elle qui donne des ordres (« rassure-toi », « laisse-moi »), qui exprime ses désirs (conditionnelle « je voudrais ») d’accepter la fragilité de l’écriture et du souvenir (« vacillant », « palpite faiblement », « encore vivant », avant qu’ils ne disparaissent »). Elle évoque plus franchement l’écriture (« aucun mot écrit, aucune parole », « hors des mots ») et son rapport au souvenir (désigné de manière toujours détournée : « tout », « l’ », « ça », « des petits bouts de quelque chose », « ils »). Sarraute exprime donc une dernière fois l’enjeu de son autobiographie : tenter de faire sentir le travail de la mémoire, ne pas fixer ses souvenirs une bonne fois pour toute mais donner à les ressentir. Elle reste donc fidèle à son travail littéraire.


Conclusion
Ainsi, à travers ce dialogue se dessine un projet autobiographique original, digne des recherches stylistiques de Sarraute qui, au fil des questions et des points de suspension, reste fidèle à elle-même. Il s’agira de faire ressurgir des fragments de vie, de manière discontinue, pour faire ressortir la fragilité de la mémoire et conserver l’authenticité d’une voix qui chercher sans cesse à se dépasser. Sarraute affirme donc que, malgré l’aspect peu original du projet (écrire ses souvenirs d’enfance), elle reste fidèle à l’innovation littéraire : le choix de ce dialogue entre narratrice et autrice garantit l’authenticité de son projet et de ce que lira le lecteur.

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