Lecture analytique Juste la fin du monde, Jean Luc Lagarce
Fiche de lecture : Lecture analytique Juste la fin du monde, Jean Luc Lagarce. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar emma.pralon • 11 Mai 2021 • Fiche de lecture • 2 136 Mots (9 Pages) • 1 727 Vues
Explication 3 L’EPILOGUE
INTRODUCTION :
Jean-Luc Lagarce, 1957-1995, auteur, acteur, metteur en scène, directeur de compagnie. Juste la fin du monde, 1990. Louis, l’ainé d’une fratrie de trois, retourne voir sa famille après une très longue absence afin de lui annoncer sa mort prochaine. Mais il ne parvient pas à le dire.
La pièce semble s’être terminée en II, 3 : les 3 femmes disparaissent comme dans un fondu au cinéma : LA MERE : « nous sommes toutes les trois comme absentes / on les regarde, on se tait. » Après une ultime confrontation, Antoine aussi se tait, « Je ne dirai plus rien ». Louis ne dira rien et s’en va. Sans qu’on puisse parler de dénouement, le lecteur/spectateur a bien la sensation que la pièce est finie à la fin de cette scène. Mais cette fin est frustrante : Louis n’a rien dit. Ce pourquoi Louis était venu n’a pas eu lieu. Or le lecteur/spectateur assiste ensuite à un épilogue. Cet épilogue va-t-il combler sa frustration ?
P. Pavis, Dictionnaire du théâtre, 2004 : « Un épilogue est un discours récapitulatif à la fin d’une pièce pour tirer les conclusions de l’histoire, remercier le public, l’encourager à tirer les leçons morales ou politiques du spectacle, gagner sa bienveillance. Il se distingue du dénouement par sa position « hors-fiction » et par la soudure qu’il réalise entre la fiction et la réalité sociale du spectacle. »
De quoi s’agit-il dans cet épilogue ? Pas d’une réalité sociale mais d’un souvenir individuel : un cri qui n’a pas été poussé sur un viaduc, une nuit. Il s’agit donc du souvenir d’un « oubli ». Si l’épilogue soude la fiction sur une réalité, il s’agit ici de relier la pièce à une vérité intime et une certaine conception de la parole et du théâtre.
Quelle est la leçon de cet épilogue ? Quelle vérité révèle-t-il ?
Mouvements : 1) Du début à « une année tout au plus. » : une parole énigmatique. 2) De « Une chose dont je me souviens » à « que je me retrouverai. » : le récit d’un souvenir symbolique. 3) de « A un moment, je suis à l’entrée » à la fin : l’évocation d’une occasion manquée.
I- UNE PAROLE ENIGMATIQUE
Deux blancs séparent l’épilogue en trois parties d’inégale longueur. Ces deux blancs supposent, au moment de la représentation, un silence de l’acteur qui distingue les trois prises de parole.
Parole 1 (vers 1 à 4) : Louis envisage la suite de l’action racontée dans la pièce, ce qui se passe après la dispute avec Antoine. La fin. Sa fin. L’effet de suspense est grand à la fin du vers 1 : le spectateur, frustré de cette fin qui n’en est pas une, espère. L’acteur peut ménager une longue pause entre le vers 1 et le vers 2, le plus court de tout l’épilogue, qui claque comme une nouvelle déception, sous le signe de la fuite (je pars) la négation (je ne reviens plus jamais) la mort (je meurs). Là encore, rien ne s’est dit.
Ce qui frappe dans cet épilogue c’est la difficulté à comprendre d’où/de quand Louis parle. Le texte commence par l’adverbe de temps Après. Louis parle donc de ce qui est postérieur à la scène II, 3 ; mais ce qu’il va faire plus tard, après la II, 3 est passé par rapport au moment où Louis l’énonce ; et Louis énonce ce futur (après) passé au présent : ce que je fais, je ne reviens plus, je meurs. Le texte prend un aspect fantastique. La parole de Louis dans l’épilogue, comme dans le prologue est une parole d’outre-tombe. Louis est un mort vivant puisqu’il peut dire sa mort passée au présent mais future par rapport aux événements racontés : « Je meurs quelques mois plus tard ».
Mais on perçoit dans ce début comme une fusion des trois dimensions temporelles le futur de l’action de la pièce dit au présent mais passé par rapport au moment de l’énonciation. Avec cette superposition des temps, on a abandonné l’urgence qui inaugurait la pièce : au début, Louis devait dire rapidement ce qu’il avait à dire, parce que ses jours étaient comptés. Avec l’épilogue, le temps n’a plus d’importance et il n’y pas d’autre fin que celle du spectacle.
II- LE RECIT D’UN SOUVENIR SYMBOLIQUE
Parole 2 (vers 5 à 27) : Un souvenir comme une ultime tentative. L’article indéfini Une qui débute le vers 5 signale ce dernier espoir ce que confirme la parenthèse au vers 6 (après j’en aurai fini). À cela s’ajoute l’utilisation du futur antérieur : j’en aurai fini. Le futur antérieur envisage comme achevée, passée, une action future au moment présent de l’énonciation. La fin (la fin de la pièce ? la mort de Louis ?) est donc à la fois passée, présente et future. Il y a une dimension un peu comique de cette phrase entre parenthèses, comme si l’acteur rassurait le public en lui disant que le spectacle est bientôt fini. Ce souvenir est celui de la possibilité d’un cri.
Louis utilise lui-même le verbe raconter alors qu’on sait sa préférence pour le verbe dire. Il y a sans doute ici la volonté de se faire conteur. Le texte qu’il dit témoigne de cet art du conteur :
-Les précisions temporelles qui commencent le récit. C’est l’été joue le rôle d’embrayeur qui fait démarrer le conte (comme le « Il était une fois… » du conte de fée). Puis les indices se précisent de plus en plus pour arriver à l’instant crucial : C’est l’été > la nuit > A un moment.
On retrouve le même fonctionnement pour l’espace : les indications vont en se précisant : dans le sud de la France > dans la montagne > le long de la voie ferrée > à l’entrée d’un viaduc. On arrive, par un jeu de réductions successives, à un lieu crucial.
Les topoï (lieux communs, passages obligés) du conte pour enfants : le héros est seul, il est parti pour une promenade dans la montagne. Mais il s’est perdu. La nuit tombe et il doit retrouver le chemin de la maison où il vit. Ces éléments étaient déjà ceux du cauchemar évoqué par Louis dans l’Intermède (scène 3).
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