Alcools d'Apollinaire
Dissertation : Alcools d'Apollinaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar 458lilou • 15 Juin 2022 • Dissertation • 3 037 Mots (13 Pages) • 400 Vues
«À la fin tu es las de ce monde ancien»: c'est par ce mouvement de rejet de ce qui lui a précédé que Guillaume Apollinaire inaugure son recueil Alcools, publié en 1913. Le XXES s'ouvre par de nombreux bouleversements techniques et une transformation de l'espace urbain.
La question «la poésie d'Apollinaire s'invente-t-elle en rejetant le passé?» apparaît donc légitime.
La poésie en tant qu'acte créatif (tel que le révèle son étymologie grecque poiesis qui signifie «création») semble se concevoir pour Apollinaire comme une mise à distance de ce qui a été fait avant lui.
Cela apparaît formellement par l'effacement de la ponctuation, ou encore par l'utilisation du vers libre. Pour autant, de nombreux poèmes possèdent encore une facture classique et le poète ne rompt donc pas totalement avec le passé.
Rejeter, c'est en effet aussi déporter, mettre ailleurs: le passé, qu'il soit personnel («son» passé) ou historique («le passé»), insuffle ainsi une dimension lyrique (tonalité qui privilégie l'expression des sentiments personnels) au sein du recueil.
Si Apollinaire rejette le passé pour mettre en valeur le temps présent, le passé revient sans cesse dans sa poésie indubitablement lyrique
Alcools : un geste poétique de rejet
Se défaire du passé… Dans le recueil, le poète se présente sous la forme d'une figure errante, et ce dès le poème liminaire «Zone» qui retrace la déambulation nocturne du poète dans une ville qui n'a plus rien «d’antique». De fait, le titre renvoie à la transformation urbaine que subit Paris au début du XXe siècle en évoquant son extension vers la périphérie. Il fait l’éloge de la «rue industrielle» et commence par l’évocation de la Tour Eiffel. Emile Verhaeren, dans le recueil « Les villes tentaculaires » consacre un recueil au paysage industriel, notamment dans « Les usines ». Cette longue échappée illustre donc la volonté de se libérer du passé pour rejoindre un avenir autre, à l'image de l’«émigrant» que mentionne Apollinaire à plusieurs reprises dans le recueil. La première strophe du poème intitulé «Le brasier» affirme ainsi dans un geste symbolique avoir « jeté dans le noble feu […] / Ce passé ».
Pour se tourner vers un monde nouveau La poésie de G. Apollinaire rend compte du bouleversement vécu à l'orée du XXe siècle par ses contemporains. Tout change en effet : la ville vit désormais au sein d'un rythme frénétique induit par les communications et les transports. Dans « Le voyageur » il rend compte des «Sonneries électriques des gares chant des moissonneuses ». Il s'agit bien pour l'artiste de retranscrire dans son œuvre cette métamorphose provoquée par le monde moderne. Or, celle-ci est marquée par un renouvellement des pratiques artistiques : le monde change et l'on ne peut plus le voir de la même manière.
La poésie comme recomposition du monde moderne Inventer, c'est composer une réalité nouvelle. À la manière de l'esthétique cubiste, le poète va multiplier les points de vue au sein même de sa pratique poétique. « L'émigrant de Landor Road » commence par un récit à la troisième personne (« Le chapeau à la main il entra du pied droit ») avant de proposer à la troisième strophe un monologue lyrique à la première personne qui restitue la parole de l'émigrant. Cette alternance permet de faire jaillir des images multiples qui répondent à la complexité de l'être humain. En outre, en supprimant la ponctuation, il met en avant un style heurté. Les vers sont désormais juxtaposés, obligeant le lecteur à chercher lui-même un sens. Le poète fragmente les expériences vécues : « Zone », qui évoque un moment de désolation, constitue ainsi une méditation sans cesse entrecoupée, restituée par l'agencement fragmentaire aux dépens de la strophe traditionnelle. Léopold Senghor choisit quant à lui un vers très long qui s’apparente au verset et l’absence de rimes. André du Bouchet dans «L'avril» (1995) propose quant à lui, un vers continuellement interrompu qui cherche à appréhender un monde qui se dérobe toujours. Le recours aux vers libres qui se traduit par l’hétérométrie, l’abandon de la rime et la dislocation de la strophe témoignent de la volonté de se débarrasser d’un héritage poétique, considéré comme un carcan. On retrouve aussi des vers hétéromètriques chez Verhaeren.
Cependant, malgré la marche du monde, le passé ne peut s'effacer de la poésie d'Apollinaire. Il « rejette » ainsi pleinement le passé vers sa poésie : celui-ci est au cœur de sa poétique.
L'obsession du passé
La fuite du temps S'inscrivant dans une longue tradition poétique, Apollinaire fait l'amer constat de ce qui a été et ne sera plus. Le poète est impuissant face au temps qui passe. Le court poème « L'adieu » traduit en un quintil poignant ce sentiment d'écoulement du temps : « […] Nous ne nous verrons plus sur terre / Odeur du temps brin de bruyère […] ». La synesthésie de ce dernier vers rend pleinement sensible ce temps qui a été et n'est plus. Il n'y a rien que le poète puisse faire, pas de retour en arrière possible. Paul Verlaine dans «Colloque sentimental» (1869) saisit le dialogue de 2 vieux amants, figures déjà spectrales qui «évoqu[ent] un passé» qui n'est plus.
« Dans le vieux parc solitaire et glacé/Deux spectres ont évoqué le passé / Te souvient-il de notre extase ancienne? / Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne? »
Le lyrisme du souvenir personnel Chez Apollinaire, la figure du poète est donc mélancolique : son propre passé devient matière poétique. En évoquant des amours passés, le recueil s'inscrit ainsi pleinement dans la tradition élégiaque. C'est ce que laisse entendre aussi son titre ambivalent : l'alcool conduisant à l'affliction (=peine profonde), le sentiment nostalgique est prégnant, notamment dans «La chanson du mal-aimé» qui se termine sur ce chant poétique qui évoque un temps révolu « Je me souviens d'une autre année / […] J'ai chanté ma joie bien aimée / Chanté l'amour ». La poésie sublime dès lors le passé.
Vers le passé lointain Il n'y a pas que sa vie passée qu'Apollinaire ressasse : une place essentielle est faite au passé légendaire. Son lyrisme est ainsi empreint de merveilleux. Un poème tel que « La Loreley » qui
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