Dissert le premier homme qui passe
Dissertation : Dissert le premier homme qui passe. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar lulu14100 • 11 Octobre 2018 • Dissertation • 1 729 Mots (7 Pages) • 1 001 Vues
CORRECTION DE LA DISSERTATION
Le personnage de roman
« Le héros », souvent employé de nos jours pour signifier le personnage principal d’une intrigue, est un mot dont le sens a beaucoup évolué. Sa signification première remonte à l’Antiquité : il était alors utilisé pour parler d’un chef militaire, fils d’une divinité, transcendé dans la mort. Cet écart sémantique s’explique, entre autres, par la crise qu’a subie le personnage romanesque au XIXe siècle et par les enjeux de l’écriture naturaliste, dont le chef de file était Émile Zola. Dans Deux définitions du Roman publié en 1866, ce dernier déclarait que « le premier homme qui passe est un héros suffisant. » Pour l’auteur qui se dit « observateur » et « expérimentateur », il n’est plus nécessaire de créer des personnages hors du commun pour satisfaire le genre romanesque. La question que pose cette citation, au-delà de l’évolution du personnage de roman, concerne notamment les facteurs nécessaires à faire du celui-ci un « héros suffisant ». Nous remonterons le fil de l’Histoire en nous concentrant d’abord sur la transposition dans la littérature des personnages qui correspondent au modèle premier du « héros », puis nous avancerons et étudierons ce moment où le personnage de roman est devenu ordinaire. Enfin, nous réfléchirons à ce qui nous paraît essentiel pour faire de n’importe qui un personnage romanesque.
Le personnage d’une œuvre narrative a d’abord été un personnage hors du commun, exemplaire et admirable. Il s’agissait d’ « être fabuleux, la plupart du temps d'origine mi-divine, mi-humaine, divinisé après sa mort » (citation issue du cnrtl), dont les hauts faits sont racontés dans les épopées. On pense notamment au personnage d’Achille dans l’Illiade, écrite par Homère au Ve siècle avant notre ère, qui, d’origine divine, décide d’accomplir son destin guerrier en même temps qu’il accepte son avenir tragique. Ce personnage se caractérise d’abord par sa valeur guerrière et la démesure de ses réactions, notamment sa colère qui provoqua l’arrêt temporaire de la guerre de Troie. Les héros antiques ne sont alors pas tout à fait humain : demi-dieu, oui, mais demi-monstre si l’on se réfère à une célèbre phrase de Victor Hugo[1]. Ce type de personnage transcende la condition humaine. Il s’éloigne donc de la réalité du lecteur pour provoquer chez lui une vive admiration, mais aussi pour mieux lui permettre de dégager les principes de son humanité.
Au Moyen-Âge, le « héros » devient chevalier : comme le héros antique, le héros médiéval s’illustre par des valeurs guerrières et un rapport au divin, dont il n’est plus la progéniture démesurée, mais l’ardent défenseur des valeurs à travers ses prouesses et son éthique. Son exemplarité est donc d’autant plus importante qu’elle se fonde sur des principes moraux forts, tels que la bravoure, la piété, la fidélité, la générosité et le sens du devoir. Ceux-ci se concrétisent particulièrement dans l’amour courtois : dans Yvain ou le chevalier au lion, roman de chevalerie écrit par Chrétien de Troyes, qui part à l’aventure pour mériter l’amour de Laudine. Le héros médiéval puise sa force dans l’admiration et l’amour sans borne qu’il voue à sa dame pour accomplir ses exploits.
Le héros classique a également pour objectif de susciter l’admiration du lecteur grâce à sa beauté, sa galanterie et son sens du devoir et de l’honneur. C’est un personnage tout à fait idéalisé. Dans La Princesse de Clèves écrit par Madame de La Fayette en 1678 et considéré comme le premier roman, le portrait du Duc de Nemours correspond parfaitement à cette vision idéalisée du personnage romanesque, décrit comme « un chef d’œuvre de la Nature ». On ne peut que rester coi devant tant de qualités et vouloir (en partie) correspondre à ce modèle qui nous est proposé. De nouveau, le personnage romanesque se fait le parangon d’un système de valeurs, mais induit une distance avec le lecteur, ce qui est sans doute l’une des raisons pour lesquelles s’ensuivit une remise en question du personnage dans le roman.
Commence alors un travail de déficelage de la conception du héros dès le XVII et le XVIIIe siècle. Le personnage tourne le dos à certaines valeurs : il devient sensible comme dans La Vie de Marianne écrit par Marivaux entre 1731 et 1742 dans lequel est décrit toutes les nuances du sentiment amoureux. Le personnage peut alors être présenté comme un parvenu, ou encore un libertin cynique, dont le plus vif exemple est bien sûr le couple formé par la marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, dans Les Liaisons Dangereuses écrit en 1782 par Choderlos de Laclos, et dont toutes les manigances clandestines et perverses gardent le lecteur en haleine. Le personnage ne procède plus d’un archétype moral, mais peut au contraire s’ériger en contre-modèle fascinant le lecteur. Il devient un être plus vraisemblable avec ses plaisirs, ses faiblesses et ses incertitudes. Il peut se mettre à hauteur d’homme, alourdi de défauts.
Le XIXe siècle voit de nouveaux personnages entrés en littérature notamment grâce aux mouvements réaliste et naturaliste et s’écarte encore davantage du modèle classique. Ainsi le personnage devient tout à fait banal, ancré dans un quotidien et une réalité très proche du lecteur. L’œuvre de Zola s’appuie sur la médiocrité des personnages afin d’appuyer sa thèse sur l’incidence de l’hérédité et du milieu sur le destin des personnages. On pense notamment à ses romans, rassemblés sous le titre les Rougon-Macquart- Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, dans lesquels il veut étudier le comportement et le caractère humain au prisme de l’hérédité et de l’analyse sociale. Dans tous ses romans, Émile Zola met l’accent sur les défauts de ces personnages, exhibant la laideur et la vulgarité de ceux-ci comme autant d’ancrages dans la réalité. Ces personnages, tels que Gervaise, Nana ou encore Jacques Lantier, sont ancrés dans la réalité du lecteur, ce qui permet une identification et une implication émotionnelle grande de ce dernier.
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