Altérité indispensable

“Il faut voyager pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui” est une citation métaphorique de Montaigne suggérant que la fréquentation de l'autre contribue à la formation de soi. Cette vision humaniste vient alors lier l'enrichissement de l’individu ainsi que le développement de son identité à l'altérité . Celle-ci est une certaine volonté de compréhension et d’ouverture d’esprit aux différences et intérêts culturels, ethniques, religieux, etc...de chacun, et qui permettra d’encourager les relations de paix . Ainsi, Michel de Montaigne vient livrer sa pensée en mouvement dans le chapitre de ses Essais du XVIe siècle intitulés “Des Cannibales” et “Des Coches” dans lesquels il met en valeur la diversité des modes de pensée et la richesse des différences. En quoi l'altérité est-elle essentielle à l’humanité ? Nous allons voir dans un premier temps que l’altérité est devenue importante au moment de la découverte de "l'autre" et du “Nouveau Monde” , puis que celle-ci va amener à une certaine critique de “l’Ancien Monde” et enfin que cette altérité va permettre une démarche réflexive fondée sur les principes de l’humanisme pour interroger le monde.

La question de l'Autre se pose d'une façon intense et spécifique à la découverte du Nouveau Monde qui engendre une sorte de découverte de l’altérité. En effet, on retrouve celle-ci, notamment grâce à la description ethnographique précise des pratiques “sauvages” dans les Essais de Montaigne. Il s’agit de caractéristiques d’une société très différente de celle de “L’Ancien Monde” vu d’un point de vue mélioratif voire laudatif. C’est une description d'autant plus précise qu'elle est fondée sur des rencontres comme celle à Rouen où Montaigne rencontre trois Amérindiens, ainsi qu’à l’aide de lectures de témoignages de grands voyageurs comme de Jean de Léry et son récit du voyage au Brésil. Pour nous faire part de ses observations, l’auteur va se libérer des préjugés malgré les grands contrastes des deux sociétés . C’est aussi cela l’altérité, l’acceptation de l’autre en tant qu’être différent et la reconnaissance de ses droits à être lui-même. Ainsi, nous avons une description précise des croyances, de l’alimentation, de l'armement, une mise en avant des qualités guerrières « c'est chose émerveillable que la fermeté de leurs combats... » ( Des cannibales) ou « Quand je considère l'ardeur indomptable... » (Des coches). L’auteur pointe aussi du doigt l'intérêt social, notamment avec la forte cohésion de groupe mais aussi avec le désir collectif de la vengeance. D’ailleurs, la pratique du cannibalisme dans « Des cannibales » nous est ainsi justifiée par ce désir « ce n'est pas, comme on pense, pour s'en nourrir (...) c'est pour représenter une extrême vengeance ». Cette volonté de compréhension de la part de Montaigne en relation avec autrui, lui a permis de voir le monde en général de façon différente, l’altérité permettrait alors une ouverture d’esprit .

Cette ouverture d’esprit de Montaigne a permis d’amener la mise en valeur des différences des sociétés, notamment celle du Nouveau Monde afin de dire qu’il n’y en ait pas une supérieure à l’autre . On retrouve un décalage entre le titre très péjoratif « Des cannibales » et l'image d'un peuple plein de qualités avec par exemple, l’utilisation du point de vue des indigènes sur les pratiques guerrières des Portugais, la réflexion fondée sur une comparaison point par point des 2 civilisations et l’utilisation de l'ironie par moment. Ainsi, l’auteur vient prôner le relativisme culturel en faisant l’éloge d'une société proche de la nature aux valeurs morales simples avec le respect des anciens, l’honneur, la fidélité. Pour cela, il utilise un champ lexical très mélioratif pour parler des indigènes en amenant les thèmes de l’honneur, de la vertu et du bonheur par exemple. En effet, Montaigne fait face à une nouvelle conception du bonheur qui serait indispensable pour l’humanité, en utilisant le champs lexical joyeux comme “Toute la journée se passe à danser”, “Une partie des femmes s’amusent” ( Des cannibales ) nous apprenons qu’ils ne vivent pas dans la misère mais pas non plus dans l'excès. L’épicurisme fait alors surface puisqu’il a pour objectif principal l'atteinte du bonheur par la satisfaction des seuls désirs naturels et nécessaires TB. “Ils sont encore en cet heureux point de ne désirer qu’autant que leur nécessité naturelle leur ordonnent” ( des Cannibales ). Nous pouvons en déduire que par ses choix d'écriture, Montaigne nous oblige à nous décentrer et à questionner les idées communément admises. De ce fait, découvrir des peuples nouveaux, permet surtout de questionner la société qui est la nôtre, et c'est pourquoi Montaigne compare le Nouveau Monde aux Européens, c'est une sorte d'effet miroir! On retrouve ainsi la pensée humaniste, dans laquelle l’homme peut se perfectionner. L’altérité serait ici indispensable pour se comparer, émettre des doutes et s'améliorer…

Montaigne ne vient pas seulement parler du Nouveau Monde dans ses e Essais puisqu’il fait de nombreuses références et comparaisons avec la société dans laquelle il vit. Dans celles-ci, il glisse de manière indirecte, des critiques négatives de la royauté et de l'injustice sociale et plus positives du Nouveau Monde. Dans « Des coches », au travers d’une scène théâtralisée dans laquelle grâce au regard étonné des Indiens, nous pouvons souligner de nombreuses stupéfactions suivies de critiques .Celles-ci sont fondées sur basées en relation aux dépenses publiques des rois pour les fêtes qui n'ont pour but que de manipuler le peuple ignorant, mais aussi sur la monarchie héréditaire, du fait que md la nation peut être dirigée par un enfant « Ils trouvaient en 1er lieu fort étrange que tant de grands hommes, portant barbe, forts armés et qui entouraient le rois (... ) acceptent d'obéir à un enfant ». De plus, la royauté est aussi critiquée par le biais de la mise en valeur par la comparaison, et l'exemple du roi du Mexique et du Pérou qui n'a que le privilège d'être en 1ère ligne dans les combats et qui est prêt à mourir pour son peuple. Dans la comparaison des deux civilisations, nous pouvons retrouver deux champs lexicaux opposés avec celui de la douceur "tranquillité", “bonheur” pour la société fraîchement découverte et celui de la douleur “ruine”, “malheureux”,”corruptions” pour le monde dit civilisé.

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