Lucrèce Borgia : monstre et chasseur de monstre
Dissertation : Lucrèce Borgia : monstre et chasseur de monstre. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar esseel04 • 16 Juin 2022 • Dissertation • 2 209 Mots (9 Pages) • 637 Vues
Dissertation sur Lucrèce Borgia
Quand il écrit en 1832 Lucrèce Borgia, Victor Hugo poursuit sa redéfinition du théâtre classique français (règle des 3 unités, règle de la bienséance, interdiction de mélanger les genres). Il s’inscrit dans le nouveau genre du drame romantique, caractérisé par une réflexion sur le présent en ayant recours au passé et par le rôle de l’individu exceptionnel, romantique, moteur de l’évolution possible d’une société tyrannique. Lucrèce Borgia est ainsi d’abord un drame historique, centré sur le personnage de Lucrèce, issue de la famille des Borgia, célèbre dynastie italienne accusée de fratricides, d'incestes, de luxure, et devenue le symbole de la décadence de l'Église catholique romaine à la Renaissance italienne. Cet ancrage historique dans un 16ème siècle à l’aristocratie violente fait écho à la situation politique de la France de 1832 marquée par la répression sanglante par la garde nationale de l’insurrection parisienne des républicains qui fait plus de huit cents victimes. Si Hugo semble faire de cette famille Borgia la source originelle de monstres, c'est -à-dire de « personnes d'une laideur physique ou morale effrayante » ou « qui suscitent l'horreur par leur cruauté, leur perversité, par quelque vice énorme » (Larousse), peut-on considérer que la pièce aspire tous ses personnages dans ce courant de monstruosité ? Pour y répondre, nous nous attacherons à montrer comment, au premier abord, les personnages s’affichent en deux camps distincts, monstres et chasseurs de monstres, et comment la menace du monstrueux pèse sur chacun. Puis, nous montrerons qu'en approfondissant l’analyse, la frontière séparant les monstres des chasseurs n'est pas si claire du fait de l'ambivalence des personnages et du poids du destin.
En première lieu, les personnages se divisent en deux camps : les monstres et les chasseurs de monstres, et une ambiance monstrueuse règne tout au long de la pièce.
La famille des Borgia, Lucrèce et Alphonse peuvent être qualifiés de monstres de par la violence à la fois physique et morale qu’ils commettent sans cesse et de par les vices qu’ils présentent. Les Borgia sont désignés comme une « famille de démons « par Maffio et Lucrèce est explicitement traitée de « femme monstrueuse » par Jeppo.
En effet, les Borgia dont Lutèce en particulier sont tristement célèbres en Italie pour leur avidité de pouvoir et leur cruauté : toutes les nobles familles italiennes possèdent au moins un membre assassiné par les Borgia pour raison politique. Ils sont aussi connus pour avoir commis des crimes dans leur propre famille : parricide (César a tué ses deux neveux et son cousin), fratricide (la pièce s’ouvre sur le meurtre sordide et horrible de Jean Borgia par son frère César) et même de l’inceste (Lucrèce et ses deux frères). En particulier, au cours de la pièce, Lucrèce quant à elle use par deux fois du poison des Borgia pour assassiner les jeunes seigneurs dont elle veut se venger. Son mari, Alphonse, quant à lui, tyran de Ferrare qui a l’habitude de faire tuer en place publique ses ennemis, veut lui-même poignarder Gennaro dans le dos de manière lâche et ignoble.
Par ailleurs, les Borgia et Alphonse sont également des monstres de par les violences morales dont ils usent. Par exemple, Lucrèce manipule les amis de Gennaro en se faisant passer pour une jeune princesse. Elle a l’habitude de la dissimulation, de se déguiser et de mentir à son fils, à Gubetta et à son mari pour obtenir ce qu’elle souhaite. Elle est présentée comme une femme fatale amorale qui collectionne les amants. L’amour qu’elle porte à son fils apparait parfois très ambigu, limite incestueux. D’ailleurs, les amis de Gennaro interprètent qu’elle est amoureuse de lui lorsqu’ils l’aperçoivent auprès de lui. De manière plus générale, les Borgia sont décrits dans la pièce comme des manipulateurs usant du chantage, du complot et de la trahison pour parvenir à leurs fins. Alphonse, comme Lucrèce, révèlent également une certaine perversité. Ils ont tous deux torturé de nombreux ennemis. Dans la pièce, on voit même Lucrèce se réjouir de sa vengeance à tuer les jeunes seigneurs.
La monstruosité des Borgia et d’Alphonse réside de plus dans l’organisation de nombreuses orgies mettant en scène des excès de tout genre : beuveries, bouffonneries et débauches sexuelles. Ils sont présentés comme des personnages prônant de nombreux vices.
En opposition aux monstres que sont Lucrèce, Alphonse et les Borgia, Gennaro et ses jeunes amis seigneurs peuvent être catégorisés comme les chasseurs de ces monstres.
En effet, ils ressentent du dégout envers Lucrèce et sa famille et leurs « crimes abominables ». Ils souhaitent destituer les Borgia au pouvoir afin de débarrasser l’Italie de leur monstruosité. Gennaro, en particulier, voulant faire affront à Lucrèce, profane à l’entrée de son palais, le nom des Borgia en le détournant en orgia qui renvoie à la débauche de l’orgie.
De surcroît, les valeurs nobles des jeunes seigneurs et de Gennaro contrastent fortement avec les basses passions des monstres. En effet, ces héros se distinguent par leurs qualités morales nombreuses dont la bravoure et le sens de la fraternité. Par exemple, les multiples récits narrés lors de la pièce, racontent toujours un acte d’héroïsme dans lequel Gennaro, Maffio ou un autre aventurier, s’illustre en sauvant la vie d’un de ses camarades. Sa noblesse de sentiment est soulignée par son désir de venger « son frère » Maffio mais aussi sa mère. Par ailleurs, plus qu’un simple héros, Gennaro est l’archétype du héros romantique, qui incarne un idéal, celui d’un homme sensible, au discours et gestes très lyriques, qui tente de redresser les injustices sociales. Durant toute la pièce, Gennaro ne cesse de déclamer l’amour profond qu’il éprouve pour sa mère et sa souffrance de ne pas la connaître : « je donnerai ma vie dans ce monde pour la voir pleurer, et ma vie dans l’autre pour la voir sourire. ». Son besoin de garder toutes les lettres de sa mère près de son cœur témoigne de son comportement mélodramatique. Gennaro, en héros justicier, incarne donc le sauveur de la famille en croyant venger à la fois sa mère et Maffio, lorsqu’il tue Lucrèce Borgia.
Enfin, la monstruosité débordante de Lucrèce et d’Alphonse menace les autres personnages de la pièce.
D’une part, l’influence toxique qu’exercent Lucrèce et Alphonse sur leurs serviteurs est une première forme de menace. En effet, Gubetta et Rustighello se retrouvent mêlés aux crimes de leurs maîtres et usent à leur tour d’immoralité monstrueuse. Ils complotent, trahissent et surtout assassinent, que ce soit par ruse, par poison ou le biais d’une lame. Gubetta est obligé par Lucrèce à se faire passer pour un autre auprès des chevaliers tout au long de la pièce. On peut considérer d’une certaine manière que le monstrueux s’est infiltré au plus profond de l’identité des serviteurs.
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