Origine de l'intertextualité
Commentaire d'oeuvre : Origine de l'intertextualité. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar zabrovski01 • 5 Octobre 2023 • Commentaire d'oeuvre • 1 054 Mots (5 Pages) • 174 Vues
Bakhtine : l’intertextualité avant la lettre
Le plurilinguisme dans le roman
Chez Bakhtine (1978), la notion de plurilinguisme se réfère à la coprésence de plusieurs strates de langage parlé et écrit dans le roman, langages étrangers appartenant à des professions (style parlementaire, journalistique, etc.), à des genres et à des personnes issues de milieux variés, souvent rendus dans une forme stylisée et parodique mais présentés dans un langage littéraire unique, de sorte qu’ils ne relèvent pas de dialectes ou de langues différents. Ce phénomène se retrouve notamment dans le roman humoristique : chez Fielding, Dickens et Thackeray, par exemple. Il peut être entrecoupé du discours direct de l’auteur, lequel oscille, porteur d’une vision du monde et de jugements de valeur, entre distanciation et adéquation avec les langages étrangers.
Dans un premier temps, les intrusions de langages apparaissent de manière dissimulée, sans indications formelles pour révéler à qui elles sont imputables. C’est le cas dans la construction hybride, qui laisse croire, sur le plan de la composition et de la grammaire, qu’un énoncé est attribuable à l’auteur alors qu’il est double, en réalité, recelant deux langages, deux sens et deux origines sociologiques, parfois divergents. Une ambivalence se créé alors, en raison de frontières floues et changeantes entre les langages en coprésence, ainsi qu’entre ces langages et le discours de l’auteur. Dans un deuxième temps, le plurilinguisme apparaît avec l’introduction d’un auteur supposé ou d’un narrateur. L’intention de l’auteur réel est alors à cerner dans le dialogue entre leur vision du monde et celle des voix étrangères incluses dans les constructions hybrides. Dans un troisième temps, le plurilinguisme survient à travers les voix des personnages, lesquelles créent une indépendance et une perspective variables vis-à-vis de l’auteur et introduisent de la plurivocalité. Ces trois modalités d’introduction du plurilinguisme se combinent. Il en résulte une multitude de strates, de discours qui interfèrent les uns avec les autres et s’influencent mutuellement. Les structures du roman qui, à première vue, paraissent monologiques, sont en fait hybrides et se présentent plutôt sous une forme dialogique.
La structure du roman se voit également investie par d’autres genres, littéraires ou non, et leur langage propre, donnant lieu à une nouvelle forme de plurilinguisme. Les genres intercalaires (textes religieux ou scientifiques, récits de voyage, etc.) maintiennent un certain degré d’indépendance et des caractéristiques linguistiques et stylistiques originales. Parfois, ils transforment même la structure du roman[1].
Dans les discours autres et les langages qui les traduisent, les intentions de l’auteur se réfractent. Ils se constituent en un discours bivocal. « Cette bivocalité prosaïque est préformée dans le langage en tant que phénomène en évolution historique, socialement stratifié et déchiré au cours de cette évolution » (p. 146). Elle « est prédécouverte par le romancier dans le plurilinguisme et la plurivocalité qui l’embrassent et nourrissent sa conscience, elle ne se crée pas dans une polémique superficielle, individuelle, rhétorique avec des individus » (p. 146-147).
Le locuteur dans le roman
Le discours du romancier « enchâsse le discours d'autrui » – du locuteur – dans le roman (p. 175) plutôt qu’il ne l’intègre comme un simple objet de son discours, créant ainsi pour lui un « fond dialogique » (p. 175). La représentation dynamique du langage dans le roman prend trois formes intimement enchevêtrées : l’hybridisation, l’interrelation dialogisée des langages et les dialogues purs.
L’hybridisation conjoint à l’intérieur du même énoncé deux langages sociaux, celui de l’auteur et celui du personnage, vues comme « deux volontés linguistiques individuelles : la conscience et la volonté individuelles de l'auteur qui représente, et la conscience et la volonté individualisées d'un personnage représenté[2] » (p. 176). Cette conjonction est concrète et sociale; elle est « conscience verbale du monde » (p. 182). Il ne s’agit pas d’une juxtaposition mécanique de discours, mais bien d’un « système de fusion de langages littérairement organisé » (p. 178). L’interrelation dialogisée des langages rend compte, quant à elle, de la rencontre des différents langages d’une époque sur le fond dialogique constitué par l’auteur. Encore une fois, il ne s’agit pas de juxtaposer les langages mais de permettre entre eux le dialogue, l’interaction. Ainsi, écrit Bakhtine, « (c)`est seulement dans l`ensemble du plurilinguisme d'une époque que les langages isolés, leur rôle et leur vraie signification historique, peuvent se révéler totalement » (p. 224).
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