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Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, 1990

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Par   •  7 Novembre 2022  •  Cours  •  1 540 Mots (7 Pages)  •  412 Vues

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Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, 1990

« Parfois, tu nous envoyais des lettres… C’est pour les autres. » (I,3)

SITUATION DU PASSAGE

Le retour de Louis dans sa famille constitue un choc pour chacun des membres de celle-ci. Suzanne, la petite sœur, est la première à se retrouver en tête à tête avec son frère, à la scène 3 de la première partie. Ce n’est pourtant pas un vrai dialogue qui se noue entre eux : Suzanne va tenter combler l’absence par un long monologue. Va-t-elle réussir à rétablir le contact avec ce frère disparu depuis longtemps de sa vie ?

COMPOSITION DU PASSAGE

Le discours oscille entre reproches et désir de renouer mais l’amertume l’emporte au fur et à mesure que Suzanne prend conscience que sa famille ne compte pas vraiment pour Louis.

  1. Un discours hésitant (l.1-7)

  • Anaphore de « parfois » insiste sur la rareté des nouvelles envoyées par Louis ;
  • Polyptote «envoyais/envoies » montre néanmoins que ces envois ne se sont jamais interrompus ;

Suzanne cherche ses mots, elle essaye de mettre de la précision sur les faits et sur ce qu’elle ressent : ce travail de reformulation (= épanorthose) se fait en même temps qu’elle donne sa pensée, d’où la négation « ce ne sont pas des lettres » (bien qu’elle ait employé déjà 2 fois ce terme) puis les questions : « qu’est-ce que c’est ? », « comment est-ce qu’on dit ? » (et plus loin l’emploi des parenthèses).

Le discours commence par des faits, l’envoi des nouvelles, qui paraissent simples à raconter et ne le sont pourtant pas : Suzanne ne sait comment qualifier ces nouvelles : des « lettres » ? Des

« phrases » ? Des « petits mots » ? L’adverbe « juste » l.40 a une connotation péjorative et traduit sa frustration : on comprend qu’elle aurait attendu de longues lettres, des nouvelles détaillées de son frères et qu’elle a été déçue, ce que montre aussi le pronom négatif hyperbolique « rien » .

Suzanne finit par se satisfaire de l’adjectif « elliptiques » et reformule ensuite ironiquement toute sa phrase : elle cite son propre discours, d’où la présence des guillemets (l.43). Elliptique : qui comporte des ellipses, c’est à dire des omissions, ce qui rend le sens difficile à comprendre. Cet adjectif souligne le vide laissé par Louis dans la maison, vide qui s’est traduit aussi par les blancs de ses lettres et qui est donc de sa faute.

Cette première partie de l’extrait met l’accent sur l’incompréhension qui ne peut que régner entre Louis et les membres de la famille (« tu nous envoyais ») du fait de l’attitude passée de Louis. Suzanne est à la fois hésitante et ironique. Son discours tâtonnant oscille entre reproche et volonté de nouer un dialogue.

  1. L’expression de l’ignorance (l.8-15)

  • Ce tâtonnement continue dans la suite du monologue. Les nombreux retours à la ligne qui créent des blancs traduisent encore les hésitations de la jeune femme.
  • L’emploi de l’imparfait dans « je pensais », employé 3 fois, montre une rupture dans l’esprit de Suzanne : il est sous-entendu par ce temps verbal qu’elle ne pense plus la même chose aujourd’hui et que la jeune adulte qu’elle est s’est détachée de l’enfance et de ses illusions. La parenthèse ironique « ce que j’ai pensé quand tu es parti » montre les regrets de la jeune femme qui, enfant, entretenait toutes sortes d’illusions sur son frère.

Ce passage est ironique : Suzanne pensait que puisque son frère était écrivain, il allait leur

écrire. On sent donc ici une pointe de sarcasme : « je pensais que tu saurais écrire… mais apparemment tu ne sais pas... »

  • L’expression péjorative « fausser compagnie » sous-tend un reproche que Suzanne formulera dans la dernière partie de l’extrait : l’euphémisme (ici « fausser compagnie » = « abandonner ») fait comprendre que Suzanne a vécu ce départ comme un abandon voire une trahison.
  • Le polyptote du verbe verbe « faisais », « allais faire », « souhaitais faire » souligne que Suzanne n’était pas très au courant de la vie de son frère déjà à cette époque : est-ce qu’il était déjà écrivain comme le sous-entend « faisais » ? ou est-ce qu’il était encore en train de faire ses études (« allais faire », « souhaitais faire ») ? Le verbe « être » employé à l’imparfait (« était ») puis au conditionnel (à valeur de futur dans le passé) « serait » à la ligne 51 montre à nouveau cette ignorance.

  1. L’expression de l’admiration (l.16-27)

  • Suzanne emploie le « nous » familial et évoque leur sentiment pour ce frère écrivain : l’admiration. Avec « tu le sais, tu ne peux pas ne pas le savoir », qui enchaîne une forme affirmative puis une double-négation, elle insiste fortement sur les sentiments positifs qu’ils ont, eux, clairement exprimés. Les 3 termes « la nécessité », « l’obligation ou le désir » et le verbe « éprouvais » montrent que cette admiration était justifiée car Louis pouvait employer son don d’écrivain aussi bien par plaisir (« désir ») que pour simplement survivre (« obligation »). En effet Louis avait déjà autrefois le don d’écrire : « tu saurais écrire ». Ce don pouvait lui servir à tout : on le voit à travers le complément circonstanciel de but « pour te sortir d’un mauvais pas ou avancer plus encore ». C’est un don qui le rend supérieur et justifie cette admiration ; c’est un don qui le rend totalement[pic 2]

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aussi progresser dans sa carrière. On comprend avec « plus encore » que Louis a déjà ou avait déjà du succès grâce à ce don que semble lui envier Suzanne.

Cette partie consiste en une sorte de concession : Suzanne abandonne un temps les reproches pour montrer à Louis qu’il est admiré et que sa famille s’intéresse à lui. Il s’agit pour Suzanne de ne pas noyer Louis sous les reproches, d’essayer de les retenir, peut-être pour ne pas gâcher cette journée.

  1. Le reproche final (l.28-37)

La dernière partie cependant introduit une rupture dans cette admiration grâce à la conjonction de coordination « Mais », à l’anaphore lyrique et triste de « jamais » et à la répétition de de divers mots tels que la négation « jamais tu ne te sers ». Le discours prend ici une tournure élégiaque, c’est à dire plaintive, éplorée, voire amère.

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