"Zone", Alcools, Apollinaire
Analyse sectorielle : "Zone", Alcools, Apollinaire. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar Ammaehappy • 9 Octobre 2023 • Analyse sectorielle • 1 517 Mots (7 Pages) • 284 Vues
“Zone” d’Alcools
Guillaume Apollinaire est considéré comme le père de la poésie moderne, au carrefour de plusieurs influences, traditionnelles et contemporaines, et sachant le restituer dans ses œuvres. Son recueil Alcools, de son titre original “Eau de vie”, est élaboré depuis 1905, et surprend par son manque de ponctuation. Placé en tête du recueil, “Zone” est pourtant le dernier poème rédigé par Apollinaire avant la publication en 1913. Il évoque, dans un poème dépourvu de versification, un espace urbain où se mêle passé et présent. Le poète s’y adresse à lui-même, et décrit une promenade dans Paris, à l’aurore. C’est un poème programmatique qui donne les clés du recueil. Le terme “Zone” désigne les terrains vagues séparant Paris de la banlieue, aux limites de la ville, à la fois inquiétants et hétéroclites, mais surtout lieux de tous les possibles.
Ainsi, nous nous demanderons en quoi ce poème célèbre-t-il la modernité.
Mouvements:
- De “A la fin tu es las” à “ont l’air d'être anciennes”: refus de l’ancien de la part du poète
- De “La religion seule” à “t’y confesser ce matin”: la religion est présentée comme moderne
- De “Tu lis” à “mille titres divers”: la presse est décrite comme poésie du monde nouveau
- De “J’ai vu ce matin” à “l’avenue des Ternes”: description d’une rue industrielle représentant le progrès technique
Premier mouvement:
- « Zone » s’ouvre sur trois monostiches, qui témoignent déjà de la versification étonnante de ce poème
À la fin tu es las de ce monde ancien
- premier vers classique, l’alexandrin répondant à une certaine tradition poétique
- Cependant, il s’agit déjà, pour le poète, d’annoncer le renouveau. En effet, il est intéressant de noter que la diérèse sur le mot « ancien », nécessaire pour obtenir un alexandrin concourt à donner l’impression que l’adjectif se brise : « anc-i-en » et donc que le passé s’efface. Cette décomposition du mot évoque aussi la peinture cubiste.
- le “tu” s’apparente en réalité à un “je”, ce choix permet au lecteur de devenir, au même titre qu’Apollinaire, le destinataire du poème
- exprime son sentiment de lassitude envers le monde entier
- premier vers ressemble à une conclusion: le reste du poème se présente donc comme une analepse
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
- personnification de la Tour Eiffel “Bergère” qui ressort au milieu de Paris, presque sacralisée par le « ô » lyrique
- symbolise le progrès industriel, construction ayant fait scandale, suscitant des réactions hostiles mais aussi enthousiastes, notamment de la part d’Apollinaire
- champ lexical bucolique (“bergère” “troupeau” “bêle”) qui personnifie de manière étonnante l'architecture parisienne moderne
Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine
- “tu” peut désigner à la fois la Tour Eiffel personnifiée et le poète, qui reprend la lassitude du premier vers
- évoque “l’antiquité” qui représente le modèle architectural et artistique dans Paris, modèles de perfection
- on a une remise en cause des modèles traditionnels “grecs” et “romains”, qui s’opposent à un Paris moderne
Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes
- antithèse entre “automobiles” et “anciennes”, semble paradoxale
- c’est donc la ville en elle-même qui rend ses habitants obsolètes
Deuxième mouvement:
La religion seule est restée toute neuve la religion Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
- antithèse entre “religion” et “neuve” renforcée par l’adv “toute”: c’est contradictoire car le catholicisme n’a pas changé depuis le Concile de Trente
- enjambement entre les vers 5 et 6 permet la mise en évidence du mot “religion” qui encadre le vers 5
- il compare ensuite la religion avec l’aviation, analogie motivée par un point commun: l’élévation. C’est ici la simplicité de la religion qui est appréciée, et qui s’oppose à la complexité de la tradition
- Apollinaire semble inscrire, de manière paradoxale, la religion dans l’ère moderne
Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X
- on a une ouverture de l’espace parisien sur l’Europe, avec de nouveau l’invocation lyrique de la religion
- analogie de l’élévation se poursuit dans le vers suivant avec la référence au pape dont le poète énonce le nom précis: « Pape Pie X », ce qui contribue à un effet de réel
- le Pape incarne la modernité, c’est “l’européen”, titre au superlatif souligné par l’emploi de la majuscule et l’adjectif “seul”: il est unique
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin
- Néanmoins, le poète demeure à l’écart de cette modernité éternelle puisqu’il fuit les bancs de l’église
- le poète se sent observé voire jugé, il évoque la figure dépréciative du pécheur avec “honte” et “se confesser”, personnification des fenêtres rappelle
- attitude d’Apollinaire face à la religion ambiguë, hésitante et correspond sans doute à l’état d’esprit d’une société qui s’éloigne avec peine culturellement, philosophiquement et affectivement, d’une religion qui avait été pendant des siècles son point d’appui
Troisième mouvement:
décrit une ville qui est un support pour la poésie “moderne”, elle-même en contient
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
- modernité des nouvelles formes de littérature montrée à travers la gradation de valeur
- verbe “chanter” qui fait référence à la poésie lyrique les personnifie et souligne le décalage entre des textes non littéraires, les mots banals, et la poésie, le lyrisme classique
- le poète met donc en valeur la dimension artistique, musicale et donc poétique de ces nouveaux supports
- le présentatif « Voilà la poésie ce matin » inscrit l’écriture poétique dans une époque nouvelle
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
- romans policiers et biographies sont des formes littéraires nouvelles pour l’époque
- la poésie du monde moderne est ainsi composée d’affiches, prospectus, journaux, livres policiers, politiques: c’est un nouveau lyrisme, éphémère et imagé
- Apollinaire donne précisément la valeur monétaire de cette poésie qui est donc associée à un aspect commercial: cette nouvelle poésie émane directement du quotidien, du monde moderne, elle s’invite partout dans la ville
- accumulation de pluriels montre l’abondance de ces formes littéraires, poésie de la multiplicité, hyperbole « mille titres divers » traduit aussi l’enthousiasme d’Apollinaire face à cette innovation poétique: l’adjectif “divers” s’oppose à la monotonie, source de lassitude dans le premier mvt
Quatrième mouvement:
- centre son regard sur une rue parisienne, narre une de ses déambulations: on peut notamment remarquer l’utilisation -pour la première fois dans ce poème- de la première personne du singulier : « J’ai vu »
J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
- analepse avec le passé composé, temporalité complexe car le même “ce matin” utilisé plusieurs fois dans les mvts précédents y était associé au présent de l’indicatif
- Cette rue, plutôt banale dans la mesure où le poète n’a plus souvenir de son nom, est toutefois qualifiée de « jolie »
- champ lexical mélioratif: “jolie” “neuve” “propre”
- avec le “clairon”, Apollinaire présente cette rue comme annonciatrice d’une nouvelle ère, car associée au “soleil”
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
- Elle est le témoin de la modernité puisqu’elle offre le défilé de parisiens du XXème siècle
- ville rythmée par les horaires des travailleurs, sirènes et cloches
- énumération de métiers communs mais désignés de manière précise “sténo-dactylographe”
- quotidienneté, avec ce qu’elle a de monotone et de simple, est célébrée comme moderne et “belle”
- le poète nous donne ainsi à observer l’urbanité industrielle du début du XXème siècle
Le matin par trois fois la sirène y gémit Une cloche rageuse y aboie vers midi
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