La fin d'une quête, la fin d'un univers ? Lla Queste del Saint Graal

La fin d’une quête, la fin d’un univers ?

p. 262, l. 20 – p. 278, l. 33

1. Problématique 

L’épilogue de La Queste del Saint Graal, roman en prose du XIIIe siècle, met en exergue la fin des aventures du Saint Graal, énonçant de manière explicite l’arrêt des manifestations de celui-ci ainsi que sa disparition. Galaad, Perceval et Bohort, les trois élus, parviennent à percer une partie des mystères du Graal. Suite à cette vision, ils ont pour mission d’emporter le Saint Vase à Sarras. Avant cet épisode final, Galaad accomplit encore les dernières volontés exigées par le Seigneur, lesquelles mettront fin aux aventures du royaume de Logres.

Avant de revenir plus en détails sur les événements qui sont à l’origine de la disparition du Saint Graal, il est nécessaire de nous interroger sur les dernières aventures menées par Galaad ainsi que sur cette volonté d’achever les aventures, c’est en effet grâce à cela que nous pourrons éclaircir la signification de sa mort. Après avoir compris les raisons de la mort de Galaad, ainsi que ce qu’elle représente pour le développement du récit, nous pourrons interpréter les raisons de l’aboutissement de cette quête, afin de mettre en avant l’interprétation la plus probable quant à l’avenir de la matière de Bretagne. Finalement, nous nous demanderons si l’on peut envisager de comprendre la fin de la quête comme la fin d’un cycle.

2. Situation du passage 

Le passage dont il sera question dans ce travail se situe juste avant la fin du texte. Le conte fait alors mention de Galaad, lequel vient de passer plus d’un an en compagnie de son père, Lancelot, sur la nef dans laquelle reposait le corps de la sœur de Perceval : « Or dit li contes que quant Galaad se fu partiz de Lancelot, [...] ».^[1] Cette séparation de Galaad et Lancelot annonce que le récit touche à sa fin, en effet, Galaad entreprend dès lors les dernières aventures, qui le séparent de la révélation divine à laquelle il est destiné avec deux autres compagnons.

Pour commencer, Galaad se rend au chevet du roi Mordrain dans l’abbaye, où il attend sa délivrance, laquelle est annoncée déjà plus tôt dans le récit alors que Perceval participe à une messe dans une abbaye où il voit le roi Mordrain allongé sur son lit durant l’office. Déjà, on apprend que Galaad sera l’homme qui mettra un terme aux souffrances du roi : « […] je ne muire jusqu'à cele hore que li Bons Chevaliers, li noviemes de mon lignage, cil qui doit les merveilles dou Saint Graal veoir apertement, me viegne visiter […] ».^[2] Celui-ci est en effet délivré de ses blessures ainsi que de sa vie terrestre. Après quelques jours passés dans l’abbaye, Galaad reprend sa route arrive dans la Forêt Périlleuse où il met fin à un autre mystère, puis il atteint une nouvelle abbaye, celle qui renferme la tombe incandescente de Siméon. Il parvient à apaiser l’âme de celui-ci, et redonne à la tombe un aspect normal. Durant 5 ans, il chevaucha avec Perceval, mettant un terme à de nombreuses aventures lesquelles ne sont pas détaillées, procédé que nous commenterons plus tard :

« En en toz les cinc anz li tint Perceval compaignie en quel leu qu’il alast. Et dedenz celui terme orent il si achevees les aventures dou roiaume de Logres, que poi en i veoit len mes avenir, se ce n’ert demostrance de Nostre Seignor merveilleuse ».^[3] 

