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Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V. Stein La scène du bal

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Par   •  21 Février 2016  •  Commentaire de texte  •  3 141 Mots (13 Pages)  •  4 513 Vues

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Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V. Stein

La scène du bal

1. Construction du topos : mise en scène narrative

2. Deux facettes de l’être

3. Une cohérence textuelle au service d’une confusion identitaire

Marguerite Duras parle du Ravissement de Lol V. Stein comme d’un roman de l'abolition de la personne. Nous commentons ici la scène du bal, qui va se révéler essentielle dans le trajet narratif. Cette scène traumatique se situe après l’incipit, dans les premières pages du roman. Tout se joue dans un intervalle de silence, au moment où Anne-Marie Stretter entre dans la salle du casino de T.Beach et croise le regard du fiancé de la jeune Lol V. Stein.

Cette scène de première rencontre devrait s’inscrire dans un topo amoureux classique dans la littérature. Nous analyserons par ce commentaire, comment l’écriture durassienne creuse un écart avec ce lieu commun du coup de foudre, en privilégiant non le « ravissement » amoureux, mais le rapt identitaire de la féminité, qui conduit Lol à la folie.

I) Construction du topos : mise en scène narrative

Une scène de première rencontre amoureuse

Le titre du roman, Le Ravissement de Lol V. Stein, joue sur deux significations : ravissement amoureux, mystique ou poétique, tels que le coup de foudre et l’extase, mais aussi rapt au sens de ravage, issu du latin « rapire », enlever de force ou par surprise.

Le cadre est donné de façon minimale, avec peu de détails réalistes, mais reconnaissable, et cet extrait tend à suspendre le temps. L’ouverture de cette scène se présente comme une énonciation de récit, avec une typographie déroutante : retour à la ligne après deux phrases brèves. Cette mise en espace du texte souligne que dès le début du roman quelque chose se termine : « Une danse se terminait. » Fin d’une danse, certes, fin de la ligne et création d’un blanc, et fin annoncée d’autre chose, plus essentiel. Les temps employés ne répondent pas aux critères traditionnels de l’antériorité ni d’une action brève visant à être mise en relief par un passé simple ; ce temps, ici, indique une rupture, un arrêt, et l’imparfait habituellement utilisé pour désigner le duratif, sert à exprimer la fin de la danse. Quant au plus-que-parfait « La piste s’était vidée lentement. », loin de marquer l’antériorité, il indique plutôt une action postérieure et lente. Cette utilisation des temps marque un écart par rapport à l’usage selon la grammaire. « Elle fut vide » est une évidence redondante, qui insiste sur l’aspect théâtral de l’entrée du personnage sur une piste de danse que tous viennent de quitter, et accentue l’aspect dramatique de ce « vide » topographique, support d’un vide identitaire, du « ravissement » au sens d’un rapt à venir. Le blanc dans la disposition typographique marque donc non seulement la fin de quelque chose, mais aussi le vide qui fait place au silence des mots.

La scène de cette première rencontre, est à la fois conforme au topos que décrit Jean Rousset1, mais elle en diffère aussi par certains écarts. La mise en place -la salle de bal du casino- renvoie au bal de La Princesse de Clèves, ou à celui du Vice consul. Toutefois, ce lieu « vide » revêt une valeur symbolique, sorte d’écran vide dont les seuls acteurs sont Anne-Marie Stretter et Michael Richardson. L’effet décrit le caractère soudain du premier regard : « Il s’était arrêté, il avait regardé… ». Cependant, Il les avait déjà remarquées : un discours direct du « fiancé de Lol », souligné par un tiret, vient rompre le silence, précisant que mère et fille « étaient ce matin à la plage ». Nous n’en saurons pas davantage. La véritable scène de première rencontre est en ellipse.

Pétrification

Cette scène ne s’inscrit pas dans l’horizon d’attente du lecteur, et pourtant, à sa façon, elle reste déterminante pour la mise en scène narrative. L’étude lexicale présente non le versant heureux du coup de foudre, mais l’aspect morbide d’un foudroiement en prise directe avec la mort : « Lol, frappée d’immobilité, avait regardé […], comme lui, cette grâce […] d’oiseau mort. Elle était maigre. », « Charpente un peu dure », « obscure négation de la nature.», « l’ossature », « elle mourrait » « une robe noire […] de tulle également noir », « un pessimisme gai », « une cendre » « Que sa fin ». Tous ces détails physiques et vestimentaires fonctionnent comme des unités sémantiques funèbres, cadavériques, dont la puissance de séduction tient à une mise en scène fascinante de la mort qui pétrifie tout désir en l’abolissant.

Notons aussi que le discours rapporté par Tatiana, est une façon de reconstruire un souvenir : « raconte Tatiana », « on le suit plus tard », « pensa Tatiana », « pensait-elle » (encore que ce « elle » reste ambigu). Notons le mélange des tiroirs verbaux : présent, imparfait, passé-simple et imparfait pour signer ce discours rapporté par Tatiana. Ce sont aussi quatre incises, sans guillemets, donc nous ne pouvons savoir si c’est vraiment Tatiana qui parle, puisqu’il peut s’agir d’une retraduction, en substance, de ce que peut penser le narrateur. Cela est exprimé beaucoup plus nettement lorsqu’il s’agit de la maigreur et de la robe noire : « Elle avait vêtu cette maigreur, se rappelait clairement Tatiana, d’une robe noire… ». Tatiana, elle aussi, voit le jeu de regards entre le fiancé et Anne-Marie Stretter, elle aussi ne peut détacher son regard de cette image de mère morte vêtue de noir, et elle aussi se trouve donc happée par la scène de « ravissement ».

Femme fatale, Méduse sûre de son emprise et de ses pouvoirs mortifères, cette nouvelle Parque met en scène une féminité diabolique dont l’aspect duel fera l’objet d’une étude approfondie. Dès lors, le narrateur souligne la nécessité, pour cet homme pétrifié, d’«entraîner Lol vers le bar et les plantes vertes », vers du vivant et la vie/mort associées à l’alcool servi au bar.

Originalité de cette scène de première rencontre

Tant par le style que par les métaphores ou le champ lexical, cette scène de bal vient déconstruire les stéréotypes de l’amour passion, en les mettant en scène de façon excessive et dans un registre mortifère.

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