Victor Hugo, Melancholia
Commentaire de texte : Victor Hugo, Melancholia. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar josephine3012 • 2 Avril 2017 • Commentaire de texte • 3 687 Mots (15 Pages) • 2 039 Vues
Dans le poème « Melancholia » duquel est tiré cet extrait, très long poème qui court sur plusieurs pages tel un véritable « monument littéraire », Victor Hugo entend exposer ce qu’il a vu de ses propres yeux. Le poème devient ainsi mémoire de réalités sociales, il a valeur de témoignage, et témoigne parfaitement des préoccupations sociales d’Hugo. L’extrait met au centre du poème deux termes-clé : misère et travail, sujets inépuisables dans toute l’oeuvre d’Hugo poète mais aussi d’Hugo romancier. C’est en effet une litanie du travail qui s’opère ici ; le terme est répété, martelé sur tout le passage, introduit à de véritables dispositifs incantatoires. Ce dernier révèle bien l’entreprise du poète : dénoncer les realia sociales, dénoncer les horreurs du travail des enfants. Il vise en cela à redessiner un nouvel esclavage, une « servitude » actuelle, et arrive ainsi à déshumaniser l’humanité. Hugo s’amuse ainsi à construire un anti-humanisme en mettant en exergue la cruauté humaine. Exemple canonique des manuels scolaires pour illustrer la poésie engagée, le poème est un parfait exemple des mécanismes du pathétique poétique mis au service d’un véritable combat politique : d’un combat contre la misère. Le registre pathétique est ainsi mis au service d’une dénonciation à valeur sociale et politique du fait de son dispositif : le concept est tiré de la notion de « pathos » autrement dit de « souffrance ». Le poète se charge ainsi de centrer son poème sur l’auditeur-lecteur de sorte à pouvoir l’émouvoir, par le biais de figures et de modalités mais aussi des images employées. L’emploi du pathétique vise en ce sens à dénoncer et attiser la compassion du « spectateur » de la scène qui lui a été imposée aux yeux. Nous réfléchirons ainsi sur les emplois faits du registre pathétique dans cet extrait du poème et nous nous demanderons comment ce registre recherchant émotion, voire même « horreur et pitié » chez le lecteur, permet au « je » poète d’entrer dans une démarche de dénonciation, par images et figures. Il s’agira ainsi de trouver la place du « je » poète dans le poème.
1. Images poétiques de la misère et de la souffrance : des outils pour émouvoir
1.1 Antithèses, hyperboles et effets d’emphase de l’objet de dénonciation
1.1 Effets d’emphase et d’insistance
Les sujets même employés par Hugo sont propres à éveiller la pitié et l’émotion du spectateur. La mise en valeur de la figure de l’enfant est de nature à émouvoir. Ce sont en effet des « innocents » des « anges », de « doux êtres pensifs ». Leur figure prend une grande importance dans la mesure où elle est largement développée dans le poème : elle est omniprésente syntaxiquement. Tout d’abord le syntagme nominal « tous ces enfants », amplifié par le déterminant amplificateur « tous » mis en parallèle avec « pas un » qui donne une dimension englobante au référant, est mis en valeur par sa position rythmique d’une part dans le v.1 – l’accent est porté par « tous » et « enfants » à la césure – et d’autre part par son expansion : une relative dans le v.1, mais aussi une reprise au v.2 e apposition avec le déterminant démonstratif anaphorique « ces » dans « ces doux êtres pensifs » par effet de périphrase, lui-même amplifié par une expansion relative. La construction est répétée dans le v.3. Puis le syntagme est repris anaphoriquement par le pronom personnel « ils » en anaphore jusqu’au v.15 : « ils s’en vont travailler », « ils vont », « ils travaillent », « ils ne comprennent rien », « ils sont déjà bien las », « ils semblent ». L’effet d’insistance est certain, les « enfants » sont syntaxiquement présents dans tous les vers jusqu’au v.15, sous la forme de pronom personnel ou en appositions : « accroupis » « innocents », « anges » (v. 7,9). Qui plus est, on remarque une gradation ascendante aux vers 1-3 : on commence avec « tous ces enfants » puis avec « ces doux êtres pensifs » qui étoffe le référent avec une expansion qualificative : l’adjectif « doux » permet d’émouvoir d’autant plus le lecteur, et enfin « ces filles de huit ans », avec précision du genre féminin et de l’âge, par l’utilisation d’un numéral. Par sa précision, l’auteur accentue encore plus la fragilité des référents : cette expansion permet d’insister sur l’objet du poème et d’en voir l’enjeu.
1.2 Effet d’exagération : l’hyperbole
Les effets d’insistance vont de pair avec des effets d’exagération qui rendent d’autant plus insoutenable la figure des enfants travailleurs. De nombreuses figures hyperboliques sont employées pour consterner les lecteurs qui portent sur les conditions de travail qui leur sont imposées : « quinze heures par jour », « éternellement », « de l’aube au soir », « à peine jour » sont autant de circonstants qui impliquent une certaine systématicité et inéluctabilité de leurs horaires de travail, qui ôte toute échappatoire. Cette connotation irrépressible de l’action des enfants au travail est amplifiée par l’image d’un cycle continu que rien n’arrête. Certains vers font une boucle : « meule », « éternellement » et « le même mouvement » sont à la rime et miment ce mouvement infini. L’effet est immédiat : Hugo cherche en cela à victimiser les enfants. De même l’utilisation de déterminants totalisants : « tout est d’airain, tout est de fer » alliés à des images d’inflexibilité et de dureté même « airain » et « fer », mais aussi des adverbes « jamais » en parallélisme – en insistance – et « rien » donnent une dimension manichéenne au propos et accentuent la position de martyr des enfants. De surcroît, certaines métaphores à dimension hyperbolique renforcent la victimisation des enfants : ceux-là sont « sous des meules », « sous les dents », s’adjoint à cela la monstruosisation du travail et des machines – « monstre » qui « tue » – qu’ils doivent manier. Les groupes prépositionnels introduits par « sous » dénotent leur impuissance et leur victimisation. La cruauté inimaginable du travail des enfants est ainsi soulignée par le fait qu’il « ferait (...) d’Apollon un bossu, de Voltaire un crétin ». Le caractère antonomastique des emplois des noms propres Apollon et Voltaire ont vocation à dénoncer l’impensable. De même le terme « rachitisme » signifie bien qu’Hugo choisit des images à l’extrême, les plus poignantes, les plus révoltantes et consternantes pour susciter pitié et révolter le lecteur. L’usage de termes à préfixe privatif dénotent le caractère inconcevable de ce qui est représenté : « infâme » et « insensée ». C’est cette amplification de la souffrance des enfants victimes qui, grossie à l’extrême, permet cette peinture pathétique.
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