Puis enfin, ils arrivèrent au château du roi Méhaignié à Corbenic après avoir retrouvé Bohort sur leur route. Ici l’intertextualité est soulignée par la présence de ce roi, déjà présent chez Chrétien de Troie, de plus le roi Méhaignié est cité plusieurs fois dans le texte, sous forme de prolepses.^[4] C’est alors que les trois compagnons ont accès à une partie des mystères du Saint Graal, car ils font partie des chevaliers qui ont mené la quête à bien. Une dernière mission est alors mandatée par le Seigneur. Le Graal quitte le royaume de Logres, pour des raisons que nous expliciterons plus tard. Dieu mena les trois élus jusqu’à Sarras, où le Saint Vase devait être déposé, mettant définitivement un terme aux aventures et aux mystères du royaume de Logres. Pourtant arrivés à Sarras, les trois compagnons ne sont pas reconnus comme des sauveurs par ce peuple païen et sont mis en prison par le roi Escorant. Plus d’un an après ce malheureux accueil, le roi Escorant en fin de vie leur demanda le pardon et dès que celui-ci lui fût accordé il décéda, Galaad fut alors nommé roi et fit construire une arche pour recueillir le Saint Vase. Encore une année s’écoula puis Galaad, qui avait tant désiré rejoindre son Seigneur, fut enfin exaucé. Juste avant sa mort, il avait découvert les mystères les plus profond que le Graal pouvait retenir et avait senti que la vie sur terre ne pourrait jamais le combler.  Après avoir brièvement présenté ce passage, nous allons revenir plus en détail sur les dernières aventures, sur l’apparition du Graal à Corbenic ainsi que sur le voyage à Sarras.

3. Découpage du passage 

Pour bien comprendre les enjeux de la fin de ce texte, il est essentiel de voir comment sont mises en place les aventures qui se dérouleront lors de la fin de la Queste del Saint Graal. Bien que l’on ne puisse certifier la provenance de ce texte, il semble évident qu’il appartient au cycle arthurien. Nous sommes en mesure de conforter cette hypothèse suite au nombreux signes d’intertextualités présents au fil du récit comme, par exemple, la présence du roi Méhaignié à Corbenic ainsi que la nature des accusations qui pèsent sur Lancelot. En nous intéressant plus spécifiquement à la fin de la quête, nous remarquons qu’au-delà d’un récit cyclique qui s’insère à la suite d’autres œuvres auxquelles il fait écho, La Queste del Saint Graal, dès son début annonce l’achèvement des aventures : « […] celui par cui les merveilles de cest païs et des estranges terres remaindront ».^[5] Ainsi la notion de cycle est reprise au sein même du conte. En effet, les aventures menées à la fin de la quête par Galaad ont toutes été annoncées, ou du moins évoquées.

3.1. Les dernières aventures des trois chevaliers.

Il serait plus juste de nommer cette partie les dernières aventures de Galaad, car bien qu’accompagné de Perceval, du moins à la fin, celui-ci n’intervient pas. Il semble d’ailleurs que durant les trois premières aventures relatées, Galaad est seul. Comme le dit si bien Myrrha Lot-Borodine : «  Galaad le Parfait mène seule la quête à sa fin surnaturelle ».^[6] Revenons dès lors plus en détails sur les trois aventures menées à bien par Galaad. Pour commencer, comme il était prédit^[7], Galaad met fin aux souffrances du roi Mordrain lors de sa visite à l’abbaye. Force est de constater que le Bon Chevalier n’agit en fait pas du tout, son unique présence apporte l’apaisement : « Et quant il fu laienz, li rois, qui longuementavoit perdue la veue et le pooir dou cors par la volenté Nostre Seignor, vit cler si tost come il aprocha de lui ».^[8]  On remarque ici une première rupture avec ce qui est jusque là connu des aventures du Royaume de Logres. Il semble que ce n’est plus la prouesse du chevalier en tant que telle qui est mise en avant mais ses vertus. Ici, nul besoin de combattre, la seule présence suffit, ce qui peut évidemment mener à une certaine déception chez le lecteur. Si ces aventures sont extraordinaires c’est qu’elles tiennent du miracle et non des prouesses. Il s’agit de l’acheminement d’un nouvel idéal chevaleresque qui est mis en place tout au long du récit, éloignant de la quête les chevaliers avides de sang et les moins vertueux et même menant à la rédemption dans certains cas. Galaad n’a nul besoin de prendre les armes sa présence suffi à apaiser les maux ; on retrouve cela dans les deux aventures qui suivent :

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